Afrique de l’Est et Afrique australe. La liberté de la presse entravée alors que la crise régionale due à la pandémie de COVID-19 met en évidence l’urgente nécessité de l’accès à l’information

Les journalistes et les organes de presse en Afrique de l’Est et en Afrique australe ont fait l’objet d’attaques de plus en plus nombreuses au cours de l’année écoulée, malgré l’urgente nécessité d’un accès à l’information en raison de la pandémie de COVID-19 et des autres crises qui frappent la région, a déclaré Amnesty International.

Dans toute la région, des professionnel·le·s des médias ont été licenciés, des chaînes de télévision ont été suspendues ou fermées, des organes de presse privés ont été attaqués et des journalistes intimidés dans le contexte d’une intense répression de la liberté d’expression et de l’accès à l’information.

« Ce que nous avons observé au cours de l’année passée, en ce qui concerne la liberté des médias et des journalistes, ne peut être décrit que comme une période sombre, a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.

« Cette attaque manifeste contre le journalisme indépendant observée dans toute la région montre que les opinions dissidentes et la publication de vérités gênantes ne sont pas tolérées. Les autorités nationales dans toute l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe doivent mettre fin à ce recul des libertés des médias et garantir la sécurité des professionnel·le·s des médias afin que ces personnes puissent faire leur travail. »

Angola

Le 19 avril 2021, le ministère des Télécommunications, des Technologies de l’information et des Médias sociaux (MINTTICS) a annoncé la suspension des licences de trois chaînes de télévision, Zap Viva, Vida TV et TV Record Africa Angola, ce qui s’est traduit par la suppression de plusieurs centaines d’emplois. Dans ses déclarations, le MINTTICS a indiqué que ces chaînes menaient leurs activités au titre d’une licence provisoire, et qu’elles resteraient suspendues jusqu’à la régularisation de leur statut. Ces trois entreprises ont appris avec surprise la suspension de leur licence, car elles affirment n’avoir pas été averties ni avoir reçu notification au préalable d’une quelconque procédure administrative à leur encontre.

Burundi

Au Burundi, quatre journalistes emprisonnés ont bénéficié d’une grâce présidentielle et été remis en liberté en décembre 2020. Ils avaient été arrêtés en octobre 2019 alors qu’ils se rendaient dans la province de Bubanza pour couvrir des affrontements, puis déclarés coupables en janvier 2020 de « tentative impossible » d’atteinte à la sécurité intérieure de l’État, et condamnés à une peine de deux ans et demi d’emprisonnement et à une amende d’un million de francs burundais (soit 525 dollars des États-Unis). Leur libération et la reprise des activités de la station de radio Bonesha FM en février constituent des évolutions positives, mais la liberté des médias reste soumise à de graves restrictions.

Madagascar

À Madagascar, les autorités ont pris le 22 avril un décret interdisant tous les programmes des stations de radio et des médias audiovisuels « susceptibles de menacer l’ordre public, la sécurité et l’unité nationale ». Ce décret a par la suite été annulé le 26 avril à la suite d’une vive levée de boucliers de la part de la société civile et d’organisations de médias. Il a été remplacé par un autre décret contraignant les stations de radio et les chaînes de télévision à adresser au ministère chargé de la communication une « lettre d’intention » dont elles doivent respecter les termes, en échange de l’autorisation de diffuser, et maintenant l’interdiction de tous les programmes de radio et des médias audiovisuels comprenant des interventions susceptibles de « menacer l’ordre public et la sécurité, de porter atteinte à l’unité nationale et d’encourager la désobéissance civile ».

Mozambique

Les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression au Mozambique ont pris un tour alarmant le 23 août 2020 avec l’incendie criminel d’un journal par un groupe de personnes non identifiées. Ce groupe s’est introduit par effraction dans les locaux du journal hebdomadaire indépendant Canal de Moçambique, a déversé du carburant et y a mis le feu en utilisant un cocktail Molotov, détruisant une grande partie des équipements, des meubles et des dossiers.

Cette attaque est intervenue quatre jours après la publication par ce journal d’une enquête sur les pratiques contraires à l’éthique présumées de personnes liées aux milieux politiques et de hauts responsables du gouvernement, concernant des compagnies gazières dans la province de Cabo Delgado, au ministère des Ressources minérales et de l’Énergie.

Somalie

En Somalie, les journalistes ont été confrontés à des conditions de travail de plus en plus répressives. Ils ont été menacés, harcelés, frappés, arrêtés de façon arbitraire et soumis à des mesures d’intimidation par les autorités, notamment la police et l’armée, dans toute la région centre-sud de la Somalie et au Puntland. Les autorités ont également limité l’accès à l’information. Trois journalistes ont été assassinés en Somalie depuis l’an dernier par le groupe armé Al Shabab et par des individus non identifiés. Des journalistes ont aussi fait l’objet d’accusations fallacieuses à Mogadiscio et à Garowe, dans le Puntland. Deux de ces journalistes, Mohamed Abdiwahab Nur (Abuja) et Kilwe Adan Farah, ont fait l’objet de poursuites devant la justice militaire.

Zambie

Le 9 avril 2020, les autorités zambiennes ont ordonné l’annulation de l’autorisation de diffusion dont disposait la chaîne d’information indépendante Prime TV. Cette décision est intervenue après que la chaîne de télévision a, semble-t-il, refusé de diffuser les campagnes d’information du gouvernement relatives au COVID-19 parce qu’il lui devait de l’argent pour la diffusion de précédentes annonces parrainées par l’État.

La chaîne de télévision Prime TV, qui a besoin des recettes publicitaires pour payer les salaires de son personnel et pour ses autres coûts de fonctionnement, est toujours fermée.

Zimbabwe

Au Zimbabwe, le journaliste indépendant et militant anticorruption Hopewell Chin’ono a été soumis par la police à des manœuvres d’intimidation et de harcèlement ; il a ainsi été arrêté à trois reprises entre juillet 2020 et janvier 2021. Il a passé plus de 80 jours en détention pour avoir dénoncé la corruption du gouvernement et défendu le droit à la liberté de réunion pacifique.

Le 28 avril, la Haute Cour a annulé les accusations retenues contre Hopewell Chin’ono concernant la communication de fausses informations, après plusieurs mois de poursuites judiciaires. La Cour a jugé que la loi dont s’est prévalue la police en janvier pour l’arrêter n’existe plus.

Cependant, Hopewell Chin’ono va être jugé dans le cadre d’une autre affaire, pour des accusations d’entrave à la justice.

Pendant l’épidémie de COVID-19, les forces de sécurité ont utilisé les restrictions comme prétexte pour justifier le harcèlement et l’intimidation de journalistes et d’autres professionnel·le·s des médias. Au moins 25 journalistes ont été agressés et arrêtés et incarcérés de façon arbitraire alors qu’ils travaillaient. Des journalistes se sont fréquemment vu intimer l’ordre d’effacer des vidéos ou des photos sans raison valable.

« Une presse libre, indépendante et dynamique constitue l’un des piliers de toute société libre. Elle permet la libre circulation des informations et des idées qui permettent de bâtir des pays, a déclaré Deprose Muchena.

« Les autorités doivent faire davantage que prononcer de belles paroles au sujet de la liberté d’expression. Elles doivent protéger les journalistes, garantir la liberté des médias et procurer des moyens de recours aux journalistes dont les droits ont été violés. »