Des milliers de patients hospitalisés ont notamment été renvoyés en maison de retraite sans avoir été testés et la consigne de ne pas réanimer certaines personnes a été généralisée
Les responsables et employé·e·s de maisons de retraite disent avoir été laissés sans instructions ni équipements de protection individuelle (EPI), ni accès à des tests
Amnesty International demande l’ouverture immédiate d’une enquête publique indépendante et approfondie, ainsi que la révision du protocole de visites restrictif actuellement en place
Une série de décisions « scandaleusement irresponsables » des autorités a mis en danger la vie de dizaines de milliers de personnes âgées et entraîné de multiples violations des droits humains des résidents de maisons de retraite, a déclaré Amnesty International dimanche 4 octobre à l’issue d’une enquête menée par son équipe de réaction à la crise.
Le rapport de 50 pages publié par l’organisation, intitulé As If Expendable: The UK Government’s Failure to Protect Older People in Care Homes during the COVID-19 Pandemic, révèle que les résidents des maisons de retraite ont été abandonnés de fait au début de la pandémie.
Entre le 2 mars et le 12 juin 2020, un « surplus » de 28 186 décès a été enregistré dans les maisons de retraite en Angleterre, dont plus de 18 500 résidents sont morts des suites du COVID-19 au cours de cette période.
Des responsables et employé·e·s de maisons de retraite ont décrit à Amnesty International une « interruption totale » des systèmes pendant les six premières semaines des mesures prises face à la pandémie. Ces personnes affirment avoir attendu en vain de recevoir des instructions, rencontré de grandes difficultés pour se procurer des EPI ou pour en avoir suffisamment, et ne pas avoir pu accéder à des tests de dépistage, alors qu’elles devaient s’occuper de patients contaminés sortis précipitamment de l’hôpital.
Fait particulièrement choquant, le 17 mars, soit quatre jours après que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) eut qualifié le COVID-19 de pandémie mondiale, le gouvernement britannique a ordonné le renvoi de 25 000 patients hospitalisés vers des maisons de retraite, y compris ceux contaminés ou potentiellement contaminés par le virus.
Le 2 avril, date à laquelle l’OMS a confirmé l’existence de cas asymptomatiques de la maladie, le gouvernement a réitéré ses instructions de sortie de l’hôpital en indiquant : « Il n’est pas nécessaire d’obtenir un test négatif avant un transfert ou une admission en maison de retraite. »
Plusieurs responsables de maisons de retraite ont affirmé à Amnesty qu’ils n’avaient aucun cas de COVID-19 dans leur établissement jusqu’à ce qu’ils reçoivent des patients envoyés par des hôpitaux. Une personne dirigeant une maison de retraite dans le Yorkshire a déclaré :
« En raison de ce qui s’était passé en Espagne et en Italie, nous avons suspendu les visites à partir du 28 février et nous sommes procuré des EPI. Nous n’avions aucun cas, jusqu’au 28 mars, lorsqu’un résident a été amené de l’hôpital avec le COVID. »
Ces décisions et d’autres prises par les autorités britanniques ont entraîné des atteintes aux droits humains des personnes âgées vivant en maison de retraite pendant la pandémie – notamment leurs droits à la vie, à la santé et à la non-discrimination.
Le gouvernement a pris une série de décisions scandaleusement irresponsables qui ont laissé les résidents de maisons de retraite abandonnés face à la mort. … Le terrible bilan qui en a découlé aurait parfaitement pu être évité. C’est un scandale monumental.
Kate Allen, directrice d’Amnesty International Royaume-Uni
Kate Allen, directrice d’Amnesty International Royaume-Uni, a déclaré :
« Le gouvernement a pris une série de décisions scandaleusement irresponsables qui ont laissé les résidents de maisons de retraite abandonnés face à la mort.
« Sorties de l’hôpital sans avoir été testées, des milliers de personnes âgées ont été envoyées dans des maisons de retraite, malgré un risque élevé pour elles-mêmes, les autres résidents et le personnel.
« Le terrible bilan qui en a découlé aurait parfaitement pu être évité. C’est un scandale monumental.
« Alors que le pays est confronté à une deuxième vague de coronavirus, il nous faut de toute urgence une enquête publique indépendante sur le scandale des maisons de retraite, afin que des leçons soient tirées et des vies protégées avant qu’il ne soit trop tard. »
Amnesty International a lancé une nouvelle campagne demandant une enquête publique indépendante et approfondie sur la pandémie, comprenant une première phase immédiate consacrée aux personnes âgées en maison de retraite.
L’organisation de défense des droits humains appelle les autorités à :
* Ordonner un examen complet de tous les formulaires donnant l’ordre de « ne pas réanimer » qui sont dans les projets de soin individuels et les dossiers des résidents de maisons de retraites, afin de garantir que cette décision ne soit pas imposée sans respecter la procédure légale ;
* Veiller à ce que les résidents de maisons de retraites aient pleinement accès aux prestations de santé auxquelles ils ont droit ;
* Mettre des tests réguliers à disposition des visiteurs, des résidents et du personnel des maisons de retraite ;
* S’assurer que les règles applicables aux visites en maison de retraite accordent la priorité à l’intérêt supérieur des résidents et que les restrictions soient fondées sur des évaluations du risque au cas par cas, en tenant compte de toutes les mesures possibles permettant de minimiser les risques – telles que des tests plus fréquents pour le personnel, les résidents et les visiteurs.
Quelque 400 000 résidents de maisons de retraite exposés à un risque accru
Dès le début de l’épidémie, on savait que le COVID-19 présentait un risque disproportionné de forme grave et de décès pour les personnes âgées et que les quelque 400 000 résidents de maisons de retraite du Royaume-Uni – dont beaucoup souffrent de pathologies multiples, sont dépendants physiquement, atteints de démence et fragiles – étaient encore plus exposés à ce risque.
Pourtant, le gouvernement n’a pris aucune mesure pour protéger ces personnes. Encore le 13 mars, deux jours avant que l’OMS ne qualifie le COVID-19 de pandémie mondiale, l’organisme Public Health England (Santé publique Angleterre) estimait : « Il n’y a pas besoin de faire quoi que ce soit différemment dans la moindre structure de soins actuellement. »
C’est comme si les résidents de maisons de retraite étaient vus comme des citoyens de seconde zone. Malgré des milliers de lits disponibles, ils ont été considérés comme non prioritaires au moment d’accéder à des soins en hôpital, et des consignes de non-réanimation leur ont été imposées sans que la procédure légale soit respectée. De tels abus sont profondément choquants.
Donatella Rovera, conseillère principale d’Amnesty International pour les situations de crise
Donatella Rovera, conseillère principale d’Amnesty International pour les situations de crise, a déclaré :
« C’est comme si les résidents de maisons de retraite étaient vus comme des citoyens de seconde zone. Malgré des milliers de lits disponibles, ils ont été considérés comme non prioritaires au moment d’accéder à des soins en hôpital, et des consignes de non-réanimation leur ont été imposées sans que la procédure légale soit respectée. De tels abus sont profondément choquants.
« Il est impératif que des leçons soient tirées afin que les mêmes erreurs ne se répètent pas et que les responsables de ces décisions catastrophiques soient amenés à rendre des comptes. »
Refus d’accès à des hôpitaux
Amnesty International a recueilli de multiples témoignages indiquant que des résidents de maisons de retraite ont été privés de leur droit aux prestations de santé – notamment de l’accès à des services médicaux généraux et à une hospitalisation – pendant la pandémie. Des employé·e·s de maisons de retraite et des proches de résidents ont souligné que l’admission de ces derniers à l’hôpital avait été découragée, voire refusée.
Le fils d’un résident décédé dans le comté de Cumbria a déclaré qu’une hospitalisation de son père n’avait même pas été envisagée :
« Dès le premier jour, la maison de retraite a été catégorique sur le fait qu’il s’agissait probablement du COVID-19 et qu’il en mourrait et ne serait pas conduit à l’hôpital. Il toussait simplement à ce stade. Il n’avait que 76 ans et était tout à fait en forme physiquement. Il adorait sortir et cela n’aurait pas été un problème pour lui d’aller à l’hôpital. La maison de retraite m’a appelé pour me dire qu’il avait des symptômes, un peu de toux, qu’un médecin lui avait fait une consultation à distance sur téléphone portable et qu’il ne serait pas emmené à l’hôpital. J’ai ensuite parlé avec le médecin plus tard dans la journée ; il a dit qu’il ne serait pas hospitalisé mais qu’on lui donnerait de la morphine s’il souffrait… Il est mort une semaine après. »
Dès le premier jour, la maison de retraite a été catégorique sur le fait qu’il s’agissait probablement du COVID-19 et qu’il en mourrait et ne serait pas conduit à l’hôpital. Il toussait simplement à ce stade. Il n’avait que 76 ans et était tout à fait en forme physiquement. Il adorait sortir et cela n’aurait pas été un problème pour lui d’aller à l’hôpital. La maison de retraite m’a appelé pour me dire qu’il avait des symptômes, un peu de toux, qu’un médecin lui avait fait une consultation à distance sur téléphone portable et qu’il ne serait pas emmené à l’hôpital. J’ai ensuite parlé avec le médecin plus tard dans la journée ; il a dit qu’il ne serait pas hospitalisé mais qu’on lui donnerait de la morphine s’il souffrait… Il est mort une semaine après.
Le fils d’un résident décédé dans le comté de Cumbria
Les données officielles montrent que les admissions à l’hôpital de résidents de maisons de retraite ont considérablement diminué pendant la pandémie, avec 11 800 admissions de moins que les années précédentes en mars et avril.
Amnesty International a reçu plusieurs témoignages venant de différentes régions selon lesquels des médecins refusaient d’entrer dans des maisons de retraite et n’étaient disponibles que pour des consultations par téléphone ou appel vidéo, quels que soient les symptômes des résidents malades et même pour des patients sur le point de mourir.
Un cadre du personnel d’un grand groupe d’établissements pour personnes âgées a déclaré à l’organisation en septembre :
« C’était variable d’une région à l’autre du pays, mais les médecins et les infirmiers et infirmières de secteur ne sont pas venus dans la majorité de nos établissements depuis le début de la pandémie, même pour des consultations et soins de base. »
Utilisation abusive des formulaires donnant l’ordre de ne pas tenter de réanimation
Tout au long de la pandémie, l’utilisation abusive de formulaires donnant l’ordre de « ne pas réanimer » a été signalée à maintes reprises. Des responsables de maisons de retraite ont rapporté à Amnesty International des cas de cabinets médicaux ou d’agences locales du NHS (le service de santé britannique) tenues par des praticiens qui leur ont demandé d’insérer de tels formulaires de façon systématique dans les dossiers de leurs résidents.
Les recherches de l’organisation ont révélé qu’un groupe de six agences locales du Sussex avaient adressé le 23 mars 2020 des instructions relatives aux consignes de non-réanimation à 35 cabinets médicaux et 98 maisons de retraite. Ce document recommandait à tous les cabinets : « Recherchez dans votre système les éventuels patients de maisons de retraite qui n’ont pas de consignes relatives à la réanimation (précisant s’ils doivent ou non faire l’objet d’une réanimation) dans leur dossier et mettez en place des consignes le cas échéant. »
Ces instructions traitaient également des admissions à l’hôpital, en demandant aux médecins de veiller à ce que « les dossiers des patients ne faisant pas déjà l’objet d’une consigne d’éviter l’hospitalisation soient traités en priorité afin que cette consigne soit mise en place pour eux ».
Accès insuffisant aux tests de dépistage
Les maisons de retraite ont rencontré de grandes difficultés à accéder suffisamment aux tests leur permettant d’identifier, de gérer et de prévenir efficacement les contaminations par le COVID-19.
Il a fallu attendre le 7 juin pour que tous les établissements hébergeant des personnes de 65 ans et plus puissent enfin bénéficier de tests. La mise en place de tests réguliers dans les maisons de retraite n’a été annoncée que le 6 juillet.
Une personne dirigeant une maison de retraite de Durham, qui a échangé avec Amnesty International à la mi-août, a déclaré que la quantité de tests fournis était encore loin d’être suffisante :
« L’horizon n’est pas plus dégagé – j’essaie d’accéder à des tests. Nous avons cherché partout. D’abord nous avons appris à utiliser un type de test… puis un autre a été fourni. Certains tests ont été réalisés sur du personnel et des résidents, mais je n’ai aucune visibilité pour les prochaines semaines. »
Quantité insuffisante d’équipements de protection individuelle
Bien que le NHS ait promis de faire « ce qu’il faudra, quoi qu’il en coûte » pour lutter contre l’épidémie, les maisons de retraite ont dû se battre pour trouver des EPI. La plupart de leurs employé·e·s et responsables interrogés par Amnesty International ont indiqué avoir rencontre de grandes difficultés pour s’en procurer auprès de leurs fournisseurs habituels. Certains ont dit avoir été informés que des stocks étaient réservés pour le NHS. Un cadre d’une maison de retraite du Norfolk a déclaré :
« [En mars], nous avons tenté de commander des EPI. Nous avons habituellement des tabliers ou des gants à disposition, mais nous n’en avions pas assez. Nous contactions nos fournisseurs habituels, mais ils nous répondaient : “Nous ne pouvons pas vous les donner, ils sont en commande pour le NHS”. »
Cette négligence des besoins des maisons de retraite a mis en danger les résidents et le personnel, dont beaucoup de membres ont également payé un lourd tribut avec des taux de contamination élevés et des taux de décès disproportionnés.
Effets dévastateurs de l’isolement prolongé
Au moment où le niveau de contamination par le COVID-19 a nettement baissé durant l’été et où les visites ont repris sous une forme ou une autre, les effets dévastateurs de l’isolement sur la santé physique et mentale des personnes âgées ayant survécu dans les maisons de retraite sont devenus plus visibles. Les conséquences sont dramatiques chez certaines personnes : déclin des fonctions motrices et cognitives, perte d’appétit, dépression et perte générale de la volonté et du désir de vivre.
Je n’ai pas pu rendre visite à ma pauvre maman depuis six mois. Elle est clouée au lit et se trouve au premier étage, si bien que les visites à travers la fenêtre ne sont pas possibles. Sa chambre est située juste à côté d’une sortie de secours donc je pourrais m’y rendre sans passer par l’intérieur de la maison de retraite, mais les visites dans les chambres ne sont pas autorisées. J’ai été informé par un courriel de la direction que je ne pourrais lui rendre visite que lorsqu’elle serait mourante.
Un proche d'une femme âgée dans une maison de retraite
Un proche a décrit la dégradation de l’état de sa mère :
« Je n’ai pas pu rendre visite à ma pauvre maman depuis six mois. Elle est clouée au lit et se trouve au premier étage, si bien que les visites à travers la fenêtre ne sont pas possibles. Sa chambre est située juste à côté d’une sortie de secours donc je pourrais m’y rendre sans passer par l’intérieur de la maison de retraite, mais les visites dans les chambres ne sont pas autorisées. J’ai été informé par un courriel de la direction que je ne pourrais lui rendre visite que lorsqu’elle serait mourante. »
Les résidents de maisons de retraite ne doivent pas être soumis à des restrictions généralisées de leur vie privée et familiale, sauf lorsque ces restrictions sont adaptées à leur cas précis sur la base d’une évaluation individualisée des risques tenant compte de l’impact sur la santé physique et mentale.