Mozambique. Des vidéos glaçantes montrent des actes de torture infligés par les forces de sécurité : une enquête doit être menée

Le gouvernement du Mozambique doit ouvrir une enquête indépendante et impartiale sur les actes de torture et les graves violations des droits humains commis par les forces de sécurité dans la province de Cabo Delgado, a déclaré Amnesty International le 9 septembre 2020, après avoir vérifié des vidéos glaçantes filmées dans la région, qui montrent des violences infligées à des prisonniers.

Sur ces vidéos et ces images, on peut voir des membres des forces de sécurité tenter de décapiter des prisonniers, leur infliger des actes de torture et des mauvais traitements, démembrer des combattants présumés de l’opposition, se livrer à de possibles exécutions extrajudiciaires et transporter et abandonner de nombreux cadavres dans des charniers.

Ces dernières semaines, le nord du Mozambique a connu un regain de violences. Des combattants appartenant à un groupe connu localement sous le nom d’Al Shabab ont en effet attaqué des membres des forces de sécurité et des villageois.

« Les vidéos et les photos horribles que nous avons analysées attestent des graves violations des droits humains et des violences choquantes qui se sont déroulées dans la province de Cabo Delgado, loin du regard du monde, a déclaré Deprose Muchena, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

« Ces agissements piétinent les principes fondamentaux de l’humanité. Les atteintes aux droits humains attribuées au groupe connu sous le nom d’Al Shabab ne sauraient justifier que les forces de sécurité du Mozambique commettent d’autres violations.

« Le gouvernement du Mozambique doit ordonner la tenue d’une enquête rapide, transparente et impartiale afin de traduire en justice tous les responsables présumés de ces crimes dans le cadre de procès équitables. »

Les vidéos et les photos horribles que nous avons analysées attestent des graves violations des droits humains et des violences choquantes qui se sont déroulées dans la province de Cabo Delgado, loin du regard du monde.

Deprose Muchena, directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe

Les soldats qui commettent des atrocités dans les vidéos analysées par Amnesty International portent l’uniforme des Forces de défense du Mozambique (FADM) et de la Police d’intervention rapide (PIR) du Mozambique.

Dans plusieurs vidéos, les soldats font référence à leurs captifs comme des Al Shabab, « les jeunes » en arabe, nom local qui désigne couramment le groupe armé islamiste dans la province de Cabo Delgado [et non le groupe du même nom en Somalie].

Les autorités doivent ordonner immédiatement aux forces de sécurité de mettre un terme à tous les mauvais traitements infligés aux prisonniers et autres violations des droits humains commises dans la province de Cabo Delgado, et enquêter et poursuivre tous les responsables présumés d’actes de torture ou d’exécutions extrajudiciaires de prisonniers.

Identifier les documents

L’équipe de recherche d’Amnesty International a obtenu cinq vidéos et trois photos émanant de sources au Mozambique. Les supports numériques ont été vérifiés par le Laboratoire de preuves du programme Réaction aux crises d’Amnesty International.

Dans les vidéos, les soldats portent deux uniformes différents. La plupart portent une tenue de camouflage « lézard » vert et marron, des bottes noires et un équipement brun clair, ainsi que les pattes d’épaule jaune et noir des FADM (Forces de défense du Mozambique) ; d’autres portent l’uniforme vert plus clair de la PIR (Police d’intervention rapide). Ils sont armés de vieux fusils d’assaut kalachnikov et ont des gilets pare-balles qui correspondent à ce que portent généralement les FADM dans la région.

En outre, ils parlent portugais et shangaan (ou tsonga), une langue parlée dans le sud du Mozambique. Ils mentionnent les récents combats à Mocímboa da Praia : il est donc fort probable que les vidéos aient été filmées dans la province de Cabo Delgado ou à proximité, au cours du premier semestre 2020. Toutefois, Amnesty International n’a jusqu’à présent pas été en mesure de géolocaliser de manière indépendante le lieu précis où ces images ont été filmées.

Torture infligée à des prisonniers

Quatre vidéos présentent les actes de torture infligés à des prisonniers. Dans trois vidéos, on peut voir trois victimes – possiblement les mêmes, mais ce n’est pas très clair. Les trois prisonniers ont les mains attachées derrière le dos, et sont frappés à coups de pieds, de bâtons ou de fusils par plusieurs soldats. Pendant ce temps, d’autres soldats se moquent des prisonniers et encouragent les agresseurs. Les prisonniers sont complétement nus ou dévêtus jusqu’à la taille.

Dans une vidéo, un soldat s’adresse à l’une des victimes en portugais: « Tu n’es pas encore mort ? T’es pas mort ? Pourquoi tu n’es pas encore mort ? Qu’est-ce que t’attends ? » Un autre soldat ordonne alors : « Frappe cette merde. » En réaction, le soldat suivant frappe les parties génitales de la victime avec un gros bâton. On entend un autre dire : « Ne t’inquiète pas, il n’y a pas de problème, frappe-le de toutes tes forces. »

Dans une autre vidéo, après les passages à tabac, un soldat se penche et se sert d’un couteau pour couper l’oreille d’une victime. Il place alors l’oreille sur le sol devant le visage de la victime, sous les applaudissements des soldats qui l’entourent.

Dans une autre vidéo, une victime est elle aussi torturée, pendant que les soldats s’exclament : « Mettons-lui le feu ! On lui verse de l’essence dessus et on l’allume, allez, versez de l’essence sur lui, il doit brûler ! » S’ils ont mis le feu à cet homme, cela n’a pas été filmé en vidéo.

De possibles exécutions extrajudiciaires et mutilations de cadavres

Une cinquième vidéo et une photographie qui en est tirée révèlent que les soldats ont commis des violences sur les cadavres de certaines victimes déjà mortes. La photo montre une quinzaine de cadavres à l’arrière d’un pick-up – tous attachés, les yeux bandés et à demi nus – et beaucoup présentent des contusions et des blessures ouvertes.

Sur la vidéo, on voit un charnier et des soldats aller de cadavre en cadavre, se servant d’un long couteau pour couper la gorge de victimes encore en vie ou tenter de décapiter les corps. Dans un cas, la victime était sans doute encore en vie lors de la décapitation : on entend en effet un homme hurler pour sa vie tandis qu’un soldat crie en portugais : « Ah, ferme-la ! »

« La cruauté sans nom et l’inhumanité dont témoignent ces vidéos n’ont pas leur place dans une société où doivent régner l’ordre, l’état de droit et les droits humains. Le gouvernement du Mozambique est tenu d’ouvrir sans délai une enquête indépendante et impartiale afin de traduire les responsables présumés de ces actes en justice », a déclaré Deprose Muchena.

Complément d’information

Depuis octobre 2019, un groupe connu localement sous le nom d’Al Shabab, semble-t-il affilié au groupe armé qui se désigne sous le nom province de l’État islamique en Afrique centrale, attaque les forces gouvernementales et la population civile dans le Cabo Delgado, province du nord du Mozambique.

Ce groupe armé a commis de multiples exactions durant le conflit, et a notamment décapité des civil·e·s. Cependant, dans le cadre d’une politique également observée au Nigeria et au Cameroun, les forces de sécurité gouvernementales réagissent en employant des méthodes similaires.

Le Cabo Delgado souffre de négligence et de sous-investissement depuis des décennies, un problème aggravé par les catastrophes naturelles et la propagation du COVID-19 dans la région, pourtant riche en gaz naturel liquide, rubis, graphite et bois. Des entreprises internationales, dont l’entreprise française Total, rivalisent d’ailleurs pour avoir accès à cette région.

Le Mozambique est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui interdisent la torture et les autres mauvais traitements, ainsi que la privation arbitraire de la vie. En tant que partie à la Convention des Nations unies contre la torture, le Mozambique est tenu de prendre les mesures nécessaires au niveau législatif et judiciaire afin de prévenir les actes de torture, notamment de mener des investigations rapides, impartiales et indépendantes sur les informations faisant état de torture, et de poursuivre et sanctionner les auteurs. Le Mozambique a également ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, ce qui l’oblige à mettre en place un système autorisant des organes de surveillance nationaux et internationaux indépendants à effectuer des inspections inopinées et sans restrictions sur tous les lieux de détention.