Les prisons touchées par le virus sont toujours remplies de défenseur·e·s des droits humains, et les attaques se poursuivent

Des gouvernements qui ont été loués pour avoir relâché des prisonnières et des prisonniers en raison de l’épidémie de COVID-19 sur leur territoire, ont exclu les défenseur·e·s des droits humains de ces mesures et continuent de procéder à de nouvelles arrestations de militant·e·s, de journalistes et d’opposant·e·s, a déclaré le 6 août Amnesty International.

Dans un nouveau rapport intitulé Oser défendre les droits humains lors d’une pandémie, qui rassemble des informations sur les attaques menées contre des défenseur·e·s des droits humains pendant la pandémie, l’organisation attire l’attention sur l’hypocrisie de certains gouvernements, notamment ceux de l’Égypte, de l’Inde, de l’Iran et de la Turquie, qui laissent des prisonnières et prisonniers d’opinion croupir en prison dans des conditions déplorables malgré des programmes de libération de détenu·e·s très médiatisés.

L’exclusion des défenseur·e·s des droits humains de mesures de libération met en évidence la nature politique de leur emprisonnement.

Lisa Maracani, chargée de recherche à Amnesty International sur les défenseur·e·s des droits humains

« La pandémie de COVID-19 est une punition supplémentaire pour les défenseur·e·s des droits humains injustement emprisonnés, et elle est aussi utilisée comme prétexte pour les harceler, les poursuivre en justice et même les tuer de façon accrue, a déclaré Lisa Maracani, chargée de recherche à Amnesty International sur les défenseur·e·s des droits humains.

« L’exclusion des défenseur·e·s des droits humains de mesures de libération met en évidence la nature politique de leur emprisonnement. En Turquie par exemple, des journalistes, des avocat·e·s, des militant·e·s et des représentant·e·s de l’opposition placés en détention provisoire pour des accusations sans fondement demeurent incarcérés alors même que le gouvernement a pris des mesures qui se sont traduites par la libération de plus de 100 000 personnes depuis le mois d’avril. Il est évident que le gouvernement turc continue de craindre les critiques bien plus que la pandémie. »

Ce nouveau document fournit des informations sur des attaques menées contre des défenseur·e·s des droits humains pendant la pandémie de COVID-19 dans 46 pays, et montre que les lois sur les « fausses nouvelles », les restrictions du droit de circuler librement, la diminution de la protection de la police et l’intolérance accrue vis-à-vis des critiques ont donné lieu à de nouvelles vagues de répression à travers le monde, notamment contre les lanceurs et lanceuses d’alerte dans le secteur de la santé et contre les personnes qui dénoncent des mesures inadéquates face à la pandémie.

Amnesty International a réuni des informations sur 131 personnes œuvrant pour la défense des droits humains dans le monde entier qui ont été harcelées, persécutées, tuées ou emprisonnées sous des prétextes liés au COVID-19, ce nombre ne représentant probablement que la partie la plus visible de l’iceberg.

« Au lieu d’aménager pour les défenseur·e·s des droits humains un espace afin de soutenir leurs efforts dans la lutte contre la pandémie et la préparation d’un redressement équitable, les États prennent des mesures contreproductives pour museler les personnes qu’ils considèrent comme des opposants », a déclaré Lisa Maracani.

Exclusion des mesures de remise en liberté

Le 25 mars 2020, la haute-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies a engagé tous les États, face à la pandémie de COVID-19, à « libérer toute personne détenue sans fondement juridique suffisant, y compris les prisonniers politiques et les personnes détenues simplement pour avoir exprimé des opinions critiques ou dissidentes ».

Pourtant, plusieurs pays ont exclu les défenseur·e·s des droits humains des mesures de décongestion des prisons et des autres lieux de détention.

En Inde, par exemple, de nombreux étudiant·e·s et militant·e·s ayant participé aux manifestations pacifiques contre la loi discriminatoire sur la citoyenneté sont injustement maintenus en détention.

En Égypte, le gouvernement s’est abstenu de libérer des défenseur·e·s des droits humains détenus uniquement pour avoir exprimé leurs opinions, ainsi que des milliers d’autres personnes en détention provisoire, alors que nombre d’entre elles sont détenues sur la base de vagues accusations liées au « terrorisme », sur fond d’inquiétudes concernant le non-respect des règles de procédure.

En Turquie, ont été explicitement exclues des mesures de décongestion les personnes en détention dans l’attente de leur procès et celles qui sont en détention provisoire ou qui ont été déclarées coupables pour des infractions à la législation antiterroriste turque formulée en termes vagues. Figurent parmi elles des militant·e·s politiques et des droits humains, des journalistes, des universitaires et d’autres personnes encore qui ont ouvertement critiqué le gouvernement. 

En Iran, les autorités ont annoncé avoir relâché de façon temporaire 85 000 prisonnières et prisonniers, mais de nombreux défenseur·e·s des droits humains sont pour leur part maintenus en détention, dans des conditions déplorables, pour des motifs politiques.

La défenseure iranienne des droits humains Narges Mohammadi, qui souffrait déjà de graves problèmes de santé, présente maintenant des symptômes correspondant au COVID-19. Les autorités continuent de priver Narges Mohammadi de soins de santé en prison et refusent de l’informer des résultats du test pour le COVID-19 qu’elle a passé le 8 juillet.

Dans le contexte de cette crise, les autorités iraniennes ont également continué d’arrêter de façon arbitraire et d’emprisonner des défenseur·e·s des droits humains.

La coopération internationale doit également consister à exercer des pressions sur les gouvernements pour qu’ils relâchent les personnes qui ont été incarcérées alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits fondamentaux.

Lisa Maracani

Dans d’autres pays où les prisons sont déjà fortement surpeuplées, le gouvernement a continué d’arrêter des défenseur·e·s des droits humains pour des accusations forgées de toutes pièces, aggravant encore ce problème et exposant au danger un nombre accru de personnes.

En Azerbaïdjan par exemple, le gouvernement a lancé une nouvelle vague d’arrestations et de poursuites judiciaires ciblant de nombreux militant·e·s politiques, journalistes et défenseur·e·s des droits humains, souvent en réaction à leurs critiques portant sur sa gestion de la pandémie. Figurent au nombre des personnes qui ont été arrêtées le militant de l’opposition Tofig Yagublu, faussement accusé de houliganisme, et le défenseur des droits humains Elchin Mammad, arrêté pour vol quelques jours après avoir publié un rapport sur la situation des droits humains dans le pays.

De nouvelles arrestations de défenseur·e·s des droits humains ont également été signalées en Tunisie, au Maroc, au Niger, au Zimbabwe et en Angola, entre autres pays.

« Alors que le pic de la pandémie de COVID-19 est passé dans une grande partie de l’Europe, il est absolument nécessaire que la communauté internationale ne se désintéresse pas de la difficile situation des pays où le nombre de personnes contaminées est en hausse, a déclaré Lisa Maracani.

« La coopération internationale doit également consister à exercer des pressions sur les gouvernements pour qu’ils relâchent les personnes qui ont été incarcérées alors qu’elles n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits fondamentaux, et qui risquent maintenant fortement de contracter le COVID-19. »

Des « cibles faciles »

Amnesty International a également attiré l’attention sur le fait que de nombreux défenseur·e·s des droits humains sont en danger en raison des mesures de confinement qui restreignent leurs déplacements, et qui en font des cibles faciles pour les individus qui veulent les réduire au silence. En Colombie et au Mexique par exemple, les mesures de protection policière ont été réduites.

Au Honduras, les cas récents les plus graves comprennent la possible disparition forcée de cinq jeunes hommes, dont quatre militent au sein de l’Organisation fraternelle noire du Honduras (OFRANEH). Des hommes portant des uniformes de la police sont venus les chercher à leur domicile le 18 juillet, et l’on est depuis sans nouvelles d’eux.

Les gouvernements qui profitent de cette crise pour s’en prendre aux défenseur·e·s des droits humains ne doivent pas oublier qu’ils sont surveillés de près.

Lisa Maracani

En Colombie, l’organisation de la société civile INDEPAZ a fait état de 166 assassinats au cours des six premiers mois de l’année 2020. Figure au nombre des victimes Carlota Isabel Salinas Pérez, une militante des droits des femmes tuée devant son domicile en mars. Carlota était une dirigeante associative et elle collectait des denrées alimentaires pour les familles dans le besoin le jour où elle a été tuée.

« Maintenant plus que jamais, le travail qu’effectuent les défenseur·e·s des droits humains est essentiel en ce qui concerne le combat pour un accès égal aux soins de santé, à la nourriture et à un abri, et pour fournir au public des informations sur le virus et sur les moyens de s’en protéger. Les gouvernements qui profitent de cette crise pour s’en prendre aux défenseur·e·s des droits humains ne doivent pas oublier qu’ils sont surveillés de près, a déclaré Lisa Maracani.

« Il est indispensable que les gouvernements procurent aux défenseur·e·s des droits humains une protection efficace et garantissent leur sécurité face aux individus qui tentent de profiter de la pandémie pour les faire taire. »