Les autorités tunisiennes doivent abandonner immédiatement les poursuites engagées contre un blogueur et une blogueuse qui ont osé critiquer la manière dont le gouvernement gère la pandémie de COVID-19, a déclaré Amnesty International mardi 21 avril 2020.
Un blogueur et une blogueuse ont été arrêtés durant la semaine du 14 avril 2020. Ils sont sous le coup de plusieurs chefs d’accusation, tels que l’outrage à agents, les troubles à l’ordre public et la diffamation. Ils ont été inculpés pour avoir publié sur les réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles ils accusaient le gouvernement de ne pas offrir une indemnisation suffisante aux personnes en difficulté financière et de ne pas apporter de solution à la pénurie de produits de première nécessité sur le marché dans le contexte de la pandémie de COVID-19.
Arrêter ou poursuivre des personnes ayant critiqué la réponse de l'État à la crise du COVID-19 est bien la dernière chose que les autorités tunisiennes devraient faire en plein cœur d'une pandémie.
Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International
Par rapport aux autres pays de la région, la Tunisie jouit d’un niveau de liberté politique relativement élevé. Cependant, ces deux dernières années, les autorités ont engagé un certain nombre de poursuites pénales pour des motifs liés à la liberté d’expression. Des personnes ont ainsi été inculpées de diffamation ou d’outrage pour avoir critiqué les autorités et les institutions nationales, souvent en vertu de lois d’un autre âge, datant de l’ère du président déchu Zine el Abidine Ben Ali.
« Arrêter ou poursuivre des personnes ayant critiqué la réponse de l’État à la crise du COVID-19 est bien la dernière chose que les autorités tunisiennes devraient faire en plein cœur d’une pandémie. La libre circulation des informations et la confiance de la population sont particulièrement importantes en cette période. Les personnes arrêtées pour avoir exprimé leurs opinions doivent être libérées immédiatement et sans conditions », a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Ces poursuites envoient un mauvais signal en cette période et constituent un grave retour en arrière concernant la liberté d’expression dans le pays. Le fait de remettre en cause les mesures gouvernementales ou celui de critiquer les failles et les lacunes dans la gestion de la pandémie ne sont pas des crimes reconnus par la loi. »
Le 13 avril, le blogueur Anis Mabrouki a publié sur sa page Facebook une vidéo montrant une foule rassemblée devant la mairie fermée de Tebourba (une ville située à 30 kilomètres de la capitale, Tunis) pour réclamer l’aide financière promise par le gouvernement dans le contexte du confinement lié au COVID-19. Le lendemain, il a reçu des autorités une lettre de convocation après que le maire eut porté plainte contre lui.
La libre circulation des informations et la confiance de la population sont particulièrement importantes en cette période. Les personnes arrêtées pour avoir exprimé leurs opinions doivent être libérées immédiatement et sans conditions.
Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International
Selon son avocat, Mohammed Ali Bouchiba, qui l’a accompagné au tribunal, Anis Mabrouki a comparu devant le procureur le 15 avril et a été inculpé de s’être « rendu coupable de bruit ou tapage de nature à troubler la tranquillité des habitants » et d’avoir « imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité », en vertu des articles 316 et 128 du Code pénal, respectivement.
La chambre correctionnelle du tribunal de première instance de La Manouba a rejeté la demande de remise en liberté dans l’attente de son procès déposée par ses avocats, et a fixé la date de la prochaine audience au 30 avril.
Hajer Awadi, blogueuse et militante politique, a publié le 12 avril sur sa page Facebook une vidéo dans laquelle elle relatait des informations qu’elle avait recueillies sur la corruption des autorités et la distribution insuffisante de denrées alimentaires de base dans sa région, Le Kef, dans le nord-ouest de la Tunisie. Dans sa vidéo, elle affirmait également qu’elle et son oncle avaient été agressés et menacés d’arrestation par la police locale quand ils étaient allés se plaindre de la corruption.
Ces poursuites envoient un mauvais signal en cette période et constituent un grave retour en arrière concernant la liberté d'expression dans le pays. Le fait de remettre en cause les mesures gouvernementales ou celui de critiquer les failles et les lacunes dans la gestion de la pandémie ne sont pas des crimes reconnus par la loi.
Amna Guellali, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International
Hajer Awadi et son oncle ont été arrêtés une heure après la publication de la vidéo, d’après l’avocat de la jeune femme, qui était présent lors de son interrogatoire par la police. Ils ont comparu le lendemain devant le procureur du tribunal de première instance du Kef, qui les a inculpés d’« outrage à un fonctionnaire public » en vertu de l’article 125 du Code pénal et de s’être « rendus coupables de bruit ou tapage de nature à troubler la tranquillité des habitants » en vertu de l’article 316 du Code pénal. Ils encourent jusqu’à un an d’emprisonnement et une amende.
« Les autorités tunisiennes devraient chercher à réduire le nombre de personnes placées en détention provisoire pour avoir simplement exprimé leurs opinions et à limiter autant que possible les risques de contamination par le COVID-19. Les cas de ce blogueur et de cette blogueuse devraient venir rappeler à quel point il est urgent de réformer les lois archaïques toujours en vigueur qui permettent d’engager des poursuites pénales pour le simple exercice de la liberté d’expression », a déclaré Amna Guellali.
Complément d’information
Amnesty International a recensé un nombre croissant de poursuites engagées contre des blogueurs ou blogueuses, des journalistes et des militant·e·s sur la base de lois qui érigent en infraction la liberté d’expression, notamment les discours considérés comme agressifs ou diffamatoires à l’égard non seulement des personnes mais aussi des institutions de l’État, ainsi que les discours jugés susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte à la morale.
La Constitution tunisienne de 2014 garantit le droit à la liberté d’expression dans son article 31. En outre, la Tunisie est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit également le droit à la liberté d’expression.