Le 20 juin 2019, la Cour d’appel du Royaume-Uni a statué que la décision du gouvernement britannique de continuer d’octroyer des licences d’exportation pour des équipements militaires à destination de l’Arabie Saoudite est illégale, se prononçant sur une action en justice intentée par l’ONG Campaign Against the Arms Trade (CAAT), conjointement avec Amnesty International, Human Rights Watch et Rights Watch UK.
« Cette décision judiciaire est une bonne nouvelle – et elles sont rares – pour la population du Yémen. Au cours de quatre années d’une guerre dévastatrice, la coalition que dirige l’Arabie Saoudite a tué des milliers de civils au Yémen, détruit des maisons, des écoles et des hôpitaux dans le cadre de frappes aériennes menées sans discernement, a déclaré Lucy Claridge, directrice des actions en justice à visée stratégique à Amnesty International.
« C’est la première fois qu’un tribunal britannique reconnaît les risques posés par l’exportation massive vers l’Arabie Saoudite d’équipements militaires destinés à être utilisés au Yémen. Nous saluons cette décision, un grand pas en avant pour éviter de nouvelles effusions de sang. »
Les recherches menées par les ONG constituent des éléments de preuve fiables
La Cour a mis en avant un aspect crucial : l’importance des recherches menées par Amnesty, d’autres ONG et l’ONU, qui constituent des éléments de preuve fiables quant aux risques inhérents à l’approbation d’exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite, que le secrétaire d’État doit désormais prendre dûment en compte lorsqu’il donne son aval.
Sur la question de savoir si les éléments de preuve pointant des violations commises par le passé doivent être pris en compte lors de l’évaluation des risques manifestes de violations futures, la Cour a déclaré :
« De notre point de vue, c’est évidemment correct. Comment pourrait-il raisonnablement en être autrement ? »
Nous saluons cette décision, un grand pas en avant pour éviter de nouvelles effusions de sang.
Lucy Claridge, directrice des actions en justice à visée stratégique à Amnesty International
Conséquence de ce jugement, l’annulation des décisions du secrétaire d’État de ne pas suspendre les licences d’exportations en cours et d’en octroyer de nouvelles. Il s’est engagé à ne pas accorder de nouvelles licences pour les exportations d’armes ou d’équipements militaires vers l’Arabie Saoudite pouvant être utilisés dans le cadre du conflit au Yémen, jusqu’à ce que ces décisions s’appuient de nouveau sur un fondement légal adéquat, à moins qu’il ne demande et n’obtienne un report de la décision de la Cour.
« Nous demandons au secrétaire d’État de reconsidérer ces décisions de toute urgence et ne doutons pas que le résultat sera une suspension, a déclaré Lucy Claridge.
« Nous espérons que cela permettra de clore un chapitre d’impunité honteuse et d’amorcer un contrôle accru d’autres grands fournisseurs d’armes à l’Arabie Saoudite, comme la France et les États-Unis. Nous demandons la suspension immédiate de tous les transferts d’armes à toutes les parties au conflit qui les utilisent au Yémen. »
Les rapports d’Amnesty International sur le Yémen
Des informations nombreuses et crédibles, y compris les recherches menées au Yémen par Amnesty International, montrent que des équipements et des armes similaires à celles exportées par le Royaume-Uni, dont des armes de fabrication britannique, ont à maintes reprises été utilisées pour commettre de graves violations du droit international humanitaire, dont de possibles crimes de guerre.
Selon des informations en libre accès, l’Arabie Saoudite n’a pas dûment enquêté sur ces violations et n’a pas amené les responsables présumés à rendre des comptes. Aussi, Amnesty International considère qu’il existe un risque manifeste que l’approbation de nouvelles exportations d’armes se traduise par de nouvelles violations des droits humains au Yémen, ce qui irait à l’encontre des obligations incombant au Royaume-Uni au titre du droit national et international.
Il existe un risque manifeste que l’approbation de nouvelles exportations d’armes se traduise par de nouvelles violations des droits humains au Yémen.
Suspension des transferts d’armes vers l’Arabie Saoudite
Plusieurs pays – dont les Pays-Bas, la Belgique (région flamande) et la Grèce – ont suspendu partiellement ou totalement les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis.
D’autres pays – tels que l’Autriche, l’Irlande la Suède et la Suisse – ont adopté des mesures restrictives en matière d’exportations vers l’Arabie Saoudite. Au lendemain du meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, plusieurs États européens, notamment l’Allemagne, la Norvège, la Finlande et le Danemark, ont également annoncé qu’ils allaient suspendre les transferts d’armes à destination de l’Arabie Saoudite.
Complément d’information sur cette affaire
Le CAAT a intenté une action en justice en 2016 contre le ministre britannique des Entreprises, de l’Innovation et des Compétences. Le CAAT conteste la légalité de la décision prise par le gouvernement britannique de continuer de délivrer des licences pour des exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite, en dépit du risque manifeste que ces armes ne servent à commettre des violations du droit international au Yémen.
La Haute Cour du Royaume-Uni a examiné le dossier pour la première fois en février 2017 et Amnesty International, Human Rights Watch et Rights Watch UK sont intervenus à ce moment-là. La Haute Cour a classé l’affaire présentée par le CAAT et a statué le 10 juillet 2017 que le gouvernement n’agissait pas de manière illégale en continuant d’autoriser des exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite. En mai 2018, le CAAT a reçu le feu vert pour faire appel et c’est sur ce recours examiné en avril 2019 que la Cour d’appel s’est prononcée aujourd’hui. L’intervention conjointe d’Amnesty International a porté sur la façon dont un risque manifeste est établi, le caractère fiable des rapports de recherche des ONG et la valeur de ces informations pour évaluer ce risque.
Amnesty International entre autres a recueilli des informations sur les graves violations du droit international humanitaire, dont de possibles crimes de guerre, commises par tous les belligérants au Yémen. C’est le cas du groupe armé houthi et des forces alliées qui utilisent sans discernement des munitions explosives à large champ d’action, dont des obus de mortier et d’artillerie, en direction de zones habitées, tuant et blessant des civils.