Les citoyens cubains soupçonnés de critiquer de quelque manière que ce soit les conditions de vie dans le pays risquent d’être victimes de harcèlement au travail ou même de se retrouver sans emploi, les autorités utilisant leur contrôle du marché du travail comme un moyen de pression supplémentaire, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport publié le 16 novembre.
Le rapport intitulé Your mind is in prison démontre que des décennies d’utilisation arbitraire des lois pénales et d’autres pratiques illégales, comme des licenciements discriminatoires et abusifs de postes de la fonction publique et d’autres actes de harcèlement dans le secteur privé émergent, ont mené à un système où même les Cubains qui ne sont pas engagés politiquement doivent éviter de critiquer le gouvernement s’ils souhaitent garder leur emploi.
De nombreux Cubains se sentent pris au piège par l’État qui contrôle leur vie quotidienne. L’un de ces moyens de contrôle consiste à faire comprendre aux Cubains que s’ils veulent garder leur emploi, ils doivent être d’accord avec tout ce que dit le gouvernement
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International
« De nombreux Cubains se sentent pris au piège par l’État qui contrôle leur vie quotidienne. L’un de ces moyens de contrôle consiste à faire comprendre aux Cubains que s’ils veulent garder leur emploi, ils doivent être d’accord avec tout ce que dit le gouvernement », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.
« Le retrait du président Raúl Castro en février 2018 représentera une occasion pour Cuba d’ouvrir un dialogue constructif sur les droits humains. Il est indispensable que le pays commence à procéder aux changements nécessaires pour que la liberté d’expression devienne une réalité pour la population. »
Le gouvernement cubain est le principal employeur du pays : environ 70 % des postes disponibles sont concentrés dans le secteur public. Le gouvernement contrôle également le secteur privé émergent hautement régulé.
Cuba est le seul pays de la région des Amériques où Amnesty International ne peut pas se rendre. Les chercheurs de l’organisation se sont entretenus avec plus de 60 migrants cubains dans plusieurs villes du Mexique, afin de recueillir leurs témoignages sur la vie quotidienne dans un pays où la liberté d’expression est depuis longtemps restreinte.
La plupart des personnes interrogées n’avaient jamais ouvertement critiqué le système politique et économique de Cuba et n’avaient participé à aucune forme de militantisme ou d’opposition politique. Pourtant, environ la moitié de ces personnes ont déclaré avoir été arrêtées et emprisonnées au moins une fois, principalement pour des accusations liées à des infractions contraires au droit international.
Une femme qui était vendeuse a par exemple déclaré à Amnesty International qu’elle avait passé huit mois en prison en 2011 pour avoir « acheté du bœuf illégalement ». Un juge l’a finalement acquittée après avoir statué qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier sa détention.
Le Code pénal cubain prévoit également tout un éventail de sanctions basées sur la propension d’une personne à commettre une infraction et sur la probabilité perçue qu’une personne commette des actes qui pourraient être considérés comme « anti-sociaux ». Le Code pénal sanctionne également ceux ayant des relations avec des personnes que les autorités considèrent comme « potentiellement dangereuses pour la société » ou qui « représentent une menace pour l’ordre social, économique et politique de l’État socialiste ».
Tout est illégal à Cuba
Un ancien agent de la sécurité de l’État
« Tout est illégal à Cuba », a déclaré un ancien agent de la sécurité de l’État dont le travail était d’infiltrer des lieux de travail pour surveiller les employés du pays.
Les personnes qui sont en désaccord, même léger, avec les politiques du gouvernement cubain sont soit licenciées arbitrairement, soit harcelées par l’État jusqu’à ce qu’elles aient l’impression qu’elles n’ont pas d’autre choix que démissionner ou quitter le pays. Une fois que l’on a été renvoyé d’un poste de fonctionnaire pour avoir exprimé une opinion critique, il est presque impossible de trouver un autre emploi dans la fonction publique.
La plupart des Cubains avec qui Amnesty International s’est entretenue ont déclaré que lorsqu’ils s’étaient présentés à des employeurs du secteur public après avoir été licenciés, leur candidature avait été rejetée et on leur avait simplement dit « tu n’es pas fiable ». Cette expression, qui sous-entend clairement qu’une personne n’est pas fiable politiquement aux termes de l’idéologie de l’État, est souvent la seule explication fournie par les employeurs qui rejettent la candidature d’une personne.
Jorge Luis, un sportif médaillé, a déclaré qu’après avoir dit lors d’un entretien à la télévision publique que le gouvernement cubain ne finançait pas le sport, il a été progressivement exclu de son sport et a été licencié de son emploi dans la fonction publique. Il a simplement été informé qu’il ne remplissait plus les conditions nécessaires à son travail.
Il a déclaré qu’on lui a donné 20 jours pour trouver un autre emploi, faute de quoi la police a indiqué qu’il serait inculpé de « dangerosité ». Il lui a été impossible de trouver un autre emploi, car partout où il allait, les employeurs lui disaient qu’il était « contre-révolutionnaire ». Dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa famille, il a décidé de quitter Cuba.
Les personnes qui perdent leur emploi en raison de leurs opinions politiques n’ont aucun moyen de contester leur licenciement. La plupart de ces personnes ont déclaré que le seul syndicat officiel à Cuba ne les a pas représentées et qu’elles n’ont pas pu s’affilier à un syndicat indépendant. Aucune des personnes interrogées n’a fait appel de son licenciement devant les tribunaux, car elles considèrent que ces tribunaux sont entièrement contrôlés par le gouvernement.
« Pourquoi faire appel à un avocat si cet avocat fait partie de ce même gouvernement ? », a déclaré un homme de 31 ans qui a essayé de quitter Cuba six fois en bateau et a ensuite été empêché d’obtenir un emploi et a été harcelé par la police.
En dépit des récentes modifications de la législation migratoire à Cuba, le fait d’essayer de quitter le pays en bateau reste une infraction. Tout comme ceux qui exercent pacifiquement leur droit à liberté d’expression, ceux qui essaient de quitter le pays sont arrêtés et empêchés d’accéder à des emplois de la fonction publique et sont qualifiés de « déserteurs », de « traitres » et de « contre-révolutionnaires ».
« Le fait que les autorités ne respectent pas les droits humains des Cubains a des conséquences non seulement pour les personnes directement prises pour cible en raison de leur militantisme, mais également pour le quotidien et les espoirs des Cubains de tous horizons. »
« Si les autorités cubaines veulent montrer qu’elles sont réellement déterminées à faire évoluer les choses, elles doivent revoir toutes les lois pénales qui bafouent les normes internationales et mettre fin à tous les licenciements discriminatoires et abusifs et au harcèlement destiné à réduire au silence toute forme de critique. Tant que cela ne sera pas fait, le pays continuera d’être une prison pour l’esprit de sa population », a déclaré Erika Guevara-Rosas.
Le fait que les autorités ne respectent pas les droits humains des Cubains a des conséquences non seulement pour les personnes directement prises pour cible en raison de leur militantisme, mais également pour le quotidien et les espoirs des Cubains de tous horizons
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International