Les Nations unies doivent prendre des mesures fermes en réaction aux nouveaux éléments crédibles selon lesquels des soldats de maintien de la paix de l’ONU auraient drogué et violé une jeune femme en République centrafricaine, a déclaré Amnesty International le 11 octobre 2017 après avoir interrogé la victime et 10 personnes ayant eu directement connaissance des faits.
Les recherches de terrain menées par l’organisation ont révélé qu’un ou plusieurs casques bleus mauritaniens auraient violé une jeune femme de 19 ans dans la ville de Bambari, au centre du pays, dans la soirée du 30 septembre 2017.
« Nous avons découvert des éléments convaincants qui laissent à penser qu’une jeune femme a été violée par un ou des soldats de la paix mauritaniens, a déclaré Joanne Mariner, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International. Les pouvoirs publics de la ville de Bambari ont confirmé le viol et l’ONU a ouvert une enquête.
Les casques bleus sont déployés en République centrafricaine pour protéger les civils contre les violences, et non pour en commettre.
Joanne Mariner, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International
« Si elles sont corroborées, ces graves accusations de viol doivent donner lieu au rapatriement, à la suspension et à la poursuite en justice des casques bleus dont la responsabilité pénale serait engagée. En outre, l’ONU doit veiller à ce que la victime reçoive un soutien et une indemnisation. Ses forces de maintien de la paix sont déployées en République centrafricaine pour protéger les civils contre les violences, et non pour en commettre. »
La jeune femme de 19 ans a déclaré à Amnesty International que le viol s’était déroulé juste à côté d’un poste de contrôle tenu par un groupe de casques bleus mauritaniens faisant partie de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA). Elle a raconté qu’elle rentrait chez elle à pied d’un enterrement, vers 21 heures, et, ne se sentant pas bien, avait accepté le thé que lui ont offert les soldats.
Selon son témoignage, elle s’est évanouie peu après avoir bu le thé et s’est réveillée plusieurs heures plus tard, allongée par terre, presque nue.
Un gardien et un soignant du centre médical adjacent au poste de contrôle ont trouvé la jeune femme au milieu de la nuit. Elle était vraiment mal et semblait droguée. Ils l’ont transportée dans un lit et lui ont administré des fluides par voie intraveineuse.
Ils ont déclaré à Amnesty International qu’un soldat mauritanien du poste de contrôle s’était présenté à deux reprises au centre médical au cours de la nuit pour demander où se trouvait la jeune femme.
Au matin, ayant suffisamment récupéré pour tenir des propos cohérents, elle a déclaré au soignant qu’elle pensait avoir été violée.
Cette affaire fera jurisprudence pour les forces de maintien de la paix de l'ONU.
Joanne Mariner, Amnesty International
Le personnel soignant d’un hôpital local a effectué des tests sur la victime et déclaré à Amnesty International avoir trouvé des éléments attestant qu’elle avait été droguée et soumise à des violences sexuelles, notamment du sperme. Ils ont donné à la jeune femme une contraception d’urgence et un traitement anti-VIH.
Les autorités à Bambari ont ouvert une information judiciaire sur cette affaire. Selon le procureur local, il s’agit de la première procédure de ce type visant des casques bleus de l’ONU.
Malgré toute une série d’allégations solidement étayées de viols imputés aux forces de l’ONU à Bambari, notamment à des casques bleus déployés par la République démocratique du Congo, aucune autre affaire n’a débouché sur une enquête judiciaire.
Alors qu’Amnesty International était présente à Bambari début octobre, la victime et des témoins se sont présentés à la police pour déposer leur déclaration. En outre, le soignant a identifié le soldat mauritanien qui s’était présenté au centre de soins au milieu de la nuit à la recherche de la jeune femme de 19 ans.
Des travailleurs du secteur qui se sont rendus sur les lieux très tôt dans la matinée ont déclaré avoir vu des préservatifs et des emballages de préservatifs à l’endroit précis où aurait eu lieu le viol. Plus tard dans la matinée, la police a photographié au moins un emballage de préservatif sur place, ainsi que les traces d’un matériau qui proviendrait des bottes des soldats mauritaniens.
Le procureur de Bambari a transmis le dossier au procureur général de la République centrafricaine en vue d’une action diplomatique. Si les soldats de l’ONU jouissent de l’immunité contre des poursuites pénales au niveau national, il incombe aux pays fournisseurs de contingents d’enquêter sur les crimes imputés à leurs soldats et de les poursuivre en justice.
Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Bangui le 10 octobre, les autorités locales auraient dénoncé le problème plus large des atteintes sexuelles dont se rendent responsables les forces de maintien de la paix de l’ONU.
« Cette affaire fera jurisprudence pour les forces de maintien de la paix de l’ONU, a déclaré Joanne Mariner.
« Au regard de sa politique affichée de tolérance zéro, nous attendons de l’ONU qu’elle prenne cette affaire très au sérieux et décide de mesures vigoureuses en vue de garantir que les autorités mauritaniennes feront de même. Sa réponse à cette affaire sera suivie de très près. »
Lors d’une rencontre avec Amnesty International la semaine dernière, Parfait Onanga-Anyanga, qui dirige la MINUSCA, a souligné que l’ONU prenait ces allégations très au sérieux et avait immédiatement envoyé une équipe d’enquêteurs à Bambari. Il a promis que l’ONU prendrait des mesures décisives si ces allégations étaient corroborées.
La victime de 19 ans a déclaré à Amnesty International qu’elle souhaitait que l’ONU enquête sur ce crime et que les responsables aillent en prison. Tout comme elle a fait une déposition de son plein gré à la police locale, elle se dit prête à raconter tout ce qui s’est passé aux enquêteurs de l’ONU ou de Mauritanie.
Complément d’information
Un chercheur d’Amnesty International à Bambari a interrogé 11 personnes ayant eu directement connaissance des faits, dont la victime, des membres de sa famille, les soignants qui l’ont prise en charge et des témoins qui se sont rendus sur les lieux du viol présumé tôt ce matin-là, ainsi que des policiers locaux et les autorités locales chargées d’engager des poursuites.
À plusieurs reprises, Amnesty International avait déjà recensé des allégations de viol et de violences sexuelles visant la MINUSCA et d’autres forces de maintien de la paix en République centrafricaine, notamment le viol d’une fillette de 12 ans, à Bangui, en août 2015.