Depuis son arrivée à la présidence des Philippines il y a un an, Rodrigo Duterte et son administration ont présidé à toute une série de violations des droits humains, intimidé et emprisonné des personnes critiques à leur égard et créé un climat de non-respect des lois, a déclaré Amnesty International le jeudi 29 juin.
Tirant parti de sa position au plus haut niveau de l’État, Rodrigo Duterte a explicitement approuvé la violence qui, dans le cadre de la campagne gouvernementale de lutte contre la drogue, a conduit à des milliers d’exécutions extrajudiciaires, soit davantage que le nombre de personnes tuées sous le régime meurtrier de Ferdinand Marcos, de 1972 à 1981.
« Rodrigo Duterte est arrivé au pouvoir en promettant de débarrasser les Philippines de la criminalité. Au lieu de cela, des gens ont été tués par milliers par des policiers– ou à l’instigation de policiers – qui agissent en dehors du cadre de la loi, sur les ordres d’un président qui n’a montré que mépris pour les droits humains et pour les personnes qui les défendent, a déclaré James Gomez, directeur d’Amnesty International pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique.
« La campagne violente de Rodrigo Duterte n’a pas mis fin à la criminalité, ni résolu les problèmes liés aux drogues. En revanche, elle a fait du pays un lieu plus dangereux encore, porté un nouveau coup à l’état de droit et valu à Rodrigo Duterte une triste notoriété de dirigeant responsable de la mort de milliers de ses propres citoyens ».
En février, Amnesty International a publié une enquête accablante, qui montrait comment la police en est venue à ressembler à une organisation criminelle, tuant – ou payant d’autres personnes pour tuer – principalement des personnes pauvres soupçonnées de consommation et de vente de drogue, tout en volant les biens des victimes, plaçant de fausses preuves et échappant à toute obligation de rendre des comptes.
La campagne violente de Rodrigo Duterte n'a pas mis fin à la criminalité, ni résolu les problèmes liés aux drogues. En revanche, elle a fait du pays un lieu plus dangereux encore, porté un nouveau coup à l’état de droit et valu à Rodrigo Duterte une triste notoriété de dirigeant responsable de la mort de milliers de ses propres citoyens.
James Gomez, directeur d'Amnesty International pour l'Asie du Sud-Est et le Pacifique
L’organisation de défense des droits humains a relevé avec inquiétude qu’il n’y avait pas eu d’enquête en bonne et due forme sur ces exécutions extrajudiciaires généralisées, qui peuvent s’apparenter à des crimes contre l’humanité. En réponse au rapport d’Amnesty International, le ministre de la Justice des Philippines a affirmé froidement que les personnes tuées ne faisaient pas partie de l’humanité.
En mai, lorsque le bilan des Philippines en matière de droits humains a été examiné dans le cadre de l’Examen périodique universel (EPU) sous les auspices du Conseil des droits de l’homme [ONU], plus de 40 États ont exprimé des inquiétudes au sujet de la vague d’exécutions extrajudiciaires et du projet gouvernemental de rétablissement de la peine de mort pour les infractions liées à la drogue – qui constituerait une violation des obligations incombant aux Philippines en vertu du droit international.
Amnesty International appelle le gouvernement à inviter le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires à effectuer une visite officielle dans le pays, et engage le Conseil des droits de l’homme à diligenter une enquête des Nations unies sur la « guerre contre la drogue ».
Une guerre contre les pauvres
La « guerre contre la drogue » de Rodrigo Duterte a affecté en très grande majorité les habitants des quartiers les plus pauvres. Dans les bidonvilles des agglomérations philippines, les cadavres ensanglantés sont purement et simplement abandonnés dans la rue, parfois avec une pancarte infamante portant la mention « pusher » (« trafiquant »), comme si leurs actes avaient rendu leur destin inévitable.
La police perçoit des dessous-de-table pour commettre les meurtres, opérant à partir de listes de noms établies par les autorités locales. Elle recrute également des tueurs à gages pour exécuter ses basses œuvres.
Au lieu de soumettre la police à l’obligation de rendre compte de ses actes, Rodrigo Duterte a promis de la protéger, affirmant récemment qu’il ne permettrait qu’aucun soldat ou policier soit envoyé en prison pour avoir « détruit l’industrie de la drogue ». Dans une affaire très médiatisée concernant Rolando Espinosa Sr., maire de la ville d’Albuera, et son compagnon de cellule, abattus en garde à vue, les charges de meurtre pesant sur la police ont été requalifiées en homicide – ne reflétant plus la gravité des faits.
« Le gouvernement Duterte s’est opposé à l’obligation de rendre des comptes à toutes les étapes. Les autorités n’ont pas mené d’enquête en bonne et due forme et il n’y a pas eu de coopération avec le Rapporteur spécial des Nations unies. Le procureur de la Cour pénale internationale peut ordonner une enquête préliminaire sur ces exécutions de masse. Compte tenu de l’impunité généralisée, c’est peut-être la meilleure option », a déclaré James Gomez.
Lorsque les droits humains et l’état de droit sont mis de côté, la police devient corrompue et s’enhardit, et les gens ordinaires en pâtissent.
James Gomez, directeur d'Amnesty International pour l'Asie du Sud-Est et le Pacifique
Peine de mort
Le mépris du gouvernement Duterte pour le droit international relatif aux droits humains est particulièrement manifeste au vu de sa tentative de rétablir la peine de mort pour les infractions liées à la drogue. Ce serait une décision illégale, les Philippines étant parties au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Exécuter des personnes pour des infractions liées à la drogue constitue également une violation du droit international.
« Au cours d’une année où les Philippines président l’ASEAN et devraient encourager d’autres États membres à se débarrasser de ce châtiment cruel et irréversible, Rodrigo Duterte entraîne la région dans la mauvaise direction, avec de graves conséquences pour des vies humaines. Le Sénat philippin doit rejeter cette initiative, qui constitue une régression pour le pays, et abandonner une fois pour toutes le projet de loi sur la peine de mort », a déclaré James Gomez.
Menaces visant les défenseurs des droits humains
Le président Duterte a également menacé, l’année dernière, de « tuer » les militants des droits humains et, dans une déclaration faite au Palais présidentiel en mai 2017, de « décapiter » les défenseurs des droits humains qui critiquaient le bilan du pays. Sa principale opposante, la sénatrice Leila de Lima, est derrière les barreaux, sous la garde de la police.
« Il est à craindre que le non-respect des lois ne se répande dans le pays. Lorsque les droits humains et l’état de droit sont mis de côté, la police devient corrompue et s’enhardit, et les gens ordinaires en pâtissent. Les forces de sécurité sont tenues de respecter le droit international et les normes internationales. Quand elles s’en abstiennent, rien ne les différencie des personnes qu’elles sont censées affronter », a déclaré James Gomez.
Loi martiale
La campagne meurtrière de lutte contre la drogue menée par le gouvernement l’a également détourné d’autres problèmes dans le pays. Le 23 mai 2017, Rodrigo Duterte a déclaré la loi martiale sur l’île méridionale de Mindanao pour une période de 60 jours, les forces de sécurité ayant été surprises par des groupes armés qui se sont emparés de la ville de Marawi. En vertu du droit international, les mesures d’urgence doivent avoir une portée et une durée limitées, et ne peuvent servir de prétexte pour négliger les droits humains.