Mise à jour
24 mai : Les autorités bahreïnites ont déclaré que 5 hommes ont été tués dans le cadre de la violente répression à Duraz.
Les événements inquiétants du 23 mai témoignent une nouvelle fois des conséquences de l’impunité endémique dont jouissent les forces de sécurité. Il faut une enquête rapide et indépendante, en vue de poursuivre les responsables présumés de l’homicide illégal et d’un recours à la force arbitraire ou abusif. Les autorités doivent maîtriser les forces de sécurité, leur ordonner de respecter strictement les normes internationales relatives à l’usage de la force par la police et garantir le droit de manifester pacifiquement
Samah Hadid, directrice des Campagnes au sein d’Amnesty International pour le Moyen-Orient
À Duraz, les forces de sécurité bahreïnites ont recouru à une force excessive contre des manifestants pour la plupart pacifiques, dans le cadre d’une répression lancée contre ce village assiégé par les autorités depuis 11 mois, selon les éléments de preuve dévoilés par Amnesty International.
Au moins une personne a été tuée et des centaines blessées lorsque les forces de sécurité ont tiré des grenailles avec des fusils et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. D’après des sources d’Amnesty International, lors des violents affrontements, des descentes ont été effectuées dans les habitations entourant celle du guide spirituel chiite Issa Qassem et leurs habitants ont été arrêtés.
« Les événements inquiétants du 23 mai témoignent une nouvelle fois des conséquences de l’impunité endémique dont jouissent les forces de sécurité. Il faut une enquête rapide et indépendante, en vue de poursuivre les responsablesprésumés de l’homicide illégal et d’un recours à la force arbitraire ou abusif. Les autorités doivent maîtriser les forces de sécurité, leur ordonner de respecter strictement les normes internationales relatives à l’usage de la force par la police et garantir le droit de manifester pacifiquement, a déclaré Samah Hadid, directrice des Campagnes au sein d’Amnesty International pour le Moyen-Orient.
« D’après nos informations, la police a chargé une manifestation qui avait pourtant démarré de manière pacifique. Les normes internationales exigent que les responsables de l’application des lois ne recourent pas à la force létale, sauf si elle est inévitable pour protéger contre une menace à la vie ou un risque de blessure grave. »
Le 23 mai, à l’aube, des centaines de véhicules blindés et de transport de troupes ont encerclé le village de Duraz, où réside le cheikh Issa Qassem. Vers 00h30, les mosquées du secteur avaient à l’aide de haut-parleurs appelé les habitants à marcher vers la maison d’Issa Qassem. Dans cette maison était organisé depuis juin 2016 un sit-in permanent pour protester contre la décision du gouvernement de révoquer de manière arbitraire la nationalité d’Issa Qassem et de bloquer toutes les entrées vers Duraz, à l’exception de deux routes où des postes de contrôle ont été installés pour repousser toute personne qui n’est pas un habitant du village.
Un témoin a déclaré à Amnesty International qu’elle avait vu des centaines de véhicules de sécurité du ministère de l’Intérieur et une vingtaine de véhicules de la sécurité nationale se diriger vers le domicile d’Issa Qassem. À 7 heures, des centaines de personnes ont défilé pacifiquement à Duraz pour protester, avant que les affrontements avec les forces de sécurité n’éclatent vers 8 heures. De violents heurts se poursuivent dans la région. Selon certaines informations, ceux qui tentent de quitter Duraz se font tirer dessus par les forces de sécurité.
Au moins un homme, Mohamed Kazem Mohsen Zayn al Deen, défenseur de l’environnement de 39 ans, a succombé à ses blessures. Il avait reçu des grenailles dans la tête. D’après une source, il aurait tenté de bloquer les forces de sécurité qui cherchaient à pénétrer dans la maison d’Issa Qassem lorsqu’il s’est fait tirer dessus. Un autre homme a été conduit à l’hôpital et son pronostic vital est engagé. Sa blessure à l’estomac a été causée par des grenailles. Des centaines de personnes ont été blessées, dont quatre grièvement. Selon des sources sur le terrain, ceux qui ne sont pas grièvement blessés ne vont pas à l’hôpital par peur d’être arrêtés et préfèrent recevoir l’aide de bénévoles formés aux premiers secours.
Amnesty International s’est entretenue avec des témoins qui ont déclaré avoir vu quatre hélicoptères survoler Duraz et tirer sur les manifestants des gaz lacrymogènes. Selon l’un de ces témoins, elle n’avait encore jamais vu une telle quantité de gaz lacrymogènes : « Si l’on ouvre les fenêtres, les gaz entrent. »
Selon d’autres témoins, des hélicoptères ont tiré des gaz lacrymogènes sur les manifestants dans le village voisin de Bani Jamra et certains manifestants dans ce village ont été blessés par des tirs de grenailles. Au moins sept autres villages ont été le théâtre de manifestations.
En outre, Amnesty International a vérifié des images où l’on peut voir un membre des forces de sécurité à Duraz qui tient une mitraillette Heckler & Koch MP-5 9 mm, tandis que d’autres sont armés de fusils, ainsi que d’autres images d’un policier portant une arme à feu alors qu’il effectue une descente dans une maison à Duraz.
Le 23 mai, vers minuit 40, Amnesty International a reçu des informations selon lesquelles les forces de sécurité avaient encerclé la maison d’Issa Qassem et les maisons alentour, et tiré des gaz lacrymogènes à l’intérieur avant de s’y introduire. Un cordon de barbelés a été érigé autour de la maison et 50 personnes ont été arrêtées, selon une déclaration du ministère de l’Intérieur.
Issa Qassem ne compte pas parmi les personnes actuellement détenues. Toutefois, il est à craindre que les autorités ne l’arrêtent et ne l’expulsent de force du pays, comme ce fut le cas pour d’autres personnes arbitrairement déchues de leur nationalité en 2015 et 2016.
Complément d’information
Dimanche 21 mai, Issa Qassem a été condamné à un an de prison pour « blanchiment d’argent et levée de fonds publics sans obtenir d’autorisation », la sentence ayant été suspendue pendant trois ans. Cette accusation est liée au fait qu’il a reçu des khums, obligation religieuse pour les musulmans chiites de donner un cinquième de leurs revenus annuels à leur guide spirituel ou son représentant qui, à son tour, le distribue aux pauvres. C’est une coutume pratiquée par la communauté chiite à Bahreïn depuis des siècles. Issa Qassem est le guide spirituel du parti d’opposition al Wefaq, dissous en juillet 2016.
Des appels ont été lancés aux manifestants pour marcher vers Duraz et tenter de briser le blocus mis en place par les forces de sécurité depuis juin 2016. La situation demeure très instable.
Le gouvernement de Bahreïn écrase systématiquement tous ceux qui osent le critiquer depuis le soulèvement de 2011. Le pays se trouve au bord d’une crise des droits humains depuis janvier 2017, à la suite de l’exécution de trois hommes qui a déclenché des manifestations dans plus de 20 villages, dont Duraz, avec des centaines de participants. Les forces de sécurité ont utilisé des gaz lacrymogènes et des tirs de grenaille contre les manifestants et, dans certains cas, des munitions antiémeutes à létalité réduite et des balles réelles.
Amnesty International a vérifié des images vidéos montrant des hommes armés portant des cagoules noires tirer avec des fusils semi-automatiques Benelli lors des affrontements à Duraz le 26 janvier 2017. Ce matin-là, Mustapha Hamdan, 18 ans, a été touché à la tête par une balle réelle, non loin de l’arrière de la maison d’Issa Qassem. Il a succombé à ses blessures le 24 mars.