Fidji. Il faut abandonner les poursuites pour sédition motivées par des considérations politiques contre le journal The Fiji Times

Les autorités fidjiennes doivent immédiatement abandonner les poursuites pour sédition motivées par des considérations politiques contre l’organe de presse The Fiji Times, a déclaré Amnesty International lundi 27 mars.

« En poursuivant The Fiji Times pour sédition, les autorités fidjiennes emploient une tactique grossière afin d’intimider et réduire au silence l’un des rares médias indépendants encore en activité dans le pays », a déclaré Josef Benedict, directeur adjoint pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique à Amnesty International.

« Les journalistes et les organes de presse doivent être autorisés à faire leur travail légitime librement sans craindre des représailles. Les années sombres du pays, lorsque les censeurs officiels arpentaient les salles de presse fidjiennes, indiquant ce qui pouvait ou ne pouvait pas être imprimé, doivent rester dans le passé. »

Le parquet fidjien a modifié vendredi 24 mars les chefs d’accusation dans une affaire en cours contre The Fiji Times Limited pour l’inculper de sédition, faisant ainsi encourir au propriétaire de l’organe de presse Hank Arts, aux rédacteurs en chef Fred Wesley et Anare Ravula, ainsi qu’à l’auteur d’un courrier jusqu’à sept ans d’emprisonnement. S’ils étaient incarcérés, Amnesty International les considérerait comme des prisonniers d’opinion.

L’inculpation de sédition sera examinée par la justice mardi 28 mars, à Suva, la capitale fidjienne.

The Fiji Times Limited est l’un des plus anciens organes de presse du monde. Il publie le quotidien en langue anglaise The Fiji Times, fondé en 1869, et l’hebdomadaire en langue fidjienne Nai Lalakai.

Le parquet poursuivait initialement The Fiji Times Limited en justice pour incitation à l’« antagonisme communautaire » en réaction à la publication d’un courrier de lecteur dans l’hebdomadaire en langue fidjienne du groupe Nai Lalakai le 27 avril 2016.

La lettre contenait des idées controversées sur les musulmans. Elle n’avait pas été rédigée par un membre du personnel de The Fiji Times Limited, mais par un membre du public et elle était publiée dans la section courrier des lecteurs, sans que le journal ne soutienne les points de vue exprimés dans la lettre.

« La lettre était détestable, mais son auteur a le droit d’avoir son opinion, tant que celle-ci n’incite pas à la violence. Les autorités manquent à leur obligation de respecter le droit à la liberté d’expression au titre du droit international. Le rôle d’un journal est de servir de forum à différentes opinions, même si cela peut offenser certains », a déclaré Josef Benedict.

« Le fait que les autorités s’appuient sur cette seule lettre pour engager des poursuites contre les directeurs de publication et le propriétaire qui ne l’ont pas écrite, prouve que cette affaire est motivée par des considérations politiques. The Fiji Times a une longue tradition d’indépendance journalistique, qui risque d’être mise à mal par ces inculpations. »

Complément d’information

Depuis l’arrivée au pouvoir en 2006 de Frank Bainimarama, l’actuel Premier ministre de Fidji, suite à un coup d’État militaire, The Fiji Times a été la cible des autorités à de nombreuses reprises. Des années durant, un régime de censure sévère était en place, et des censeurs officiels arpentaient les salles de presse, décidant de ce qui pouvait ou ne pouvait pas être publié dans le journal du lendemain. The Fiji Times était l’un des rares organes de presse à refuser stoïquement d’imprimer les articles censurés et à laisser à la place des espaces blancs dans leurs pages.

À l’époque, Frank Bainimarama justifiait ce régime de censure en déclarant : « Ils peuvent imprimer tout ce qu’ils veulent. Mais le journalisme irresponsable ne sera pas toléré ».

En 2012, The Fiji Times Limited ainsi que son rédacteur en chef Fred Wesley ont été reconnus coupables d’outrage à l’autorité de la justice pour avoir reproduit un article sportif, initialement publié en Nouvelle-Zélande, qui se montrait critique à l’égard du système judiciaire fidjien. Le journal a été condamné à payer une amende de 170 000 dollars américains et son rédacteur en chef a été condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis.

En 2010, le gouvernement fidjien a adopté un décret relatif aux médias qui restreint de manière excessive le droit à la liberté d’expression et qui interdit aux investisseurs étrangers de posséder plus de 10 % d’un organe de presse fidjien ; une mesure semblant viser spécifiquement The Fiji Times, qui à l’époque appartenait à 90 % à News Limited, le conglomérat de Rupert Murdoch.

Depuis l’introduction de cette nouvelle réglementation, le journal est désormais détenu par des Fidjiens, et poursuit son travail de journalisme sans aucune publicité du gouvernement.