De nouveaux éléments démontrent que le groupe armé houthi recrute activement des adolescents parfois âgés de 15 ans seulement pour combattre sur la ligne de front dans le cadre du conflit qui fait rage au Yémen, a déclaré Amnesty International le 28 février 2017 après s’être entretenue avec les familles de trois adolescents pris au piège au mois de février de cette pratique qui bafoue le droit international. Les familles ont confirmé qu’un quatrième garçon du quartier avait été recruté.
Des membres des familles et un témoin ont déclaré à Amnesty International que les quatre adolescents, âgés de 15 à 17 ans, ont été recrutés dans la capitale, Sanaa, par des combattants du groupe armé houthi, connu localement sous le nom d’Ansarullah. Ils n’ont appris que leurs enfants avaient été emmenés qu’après avoir été alertés par des habitants, qui ont raconté les avoir vus, ainsi que six autres mineurs, monter à bord d’un bus dans un centre houthi du secteur mi-février.
« Il est affligeant que les Houthis enlèvent des enfants à leurs parents et à leur foyer, les privant de leur enfance pour les placer en ligne de mire, où leur vie est en danger, a déclaré Samah Hadid, directrice adjointe du bureau régional d’Amnesty International à Beyrouth.
« C’est une violation flagrante et honteuse du droit international. Les Houthis doivent immédiatement mettre fin à toutes les formes de recrutement de mineurs de moins de 18 ans et libérer tous les enfants enrôlés dans leurs rangs. La communauté internationale doit apporter son soutien à la réinsertion et à la réintégration des enfants démobilisés au sein de la société. »
Les familles des quatre adolescents recrutés mi-février ont par la suite été informées qu’ils se trouvaient sur un site non divulgué à la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite.
MÉTHODES DE RECRUTEMENT ET INCITATIONS
Les personnes interrogées ont raconté que les représentants houthis gèrent des centres locaux qui proposent des activités – prières, sermons et conférences notamment – où l’on encourage les adolescents et les hommes à rejoindre la ligne de front pour défendre le Yémen contre l’Arabie saoudite.
D’après un témoin, deux des quatre adolescents ont été recrutés par un représentant houthi après avoir été envoyés dans une école coranique près de Sanaa pour une initiation religieuse en janvier, avant d’être rendus à leurs familles qui ignoraient où ils se trouvaient. Un père a déclaré que son fils lui avait expliqué que le programme incluait l’histoire des guerres mondiales et de ce qui était présenté comme la guerre menée contre le peuple yéménite par la coalition que dirige l’Arabie saoudite.
Certaines familles affirment constater une intensification du recrutement d’enfants soldats dans leurs quartiers, du fait que nombre d’enfants ne vont plus à l’école classique. La guerre a de lourdes conséquences sur l’économie et beaucoup de familles ne peuvent plus payer les frais de transport pour envoyer leurs enfants à l’école. Dans de nombreux secteurs, les écoles ne fonctionnent plus. Certains enseignants sont en grève, car ils ne sont plus payés.
D’après un membre d’une famille, les Houthis imposent des quotas de recrutement aux représentants locaux, allant jusqu’à les menacer s’ils ne remplissent pas ces objectifs.
L’une des personnes interrogées, dont le frère de 16 ans a été emmené, a déclaré au sujet des garçons qui sont recrutés : « Ils sont tout excités à l’idée de tirer avec des Kalachnikov et des fusils et de porter un uniforme militaire. Ils [les Houthis] disent qu’il n’y a pas assez de combattants [au front], et qu’ils passent pour [enrôler] un membre de chaque famille. Si le fils meurt au front, un salaire mensuel et une arme sont donnés au père pour qu’il se taise. »
De nombreuses familles craignent les représailles contre leurs enfants qui ont été emmenés par les Houthis ou contre leurs autres enfants ou des proches, si elles osent parler du recrutement.
Un père a déclaré : « Beaucoup d’enfants [sont recrutés] mais les gens n’osent pas parler ni donner suite. Ils ont peur d’être arrêtés. »
Deux des personnes interrogées ont déclaré à Amnesty International que les Houthis promettent des avantages financiers aux familles pour les amadouer, promettant entre 20 000 et 30 000 rials yéménites (entre 75 et 110 euros) par enfant et par mois si leur enfant meurt au front comme martyr. Par ailleurs, les Houthis honorent les familles en imprimant des affiches à la mémoire de leurs garçons et en les placardant dans leur quartier en hommage à leur contribution à l’effort de guerre. Deux des personnes interrogées ont souligné que les enfants qui sont recrutés le sont généralement dans les milieux les plus pauvres.
Les noms des enfants soldats, de leurs proches et d’autres personnes interrogées, ainsi que les dates exactes du recrutement des garçons, ne sont pas divulgués pour des raisons de sécurité.
COMPLÉMENT D’INFORMATION
Au mois de février 2017, les organismes de l’ONU ont pu recenser environ 1 500 cas d’enfants recrutés par toutes les parties au conflit depuis mars 2015. En mai 2015, Human Rights Watch avait déjà publié des informations sur le recrutement, l’utilisation et la formation d’enfants soldats par les Houthis.
En 2012, le dirigeant houthi Abdel Malik al Huthi, lors d’une rencontre avec la représentante spéciale de l’ONU pour les enfants et les conflits armés, Leila Zerrougui, s’était engagé à s’efforcer de mettre fin au recrutement et à l’utilisation d’enfants soldats. Cependant, durant ses six dernières missions sur le terrain dans des zones contrôlées par les Houthis au Yémen, entre janvier 2015 et novembre 2016, Amnesty International a constaté l’utilisation d’enfants soldats à des postes de contrôle. Certains tenaient un livre dans une main et une Kalachnikov dans l’autre.
Depuis quelques années, plusieurs parties au conflit au Yémen figurent sur la liste, en annexe du Rapport annuel du secrétaire général de l’ONU sur le sort des enfants en temps de conflit armé, des parties ayant bafoué les droits des enfants pendant le conflit, notamment en recrutant et en utilisant des enfants soldats. Il s’agit des Houthis, d’Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), de plusieurs divisions des forces armées yéménites et de certaines milices pro-gouvernementales.
La coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite figurait également sur cette liste en tant que partie ayant bafoué les droits des enfants durant le conflit, mais l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon l’a retirée en raison des pressions diplomatiques exercées par l’Arabie saoudite. Or, cela va à l’encontre des preuves manifestes qui démontrent que la coalition bafoue les droits des enfants dans le cadre du conflit au Yémen.
D’après le Rapport annuel du secrétaire général sur le sort des enfants en temps de conflit armé publié en avril 2016, depuis le début du conflit au Yémen en mars 2015, 60 % des enfants tués et blessés l’ont été par des actions imputées à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et 20 % par des actions imputées aux Houthis. Amnesty International a recensé à plusieurs reprises des violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains, y compris impliquant des enfants, imputables à des membres de la coalition durant le conflit. Cela inclut des frappes aériennes contre des écoles et le recours à des bombes à sous-munitions interdites qui ont tué trois enfants et en ont mutilé neuf.
Le recrutement ou l’utilisation d’enfants de moins de 15 ans par les parties à un conflit est un crime de guerre aux termes du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et du droit international humanitaire coutumier. Les commandants qui avaient ou auraient dû avoir connaissance de tels abus et n’ont pris aucune mesure efficace peuvent être tenus pour pénalement responsables en tant que supérieurs hiérarchiques. Le Yémen est partie à la Convention relative aux droits de l’enfant et au Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, qui prohibe le recrutement et l’utilisation d’enfants dans des hostilités. Le Protocole facultatif fixe à 18 ans l’âge minimum pour participer de quelque manière que ce soit à un conflit armé dans les rangs de forces armées ou de groupes armés non étatiques.