Les autorités thaïlandaises mènent une campagne visant à criminaliser et à punir l’opposition en s’en prenant à la société civile et aux militants politiques alors qu’ils ne font qu’exercer pacifiquement leurs droits à la liberté d’expression et de réunion, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse publiée ce mercredi 8 février.
Plusieurs dizaines de défenseurs des droits humains, de militants pour la démocratie et d’autres personnes font actuellement l’objet d’enquêtes et de poursuites au titre de lois et de décrets draconiens, dont se sert la junte militaire de la Thaïlande pour faire taire ses détracteurs.
« Les autorités thaïlandaises ont créé un environnement de peur, où les gens ne peuvent pas s’exprimer ni se rassembler de façon pacifique sans craindre d’être arrêtés ou poursuivis en justice », a déclaré Champa Patel, directrice du programme Asie du Sud-Est et Pacifique d’Amnesty International.
« Les restrictions drastiques qui pèsent sur les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique en disent long sur les actions d’un gouvernement qui ne peut tolérer d’opinions divergentes sur des questions importantes pour le pays. »
La synthèse d’Amnesty International, intitulée “They Cannot Keep Us Quiet”: The Criminalization of Activists, Human Rights Defenders and Others in Thailand, expose les procédures pénales actuellement engagées contre 64 membres de la société civile thaïlandaise, parmi lesquels des militants politiques, des étudiants, des dirigeants associatifs et des défenseurs de l’environnement. Sont également relatées des affaires visant des chercheurs, des avocats, des journalistes et des universitaires.
Les autorités thaïlandaises ont créé un environnement de peur, où les gens ne peuvent pas s’exprimer ni se rassembler de façon pacifique sans craindre d’être arrêtés ou poursuivis en justice
Champa Patel, directrice du programme Asie du Sud-Est et Pacifique d’Amnesty International
Les personnes visées par des enquêtes et des poursuites n’ont fait qu’exercer les droits humains que la Thaïlande est tenue de respecter et de protéger au titre du droit international. Aucune n’a utilisé ni prôné la violence. Certaines ont été prises pour cible parce qu’elles ont signalé des actes de torture et d’autres mauvais traitements, et ont fait part de leurs préoccupations au sujet de la corruption. D’autres, parce qu’elles ont réclamé de plus grandes libertés académiques ou qu’elles ont exprimé le souhait d’avoir leur mot à dire dans les affaires publiques.
Parmi les personnes arrêtées et poursuivies, beaucoup ne faisaient qu’accomplir leur travail d’avocat, de journaliste ou de défenseur des communautés vulnérables.
Les autorités utilisent toute une série de lois et de décrets pour enquêter sur des membres de la société civile thaïlandaise, les arrêter et les poursuivre en justice. Sont notamment invoquées régulièrement les dispositions du Code pénal relatives à la sédition, à la diffamation et aux infractions liées à la monarchie, ainsi que celles restrictives de la Loi relative à la cybercriminalité.
Les autorités ont également engagé des procédures pénales au titre de nouveaux décrets et lois promulgués par la junte militaire depuis qu’elle a pris le pouvoir par un coup d’État en mai 2014, dont la Loi de 2015 relative aux rassemblements publics et celle de 2017 relative aux référendums. La décision n° 3/2558 du Conseil national pour la paix et l’ordre, adoptée par décret en 2015 par le Premier ministre Prayuth Chan-o-cha, interdit les « rassemblements politiques » de cinq personnes ou plus. Ce texte est souvent utilisé par les autorités pour arrêter et inculper des manifestants pacifiques.
Les autorités ont transformé la législation thaïlandaise en outil de contrainte pour réduire au silence les militants politiques et les défenseurs des droits humains. Si les procédures pénales aboutissent à des condamnations, la tache qui ternit le bilan du gouvernement militaire deviendra indélébile
Champa Patel
De nombreux militants et défenseurs des droits humains sont jugés devant des juridictions militaires, qui ne protègent pas le droit à un procès équitable, dans le cadre de procédures anormalement longues. Certains d’entre eux sont poursuivis dans plusieurs affaires, encourant des dizaines d’années d’emprisonnement s’ils sont reconnus coupables.
Par exemple, Jatupat « Pai » Boonpattararaksa, militant étudiant et défenseur des droits humains, est visé par cinq procédures pénales distinctes intentées contre lui parce qu’il a participé à des manifestations publiques, distribué des supports d’information engageant les votants à rejeter le projet de constitution avant la tenue du référendum de 2016 et publié sur Facebook un article jugé critique à l’égard de la monarchie thaïlandaise. Il est détenu au centre de détention provisoire de Khon Kaen depuis la révocation par un tribunal de sa mise en liberté sous caution. S’il est déclaré coupable dans toutes les affaires, il encourt une peine pouvant aller jusqu’à 40 ans d’emprisonnement.
« Les autorités ont transformé la législation thaïlandaise en outil de contrainte pour réduire au silence les militants politiques et les défenseurs des droits humains. Si les procédures pénales aboutissent à des condamnations, la tache qui ternit le bilan du gouvernement militaire deviendra indélébile », a déclaré Champa Patel.
La campagne que mène en ce moment le gouvernement thaïlandais contre la société civile et les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique jette une ombre sur ses projets d’élections, qui auront probablement lieu en 2018.
La condamnation d’un grand nombre de ses membres risque d’avoir des répercussions profondes sur la société civile, déjà soumise aux restrictions imposées par la junte militaire à un large éventail de droits humains. Beaucoup de ceux qui sont poursuivis ont un rôle de chef de file dans leur domaine respectif, et il est fondamental qu’ils soient en mesure de contribuer à dessiner l’avenir de la Thaïlande.
En conséquence, les autorités doivent immédiatement abandonner les charges retenues contre les personnes présentées dans la synthèse d’Amnesty International, et d’autres encore qui font l’objet d’enquêtes et de poursuites pour le simple fait d’avoir exercé pacifiquement leurs droits humains.
En janvier, le parquet a établi un précédent positif à cet égard en abandonnant les poursuites engagées contre Naritsarawan « May » Kaewnopparat, une jeune femme dont le cas est évoqué dans la synthèse. Un officier de l’armée avait engagé des poursuites contre May en raison de l’action qu’elle menait publiquement pour obtenir justice en faveur de son oncle, un soldat torturé à mort pendant un entraînement militaire.
Cependant, plus de deux ans et demi après le coup d’État, les restrictions visant les droits humains, présentées à l’époque comme des mesures temporaires, n’ont toujours pas été levées, et pourraient devenir permanentes au titre de la nouvelle constitution thaïlandaise, leur conférant ainsi légitimité et légalité.
Les autorités n’ont en particulier nullement laissé entendre qu’elles allaient lever l’interdiction des rassemblements publics prévue par le décret n° 3/2558, ce qui a inquiété les partis politiques et les groupes civiques qui se préparent à une nouvelle période de campagne. Le gouvernement thaïlandais doit accorder la priorité à la révision ou à l’abrogation des lois et décrets qui restreignent les droits humains de façon injustifiée, notamment les lois et décrets présentés dans la synthèse d’Amnesty International.
« Depuis son accession au pouvoir, la junte militaire thaïlandaise a anéanti la protection des droits humains et étouffé la liberté d’expression dans le pays. Si les lois et décrets répressifs ne sont pas rapidement révisés ou abrogés, les restrictions pesant sur les droits humains pourraient bien prendre racine », a déclaré Champa Patel.