Les autorités du Myanmar doivent immédiatement faire cesser les activités d’une mine de cuivre géante, détenue conjointement par une entreprise chinoise et par l’armée myanmar, qui continue d’être marquée par des atteintes aux droits humains, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public le 10 février.
La mine de Letpadaung, qui est exploitée par Wanbao Mining, une filiale de NORINCO – conglomérat appartenant à l’État chinois en rapport avec la fabrication d’armes et des activités minières –, a commencé à exploiter le cuivre en septembre 2016.
Le nouveau rapport souligne les dangers liés à de vastes projets industriels quand les entreprises responsables d’atteintes aux droits humains ne sont pas tenues de répondre de leurs actes, dans un contexte où le Myanmar n’est plus soumis aux sanctions qui lui ont été imposées pendant des décennies et où le nouveau gouvernement dirigé par Aung San Suu Kyi cherche à accroître considérablement les investissements étrangers dans le pays.
Ce rapport, intitulé Mountain of Trouble: Human Rights Abuses Continue at Myanmar’s Letpadaung Mine, révèle que des milliers de familles vivant non loin de la mine de Letpadaung risquent de perdre leur maison ou leurs terres agricoles en raison de l’expansion des opérations minières, que cette région sujette à des séismes et à des inondations risque de subir une catastrophe environnementale, et que les autorités continuent d’utiliser des lois répressives pour harceler des militants et des villageois opposés à cette mine.
« Le Myanmar a énormément besoin de grandes entreprises telles que la mine de Letpadaung pour son économie. Mais cela ne doit pas se faire au détriment des populations locales. Le gouvernement doit intervenir et suspendre les opérations de la mine jusqu’à ce que tous les problèmes en matière d’environnement et de droits humains aient été correctement examinés et réglés », a déclaré Mark Dummett, chargé de recherches à Amnesty International sur les entreprises et les droits humains.
Des milliers de personnes risquent de subir une expulsion forcée
Le rapport révèle que des milliers de personnes vivant à proximité de la mine continuent d’être exposées au risque d’être chassées de chez elles ou de leurs terres. L’entreprise Myanmar Wanbao Mining Copper Limited (Myanmar Wanbao), filiale de Wanbao Mining, a dit qu’elle envisageait d’étendre le périmètre de la mine de deux acres supplémentaires, sur lesquels se trouvent les maisons de 141 familles dans quatre villages. L’entreprise n’a pas donné de date ni d’autres détails en ce qui concerne l’acquisition prévue de ces terrains.
Myanmar Wanbao affirme avoir mené de véritables consultations auprès des personnes concernées, mais les chercheurs d’Amnesty International ont découvert que ce n’était pas le cas. Par exemple, les habitants de quatre villages devant être totalement déplacés ont été exclus de toutes les consultations, alors même qu’ils font partie des personnes les plus durement touchées par ce projet. Contre leur volonté, ils vont perdre leurs terres et devoir se réinstaller ailleurs.
« Myanmar Wanbao continue d’affirmer qu’elle a consulté toutes les personnes concernées, mais nos recherches montrent que c’est tout simplement faux. L’entreprise semble davantage intéressée par les relations publiques que par le respect des droits des populations de ce secteur », a déclaré Mark Dummett d’Amnesty International.
Amnesty International a écrit à Wanbao pour lui faire part des résultats de ses recherches et lui demander des explications, mais elle n’a reçu aucune réponse de sa part.
« Toutes les récoltes sont perdues »
La mine de Letpadaung est située dans la plaine inondable du fleuve Chindwin, dans une région sujette à des séismes. En cas d’inondation ou de séisme, les déchets contaminés pollueront les terres environnantes. Myanmar Wanbao a reconnu que de telles fuites auraient des répercussions « catastrophiques », mais elle s’est abstenue de mener une étude d’impact environnemental adéquate. Les populations locales sont exposées à de graves dangers faute d’une telle étude.
Un accident qui s’est produit par le passé souligne les dangers qu’induit le fait de ne pas protéger les populations locales. Amnesty International a découvert qu’en novembre 2015, une fuite s’est produite à la mine et des déchets se sont écoulés dans les champs des habitants du village de Wet Hme pendant plusieurs semaines, sans que Myanmar Wanbao ne fasse quoi que ce soit pour y remédier.
À la suite de cette fuite, un paysan a dit à Amnesty International :
« Toutes les récoltes sont perdues. Tout est mort. Partout où l’eau s’est écoulée, les plantes sont mortes. Elles meurent progressivement, cela prend une dizaine de jours. Elles ont fané et ensuite elles sont mortes. »
Myanmar Wanbao a gardé le silence au sujet de cette fuite ; les villageois n’ont obtenu aucune information quant à la nature des liquides qui se sont écoulés et des éventuels dangers encourus concernant leur santé. L’entreprise n’a ni assaini la zone ni indemnisé les villageois pour la perte de leurs récoltes.
Répression des manifestations pacifiques
Alors qu’elles s’étaient engagées à résoudre le différend opposant Myanmar Wanbao aux populations locales, les autorités du Myanmar ont continué d’arrêter et de harceler les villageois opposés à cette mine.
En invoquant toute une série de lois draconiennes, elles continuent d’empêcher les manifestations, et d’arrêter et de poursuivre en justice des personnes qui ont exercé leur droit de réunion pacifique.
Plusieurs villageois font l’objet de poursuites judiciaires et risquent d’être emprisonnés pour avoir participé à ces manifestations. Par exemple, deux habitantes du village de Thone sont actuellement inculpées de « dégradations » et de « diffamation » alors qu’il s’agissait de manifestations pacifiques.
Trois hommes ont été déclarés coupables d’avoir participé à une manifestation devant l’entrée principale de la mine Sabetaung et Kyisintaung (S&K), qui se trouve non loin de la mine de Letpadaung et qui est également exploitée par Wanbao Mining. Ces hommes ont nié les chefs d’accusation – avoir bloqué le portail principal et pénétré sans autorisation sur le site de l’entreprise – pour lesquels ils ont été condamnés.
De plus, aucun responsable n’a eu à rendre des comptes pour l’utilisation de munitions incendiaires au phosphore blanc – tirées depuis le site de Myanmar Wanbao – contre des manifestants pacifiques en novembre 2012 et pour la mort de Daw Khin Win, une villageoise abattue par la police en 2014 alors qu’elle participait à une manifestation.
« Au lieu d’amener les responsables de l’utilisation de phosphore blanc et de la mort d’une manifestante à répondre de ces actes, les autorités sanctionnent les victimes. Elles utilisent des lois brutales et répressives pour harceler, surveiller et poursuivre en justice des personnes qui ne font que demander justice », a déclaré Mark Dummett.
L’organisation demande également au gouvernement du Myanmar d’améliorer l’encadrement réglementaire des grands projets industriels, tels que des mines, et de mettre en place pour l’acquisition des terres un cadre adéquat basé sur les normes internationales relatives au droit à un logement convenable et à l’interdiction des expulsions forcées.
Amnesty International demande en outre aux pays étrangers, notamment à la Chine, de veiller à ce que leurs entreprises qui ont des activités commerciales ou envisagent d’en avoir au Myanmar prennent des mesures efficaces pour que leurs activités ne donnent pas lieu à des atteintes aux droits humains. Les entreprises étrangères devraient toutes exercer la diligence requise en matière de droits humains pour leurs activités au Myanmar, conformément aux normes internationales.
Complément d’information
Le rapport montre qu’au cours des deux années qui se sont écoulées depuis qu’Amnesty International a pour la première fois dénoncé toute une série de graves atteintes aux droits humains, dont certaines remontent à plusieurs dizaines d’années, commises sur le site minier de Monywa, qui comprend la mine de Letpadaung et la mine S&K, presque rien n’a été fait pour remédier à cette situation. Cette exploitation minière est détenue par l’entreprise chinoise Wanbao Mining, par l’Union of Myanmar Economic Holdings Limited (UMEHL), qui appartient à l’armée, et par le gouvernement du Myanmar.
Amnesty International a analysé des échantillons de terre prélevés là où ont eu lieu les fuites, qui ont indiqué que les eaux usées étaient contaminées par plusieurs métaux, notamment l’arsenic, le cuivre et le plomb. Les échantillons ont ensuite été analysés par le laboratoire de Greenpeace à l’université d’Exeter, au Royaume-Uni. Un scientifique spécialiste de l’environnement a conclu que le liquide était très probablement contaminé.
Ce scientifique a dit à Amnesty International :
« Les échantillons de terre indiquent que les eaux usées qui se trouvaient dans le conduit au moment de la fuite ont provoqué une augmentation des niveaux de concentration de plusieurs métaux, en particulier de l’arsenic, du cuivre et du plomb. Ces résultats indiquent que l’eau est très probablement polluée par des contaminants provenant des activités de la mine. »
En 2015, le rapport d’Amnesty International intitulé Open for Business? Corporate Crimes and Abuses at Myanmar Copper Mine (disponible à l’adresse https://www.amnesty.org/fr/documents/asa16/0003/2015/fr/) a dénoncé le fait que le site minier de Monywa se caractérisait par de graves atteintes aux droits humains et par un manque de transparence depuis sa création et quels qu’aient été ses propriétaires.