Gambie. L’état d’urgence n’autorise pas la répression

Des militaires détenus arbitrairement tandis que la crise politique s’aggrave

L’état d’urgence proclamé en Gambie par le président Yahya Jammeh ne justifie pas une répression de l’opposition pacifique autour du 19 janvier 2017, date à laquelle le nouveau gouvernement doit prendre ses fonctions, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch mercredi 18 janvier.

Depuis le 15 janvier, les forces de sécurité fidèles au président Jammeh ont arrêté arbitrairement au moins cinq officiers ou simples soldats soupçonnés de s’opposer à sa volonté de rester au pouvoir. Depuis que Yahya Jammeh a rejeté les résultats de l’élection du 1er décembre 2016 huit jours après celle-ci, les autorités gambiennes ont arrêté arbitrairement des sympathisants de l’opposition et fermé quatre stations de radio indépendantes. L’état d’urgence laisse craindre une répression encore plus forte de l’opposition autour du 19 janvier, date prévue de l’investiture du président élu Adama Barrow. De nombreux Gambiens ont fui le pays, craignant pour leur sécurité.

Le respect des droits humains ne doit pas être victime de la crise politique actuelle.

Steve Cockburn, directeur régional adjoint pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International

« Le respect des droits humains ne doit pas être victime de la crise politique actuelle, a déclaré Steve Cockburn, directeur régional adjoint pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International. L’état d’urgence ne doit pas servir de prétexte pour réprimer l’opposition pacifique. »

Yahya Jammeh et l’Assemblée nationale de Gambie, contrôlée par son parti, ont déclaré l’état d’urgence pour 90 jours le 17 janvier. Autorisée par l’Assemblée nationale, cette mesure donnerait au président Jammeh le pouvoir de suspendre certaines garanties élémentaires de procédure régulière, telles que l’interdiction de détenir des personnes sans inculpation.

En annonçant l’état d’urgence à la télévision publique, Yahya Jammeh a souligné que « les libertés civiles doivent être pleinement respectées », mais qu’il est « interdit de se livrer à des actes visant à troubler l’ordre public et la paix ».

Plusieurs membres d’organisations de jeunesse gambiennes ont indiqué à Amnesty International et Human Rights Watch qu’ils s’attendaient à ce que les Gambiens descendent dans la rue le 19 janvier pour célébrer l’investiture d’Adama Barrow. « Nous n’avons plus peur, a déclaré l’un d’eux. Nous voulons juste que cela cesse. » Selon un militant gambien qui a raconté que des agents des services de renseignement l’avaient arrêté et battu le 10 janvier, ceux-ci l’auraient menacé en lui disant : « Si vous tentez de faire quoi que ce soit le 19 janvier, nous vous écraserons comme des punaises. »

Depuis le 15 janvier, les autorités ont arrêté et détiennent au secret au moins cinq membres des forces armées – dont le capitaine Babucarr Bah, le capitaine Demba Baldeh et le colonel Hena Sambou – à qui elles reprochent d’avoir soutenu ou prévu de soutenir Adama Barrow. D’après certaines sources, ces militaires sont probablement détenus dans les locaux de l’Agence nationale de renseignement et n’ont eu aucun contact avec leurs proches depuis leur arrestation.

Celle-ci contredit un décret annoncé par le président Jammeh le 10 janvier, aux termes duquel il n’y aurait « aucune arrestation » jusqu’au 31 janvier.

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a fait savoir qu’elle préparait une force militaire menée par le Sénégal et le Nigeria pour une possible intervention dans le cas où Adama Barrow serait empêché de prendre ses fonctions. Si une intervention de la CEDEAO a lieu, toutes les mesures doivent être prises pour veiller à la protection des civils et au respect des droits humains, ont averti Amnesty International et Human Rights Watch.

Le président Jammeh a publiquement reconnu sa défaite au lendemain de l’élection du 1er décembre, avant de finalement rejeter ses résultats le 9 décembre. Son refus d’accepter les résultats du scrutin a été largement condamné par la communauté internationale, notamment par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union africaine (UA) et la CEDEAO.

Le 13 janvier, l’UA a déclaré qu’elle cesserait de reconnaître Yahya Jammeh en tant que président légitime de la Gambie le 19 janvier et l’a averti de « graves conséquences » si son action devait conduire à une « instabilité politique » ou à une « catastrophe pour les droits humains ». Adama Barrow est actuellement au Sénégal voisin pour sa protection, mais il est toujours prévu qu’il prête serment comme président le 19 janvier.

La protection des droits humains doit être au centre de toute solution à la crise politique en Gambie.

Corinne Dufka, responsable des recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch

« La protection des droits humains doit être au centre de toute solution à la crise politique en Gambie, a déclaré Corinne Dufka, responsable des recherches sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. Si la CEDEAO déploie une force militaire, toutes les parties devront assurer la sécurité des civils. »