Les lois pakistanaises sur le blasphème sont souvent utilisées contre les membres de minorités religieuses ou autres qui sont la cible de fausses accusations, et elles encouragent des milices prêtes à menacer ou à tuer ces dernières à passer à l’acte, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public le 21 décembre.
« Il existe tout un ensemble de preuves accablantes montrant que les lois pakistanaises sur le blasphème violent les droits humains et encouragent les gens à rendre la justice eux-mêmes. Quand une personne fait l’objet d’accusations, elle se retrouve piégée dans un système qui lui offre peu de protection, où elle est présumée coupable et qui ne la met pas à l’abri de ceux qui veulent utiliser la violence, a déclaré Audrey Gaughran, chargée des questions relatives aux enjeux internationaux à Amnesty International.
Le rapport, intitulé “As good as dead”: The impact of the blasphemy laws in Pakistan, montre que les personnes accusées de blasphème doivent livrer un très dur combat pour établir leur innocence. Les personnes acquittées des charges qui pesaient sur elles et remises en libertés, généralement après une longue période, risquent toujours de faire l’objet de menaces de mort.
Il existe tout un ensemble de preuves accablantes montrant que les lois pakistanaises sur le blasphème violent les droits humains et encouragent les gens à rendre la justice eux-mêmes.
Audrey Gaughran, chargée des questions relatives aux enjeux internationaux à Amnesty International
Quand une personne est accusée de blasphème, la police peut l’arrêter sans même avoir à vérifier si les accusations portées contre elles sont justifiées. Les forces de police cèdent à la pression exercée par des foules en colère, y compris par des responsables religieux et leurs sympathisants, et souvent elles transfèrent ces cas aux procureurs sans avoir examiné les éléments de preuve. Quand une personne est inculpée, elle peut être privée de la possibilité d’obtenir une libération sous caution et risque de subir un procès interminable et inique.
Beaucoup de personnes accusées de blasphème sont menacées de violences. Des groupes ou des individus isolés qui veulent rendre la justice eux-mêmes lancent des menaces ou décident de tuer les accusés et leur entourage, y compris leurs avocats, leurs proches et les membres de leur communauté.
La peur s’empare également des personnes qui travaillent au sein du système pénal pakistanais, comme le montre le rapport. Elle empêche dès lors les avocats, les policiers, les procureurs et les juges de faire leur travail de façon efficace et impartiale et sans crainte.
Le rapport d’Amnesty International montre que les lois pakistanaises sur le blasphème donnent lieu à des atteintes aux droits humains et violent les obligations juridiques internationales du pays concernant le respect et la protection de toute une série de droits humains, notamment la liberté de religion ou de conviction, la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Il demande l’abrogation de ces lois et que toute nouvelle loi soit pleinement conforme au droit international et aux normes internationales.
Il montre aussi que ces lois sont utilisées pour s’en prendre aux personnes les plus vulnérables au sein de la société, y compris aux enfants, aux handicapés mentaux, aux membres de minorités religieuses et aux pauvres.
La Cour suprême du Pakistan a reconnu que « la majorité des affaires de blasphème sont basées sur de fausses accusations » et motivées par des buts inavoués. Ces motivations, comme l’indique le rapport, sont rarement examinées par les autorités et sont très diverses, allant de la rivalité professionnelle à des conflits religieux ou personnels, en passant par la recherche d’avantages économiques.
« Les cas exposés dans le rapport montrent clairement que les lois rédigées en termes imprécis ne comprennent pas de mesures de protection et peuvent donner lieu à des atteintes aux droits humains. Elles favorisent les plaignants, en leur permettant de porter de fausses accusations, et mettent en danger les accusés, en les présumant coupables. Les autorités doivent abroger ces lois, et elles doivent pour commencer mettre immédiatement en œuvre des mesures de protection pour empêcher les poursuites judiciaires mal fondées et abusives », a déclaré Audrey Gaughran.
Fausses accusations portées contre un enfant atteint d’un handicap mental
L’une des affaires exposées dans le rapport concerne Rimsha Masih, une adolescente chrétienne souffrant de troubles de l’apprentissage qui était âgée de 14 ans quand elle a été accusée de blasphème par un dignitaire religieux local, qui lui a reproché d’avoir brûlé des pages du Coran.
Bien qu’étant un enfant atteint d’un handicap mental, elle a été arrêtée par la police et inculpée.
À l’issue de trois mois de calvaire sous le feu des projecteurs des médias, la haute cour d’Islamabad a rejeté les charges retenues contre elle, en soulignant qu’elle avait été mise en cause à tort et en l’absence de tout élément de preuve, et que des poursuites judiciaires auraient permis d’instrumentaliser les tribunaux eux-mêmes à d’autres fins.
Rimsha Masih et sa famille ont fui au Canada, où elles ont obtenu l’asile en raison des menaces qui pesaient sur elles.
Un avocat menacé et assassiné
Rashid Rehman était un avocat de renom spécialiste des droits humains. Il est l’un des rares avocats à avoir eu le courage de défendre devant les tribunaux des personnes accusées de blasphème.
Le 8 mai 2014, Rashid Rehman a été tué dans son bureau par deux hommes armés non identifiés. Le lendemain, les cabinets d’avocats de la ville de Multan, dans le centre du pays, ont reçu un tract disant que Rashid Rehman avait subi ce sort parce qu’il avait tenté de « sauver une personne ayant blasphémé ».
Moins d’un mois avant son assassinat, Rashid Rehman avait été menacé devant un tribunal. « Tu ne pourras pas venir au tribunal la prochaine fois parce que tu n’existeras plus », s’est-il entendu dire, devant des témoins. Ceux qui ont menacé Rashid Rehman n’ont à aucun moment été interrogés par les policiers qui ont enquêté sur ce meurtre.
Rashid Rehman avait une fois comparé le fait de défendre des personnes accusées de blasphème à celui de « tutoyer la mort ». Du fait des graves risques encourus, de nombreux avocats refusent de défendre ces personnes.
Dans une autre affaire encore, la famille d’une personne accusée de blasphème a eu beaucoup de mal à trouver un avocat. Elle en a finalement trouvé un qui a accepté de la défendre en échange d’honoraires très élevés. Cet avocat a été violemment frappé au tribunal. Il a rompu tout contact avec la famille et abandonné cette affaire.
Un couple chrétien tué pour de l’argent
Shama et Shahzad Masih, des chrétiens, vivaient avec leurs trois enfants dans le village de Kot Radha Kishan, au Pendjab. Ils travaillaient dans des conditions difficiles dans une fabrique de briques, non loin de chez eux. Ils travaillaient généralement 18 heures par jour, et étaient payés 6,60 USD à chaque fois qu’ils livraient mille briques.
Un jour, en novembre 2014, Shama Masih, qui était enceinte de cinq mois, a brûlé des affaires de son beau-père décédé. C’est de cette manière que de nombreux villageois se débarrassaient de leurs déchets, en l’absence d’équipements sanitaires.
Par la suite, une rumeur s’est propagée dans le secteur, selon laquelle Shama Masih avait brûlé des pages du Coran. Ces accusations ont pris une plus grande ampleur encore quand des responsables religieux de villages des environs ont demandé, au micro dans leur mosquée, que ce couple de chrétiens soit « brûlé de la même façon qu’ils avaient brûlé le [livre saint] ».
Des centaines de gens en colère se sont alors rapidement rendus dans la fabrique de briques. Ils ont trouvé Shama et Shahzad Masih, qui avaient été enfermés dans une petite pièce par quelqu’un qui leur avait prêté de l’argent, et les ont traînés dehors.
Les cinq policiers qui étaient présents ne sont pas intervenus. Ils ont dit qu’ils n’étaient pas assez nombreux face à une foule de gens violents et indisciplinés. Le couple a été roué de coups puis jeté dans un four de la fabrique.
La police est arrivée par la suite et a arrêté plus de 100 personnes, selon des proches de Shahzad Masih. Le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, a dénoncé ce meurtre, et son frère, le chef du gouvernement du Pendjab, Shahbaz Sharif, s’est rendu dans le village pour présenter ses condoléances aux proches du couple.
Le 23 novembre 2016, un tribunal antiterroriste a condamné à mort trois hommes ayant participé à ce meurtre. Amnesty International demande que les responsables de tels homicides répondent de leurs actes et qu’il soit mis fin à l’impunité, mais elle s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances.
Le fait que les autorités ne soient pas intervenues de façon efficace dans ce cas est représentatif d’un schéma habituel que l’on retrouve dans tout le Pendjab. La police est souvent au courant des menaces qui pèsent sur des membres de minorités religieuses vulnérables, mais elle s’abstient d’agir de manière décisive face à une foule excitée par des responsables religieux en colère qui lancent des appels au meurtre.