Viêt-Nam. Torture : le monde secret des «prisons à l’intérieur des prisons»

La vie en prison est difficile. J'étais désespérée. Je m'étais retrouvée dans cette situation parce que j'avais essayé d'être une bonne citoyenne, d'aider les gens dans le respect de la loi […] mais j'ai été arrêtée et jetée en prison. J'avais l'impression d'être dans un long tunnel sombre sans issue à l'horizon.

Pham Thi Loc, une des anciens prisonniers d'opinion interrogés par Amnesty International pour le nouveau rapport

Un nouveau rapport rendu public mardi 12 juillet 2016 par Amnesty International présente des informations rares sur la torture et les autres mauvais traitements subis par les prisonniers d’opinion enfermés dans le réseau secret de prisons et de centres de détention du Viêt-Nam.

Des prisons à l’intérieur des prisons : la torture et les mauvais traitements des prisonniers d’opinion au Viêt-Nam dénonce les souffrances endurées par les prisonniers d’opinion dans l’un des pays les plus fermés d’Asie, notamment la détention au secret ou à l’isolement pendant de longues périodes, les disparitions forcées, la privation de soins médicaux, les transferts punitifs d’une prison à l’autre, etc.

« Les prisonniers d’opinion sont très nombreux au Viêt-Nam. Ce rapport offre un aperçu des horreurs rarement révélées que subissent ces prisonniers en détention », a déclaré Rafendi Djamin, directeur du Bureau régional d’Amnesty International pour l’Asie du Sud-Est et le Pacifique.

« Le Viêt-Nam a ratifié la Convention contre la torture en 2015, mais ce n’est pas suffisant. Pour se conformer à leurs obligations en matière de droits humains, les autorités doivent entreprendre des réformes conformes au droit international et veiller à ce que les auteurs de torture et d’autres mauvais traitements aient à rendre des comptes. »

Ce rapport s’appuie sur un an de recherches – dont plus de 150 heures d’entretiens avec 18 anciens prisonniers d’opinion, ayant passé entre un mois et dix ans derrière les barreaux.

Cinq de ces hommes et femmes ont décrit à Amnesty International leurs longues périodes de détention à l’isolement, dans des cellules obscures et fétides, sans ventilation, eau potable ni sanitaires. Certains ont été frappés régulièrement, en violation flagrante de l’interdiction mondiale et nationale de la torture.

En juin, Amnesty International a pu visiter un centre de détention pour femmes dans la province de Bắc Giang, ce qui est très rare dans un pays où l’accès à ce type d’établissement est généralement interdit.

Disparitions forcées, torture et autres mauvais traitements

Pour beaucoup de ces anciens prisonniers, le calvaire a commencé dès leur interpellation par les autorités vietnamiennes. Quatre d’entre eux ont dit à Amnesty International avoir été victimes d’une disparition forcée.

Dar (pseudonyme), membre d’une minorité ethnique montagnarde, a été arrêté pour avoir organisé des manifestations pacifiques en faveur de la liberté religieuse et des droits humains. Pendant les trois mois suivant son arrestation, sa famille a cru qu’il avait été tué par les autorités et que son corps avait été abandonné dans la jungle. Dar a été jugé et condamné en l’absence de tout avocat et sans qu’aucun membre de sa famille ne soit présent.

Il est resté cinq ans derrière les barreaux. Il a passé les 10 premiers mois de sa détention à l’isolement dans une minuscule cellule, dans l’obscurité la plus complète et dans un silence total. Pendant les deux premiers mois, on est venu le chercher chaque jour dans sa cellule pour l’interroger et le rouer de coups.

Dar a été frappé à coups de bâton, de tube en caoutchouc, de poing et de pied. Les autorités lui ont infligé des décharges électriques et ont fait passer le long de sa jambe un morceau de papier enflammé, lui brûlant la peau. Ils l’ont contraint à supporter des positions inconfortables et douloureuses pendant huit heures d’affilée.

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Un jour, des policiers l’ont pendu par les bras au plafond pendant un quart d’heure et l’ont frappé. Plusieurs fois, des policiers, ivres semble-t-il, ont fait irruption dans sa cellule au beau milieu de la nuit pour le rouer de nouveau de coups.

Beaucoup des anciens prisonniers interrogés par Amnesty International ont indiqué que la torture et les mauvais traitements avaient été particulièrement violents durant leur détention provisoire, car les autorités voulaient leur arracher des « aveux ».

Détention au secret et détention à l’isolement

Tous les anciens prisonniers d’opinion avec lesquels Amnesty International s’est entretenue ont été soumis à de longues périodes d’isolement cellulaire – allant d’un mois à deux ans. Le droit de bénéficier des services d’un avocat, de consulter des professionnels de la santé et de communiquer avec sa famille est une garantie importante contre la torture et les mauvais traitements, et est essentiel pour la réalisation du droit à un procès équitable.

Deux des anciens prisonniers interrogés n’ont pas été informés de la mort de leur mère, et n’ont donc pas pu assister à ses funérailles ni prendre part au deuil avec leur famille.

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Tạ Phong Tần, emprisonnée pour son blog et ses activités de plaidoyer, a indiqué à Amnesty International que, durant ses quatre années d’emprisonnement, seule sa sœur avait été autorisée à lui rendre visite. Après s’être vu refuser l’accès à la prison à deux reprises, sa mère, Đặng Thị Kim Liêng, s’est immolée par le feu le 30 juillet 2012 devant un bâtiment gouvernemental en signe de protestation, et est morte des suites de ses brûlures.

Leurs proches étant tenus à distance, les prisonniers se sont retrouvés dans un isolement de plus en plus profond.

Un autre ancien prisonnier d’opinion, Phạm Văn Trội, a été placé à l’isolement pendant plus de six mois pour s’être plaint de la fumée provenant d’un four en brique voisin. Il a raconté à Amnesty International avoir été hanté par l’idée que d’autres étaient peut-être morts dans la cellule où il dormait.

Mauvais traitements et privation de soins médicaux

Quand ils n’étaient pas détenus à l’isolement, les prisonniers d’opinion étaient livrés à la violence des autres détenus.

Le médecin m'a frappé dans bouche avec un rond de caoutchouc dur, me faisant tomber plusieurs dents, dont une dent de sagesse. J'ai perdu tellement de sang que je me suis évanoui une nouvelle fois.

Chau Heng, Khmer krom défenseur des droits à la terre

Plusieurs d’entre eux ont raconté avoir été placés dans des cellules surpeuplées, où d’autres détenus appelés les « antennes » étaient semble-t-il de mèche avec les autorités pénitentiaires et incités à les attaquer. Ils étaient donc sous la menace constante de violences.

La privation de soins médicaux pendant des mois, voire des années, est une autre forme de mesure punitive décrite à Amnesty International par les anciens prisonniers d’opinion. Certains ont aussi affirmé avoir été drogués par le personnel pénitentiaire.

Chau Heng, Khmer krom défenseur des droits à la terre, a raconté à Amnesty International que, pendant les quatre mois qu’il a passés à l’isolement avant son procès, il avait été non seulement passé à tabac à plusieurs reprises au point de perdre connaissance, mais aussi drogué au moins deux fois. Il ignore quel produit lui a été injecté, mais a indiqué qu’il lui provoquait des pertes de mémoire et de conscience, et qu’il l’empêchait de parler ou de réfléchir clairement.

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Présenté au médecin de la prison, il a ouvert la bouche pour montrer qu’il ne pouvait pas parler. « Le médecin m’a frappé dans bouche avec un rond de caoutchouc dur, me faisant tomber plusieurs dents, dont une dent de sagesse. J’ai perdu tellement de sang que je me suis évanoui une nouvelle fois. »

« Les autorités doivent profiter de l’occasion offerte par le réexamen des versions récemment modifiées du Code pénal et du Code de procédure pénale. Il est temps pour elles de se conformer à leurs obligations internationales en demandant des comptes aux responsables d’actes de torture et d’autres mauvais traitements, et en mettant un terme à ces pratiques effroyables », a déclaré Rafendi Djamin.