Du fait d’une réglementation et de lignes de conduite inadaptées et insuffisantes concernant le financement du secteur de l’armement, il existe peu de moyens d’empêcher les banques de financer la production et le transfert d’armes interdites à l’échelon international ou utilisées pour commettre de graves violations des droits humains, ou d’investir dans ces activités, écrit Amnesty International Luxembourg dans un rapport rendu public vendredi 29 janvier.
Ce document, intitulé Banks, arms and human rights violations, s’intéresse au fait que le secteur luxembourgeois de la finance s’abstienne d’adopter une réglementation, des lignes de conduite et des procédures visant à limiter efficacement le soutien financier aux activités en relation avec les armes.
Si les projecteurs sont braqués sur les banques luxembourgeoises, les conclusions et recommandations figurant dans le rapport sont applicables à d’autres pays, au sein de l’Union européenne et au-delà.
« Le financement et l’investissement ne sont pas des activités neutres ; ils façonnent et favorisent l’activité économique, y compris dans le secteur des armes. Les banques et autres institutions financières ont un rôle crucial à jouer dans le cadre des efforts mondiaux visant à restreindre la fabrication, le transfert et l’utilisation d’armes interdites à l’échelon international, ou le recours à des armes classiques, autorisées, afin de commettre des violations graves des droits humains et des crimes de droit international », a déclaré David Pereira, président d’Amnesty International Luxembourg.
Le financement et l’investissement ne sont pas des activités neutres ; ils façonnent et favorisent l’activité économique, y compris dans le secteur des armes. Les banques et autres institutions financières ont un rôle crucial à jouer dans le cadre des efforts mondiaux visant à restreindre la fabrication, le transfert et l’utilisation d’armes interdites à l’échelon international, ou le recours à des armes classiques, autorisées, afin de commettre des violations graves des droits humains et des crimes de droit international.
David Pereira, président d’Amnesty International Luxembourg
Le droit international interdit strictement la fabrication, le stockage, le transfert et l’utilisation de certains types d’armes, telles que les armes biologiques et chimiques, les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions, qui sont considérées comme illégales de manière permanente et dans toutes les circonstances. Il prohibe par ailleurs le transfert et l’utilisation d’armes classiques servant à perpétrer des violations graves du droit international humanitaire et en matière de droits humains, ainsi que des crimes de droit international, comme le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
« Aux termes du droit international, les États ont l’obligation et la responsabilité de veiller à ne pas être complices d’atteintes graves au droit international humanitaire et en matière de droits humains, par exemple en finançant la production d’armes. Les banques sont par ailleurs susceptibles de voir leur responsabilité engagée lorsqu’elles procèdent à un financement ou un investissement soutenant des activités en relation avec des armes interdites par la réglementation internationale et des armes utilisées pour commettre des crimes de droit international et des atteintes graves aux droits humains », a déclaré Gabriela Quijano, conseillère juridique au Secrétariat international d’Amnesty International dans le domaine de la responsabilité des entreprises en matière de droits humains.
Principales constatations
Le rapport montre qu’en dépit de ses obligations internationales, le Luxembourg n’a pas proscrit expressément toutes les opérations financières liées aux armes interdites par la réglementation internationale ou aux armes classiques utilisées pour commettre des crimes de droit international et des violations graves des droits humains. La seule exception est la restriction du financement des activités liées aux armes à sous-munitions et aux armes destinées à être utilisées dans le cadre du terrorisme.
Les recherches menées révèlent par ailleurs un manque de transparence dans le cadre des lignes de conduite et des procédures du secteur financier concernant les transactions en relation avec les armes. Seules deux des sept principales banques en activité dans le pays ayant été contactées par Amnesty International Luxembourg ont fourni à l’organisation des documents sur leur ligne de conduite concernant les financements et les investissements dans le secteur de l’armement.
Les banques examinées semblent souvent avoir une connaissance incomplète de leurs obligations juridiques et responsabilités en matière de droits humains. Même dans les cas où les obligations en vertu du droit international n’ont pas encore été transposées dans le droit national, les banques en activité au Luxembourg doivent se plier aux normes internationales existantes. Les sociétés commerciales sont tenues de respecter les droits humains, indépendamment des obligations et lois de l’État concernant ces droits.
« L’insuffisance de la législation nationale ne saurait excuser la réticence du secteur financier luxembourgeois à adopter et suivre des lignes de conduite et procédures adéquates pour le financement du secteur de l’armement », a déclaré David Pereira.
Le rapport signale par ailleurs des lacunes de taille dans les procédures de contrôle interne des banques, en ce qui concerne les transactions se rapportant aux armes. Les faiblesses recensées par Amnesty International Luxembourg (vigilance insuffisante à l’égard de la clientèle, manque de formation des employés, par exemple) correspondent aux observations faites par la Commission luxembourgeoise de surveillance du secteur financier. Toute stratégie responsable sur les financements et investissements dans le secteur de l’armement requiert des procédures de contrôle interne efficaces, afin de détecter et d’empêcher les transactions portant sur des armes interdites par la réglementation internationale ou des armes parvenant jusqu’à des utilisateurs finals non autorisés, et utilisées pour commettre ou faciliter des violations des droits humains ou des crimes de droit international.
« Ce rapport met à nu l’absence de garanties susceptibles d’empêcher les banques de financer des armes interdites à l’échelon international ou utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations des droits humains ou des crimes de droit international. Nous espérons que nos constats permettront d’amorcer un débat rigoureux au sein du secteur de la finance, des autorités et du grand public, au Luxembourg et ailleurs, sur la manière de régler ce grave problème et de veiller à ce que les banques ne soient pas complices de telles violations », a déclaré Stan Brabant, directeur d’Amnesty International Luxembourg.
Nous espérons que nos constats permettront d’amorcer un débat rigoureux au sein du secteur de la finance, des autorités et du grand public, au Luxembourg et ailleurs, sur la manière de régler ce grave problème et de veiller à ce que les banques ne soient pas complices de telles violations.
Stan Brabant, directeur d’Amnesty International Luxembourg
Recommandations
Amnesty International exhorte le Luxembourg à interdire strictement les activités financières liées aux armes dont la fabrication, le stockage, le transfert et l’utilisation porteraient atteinte au droit international. Il doit par ailleurs prendre toutes les mesures qui s’imposent afin que cette interdiction soit véritablement appliquée et respectée, et en particulier définir les obligations professionnelles applicables aux banques, ainsi que des sanctions en cas de non-respect de ces obligations.
Les banques en activité au Luxembourg doivent renforcer leurs lignes de conduite et procédures en :
- s’engageant, dans le cadre d’orientations devant être rendues publiques, à mettre fin à l’ensemble des activités financières liées à des armes interdites par la réglementation internationale ou utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations des droits humains ou des crimes de droit international ;
- prenant toutes les mesures appropriées afin de respecter les obligations internationales, en mettant en œuvre des procédures de vigilance permettant de détecter les risques, d’empêcher le financement d’armes interdites à l’échelon international, et de veiller à ce que leurs activités financières ne contribuent pas à des violations des droits humains et des crimes de droit international ;
- renforçant les obligations contractuelles de leurs clients et fournisseurs, afin de garantir que l’ensemble des transactions respectent les obligations et normes internationales relatives au contrôle des armes.
Complément d’information
Les sept banques contactées dans le cadre de ces recherches sont : la Banque et Caisse d’Épargne de l’État, la Banque Internationale à Luxembourg, la Banque de Luxembourg, la Banque Raiffeisen, BGL BNP Paribas, ING Luxembourg et KBL European Private Bankers.
La portée de ce rapport a été limitée par le nombre d’informations mises à disposition et les stratégies de communication des banques figurant dans cet échantillon. Des informations ont été recueillies dans le cadre d’entretiens et par le biais de courriers et d’emails échangés entre février 2013 et mars 2015.
Les recherches effectuées par Amnesty International n’ont pas tenté de confirmer à ce stade si les informations fournies par ces banques sont conformes aux pratiques réelles en matière d’investissement et de financement.
Le Luxembourg a fait partie des premiers pays à signer et ratifier le Traité sur le contrôle des armes, entré en vigueur le 24 décembre 2014. Il est également partie à la Convention sur les armes chimiques, la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, et la Convention sur les armes à sous-munitions. Le Luxembourg n’a cependant pas encore tenu un grand nombre d’engagements essentiels en matière de contrôle international des armes.