L’accord sur la justice de transition signé le 23 septembre par le gouvernement colombien et par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) fait naître une lueur d’espoir pour les millions de victimes de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits commises au cours du conflit armé qui a sévi pendant 50 ans en Colombie, a déclaré Amnesty International.
Toutefois, des définitions vagues et la possibilité d’amnisties font craindre que tous les auteurs d’atteintes aux droits humains n’aient pas à répondre de leurs actes devant la justice. Il n’y a qu’une manière pour la Colombie de tourner la page de cette période troublée de son histoire, c’est en veillant à ce que les responsables des tortures, des homicides, des disparitions forcées, des crimes de violence sexuelle et du déplacement forcé de millions de personnes à travers le pays soient enfin amenés à rendre des comptes.
« Cet accord constitue une avancée très importante et il montre clairement que la fin des hostilités, tant attendue, est enfin proche. Mais de nombreux problèmes restent sans solution en ce qui concerne la nécessité de faire en sorte que les nombreuses victimes reçoivent vérité, justice et réparation conformément au droit international, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International.
Cet accord constitue une avancée très importante et il montre clairement que la fin des hostilités, tant attendue, est enfin proche. Mais de nombreux problèmes restent sans solution en ce qui concerne la nécessité de faire en sorte que les nombreuses victimes reçoivent vérité, justice et réparation conformément au droit international.
Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International
« La Colombie est tenue d’ouvrir des enquêtes et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, de poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité dans des crimes de droit international. Cette obligation est non négociable, même dans le cadre d’un processus de paix. »
Les deux parties ont annoncé que, étant donné qu’il ne reste qu’une question à régler, sur le désarmement et la démobilisation, un accord de paix pourrait être signé au plus tard le 23 mars 2016, dans six mois. Les FARC ont accepté de déposer les armes 60 jours plus tard.
La question de la justice constitue l’un des points les plus épineux des négociations de paix, qui se déroulent à Cuba depuis 2012. Durant toute cette période, Amnesty International a fortement insisté pour que les négociations accordent un degré de priorité élevé aux droits humains des victimes du conflit, notamment à leur droit à la justice.
La Colombie est tenue d’ouvrir des enquêtes et, s’il existe suffisamment de preuves recevables, de poursuivre les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité dans des crimes de droit international. Cette obligation est non négociable, même dans le cadre d’un processus de paix.
Erika Guevara-Rosas
Les FARC et le gouvernement ont accepté de mettre en place une « juridiction spéciale pour la paix » comprenant un tribunal et des cours spéciales, avec des juges et des magistrats colombiens choisis à la fois par les FARC et par le gouvernement, et avec une participation limitée d’experts étrangers.
Les cours auront compétence pour juger tous ceux qui ont directement ou indirectement participé au conflit armé et sont impliqués dans des « crimes graves ».
Ces derniers sont définis comme étant des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide et des crimes de guerre, et incluent le déplacement forcé, les disparitions forcées, la torture, la prise d’otage, les exécutions extrajudiciaires et la violence sexuelle, entre autres.
Ce processus judiciaire ne se focalisera cependant que sur « les cas les plus graves et les plus représentatifs » et, dans le cas des FARC, que sur ceux considérés comme ayant la « plus grande responsabilité ».
Les personnes accusées de « crimes politiques ou connexes » bénéficieront d’une nouvelle loi d’amnistie. La nature des « crimes connexes » n’a pas encore été définie, mais il n’y aurait pas d’amnistie pour ceux qui sont inculpés de crimes graves. Le procureur général a déclaré que quelque 15 000 membres des FARC pourraient bénéficier de ces amnisties.
Les personnes reconnaissant leur responsabilité dans des crimes graves seront condamnées à une peine de cinq à huit ans de « restriction des libertés » mais pas à des peines d’emprisonnement. Ceux qui reconnaissent leur responsabilité mais qui ne le font pas immédiatement purgeront des peines de cinq à huit ans d’emprisonnement. Toute personne ayant nié une responsabilité qui sera reconnue coupable purgera une peine allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.
L’accent mis sur la « plus grande responsabilité » pourrait permettre à des auteurs d’atteintes aux droits humains d’échapper à la justice étant donné que cette notion n’a pas été clairement définie. Il est également à craindre qu’il ne soit difficile d’obtenir des condamnations pour certains crimes tels que les exécutions extrajudiciaires et les violences sexuelles.
Le 4 juin de cette année, le gouvernement et les FARC ont également annoncé un projet de création d’une commission vérité, mais les cours pourraient ne pas être en mesure d’utiliser les informations obtenues par cette commission. Cela nuirait à la capacité du tribunal et des cours spéciales à engager des poursuites contre les auteurs de violations des droits humains et d’atteintes à ces droits.
Amnesty International demande instamment que des enquêtes pénales indépendantes soient menées afin de s’assurer que les personnes bénéficiant des amnisties ne sont pas impliquées dans des violations des droits humains ou des atteintes à ces droits.
Le gouvernement doit veiller à ce que tout accord de paix avec les FARC ne prenne pas le même tour que le processus de démobilisation des groupes paramilitaires qui a débuté en 2005 en vertu de la Loi pour la justice et la paix. Dans le cadre de ce processus, près de 90 % des quelque 30 000 paramilitaires supposément démobilisés ont bénéficié d’une amnistie de facto sans qu’aucune véritable enquête préalable n’ait été menée sur leur éventuelle implication dans des crimes de droit international. Parmi les 10 % restant qui ont fait l’objet d’une enquête pénale, seuls une poignée ont, 10 ans après, atteint le stade du procès. Un grand nombre de paramilitaires de rang moyen ou simples soldats n’ont pas déposé les armes.
Complément d’information
Le conflit armé interne en Colombie a opposé pendant plus de 50 ans les forces de sécurité et les paramilitaires à divers mouvements de guérilla.
Ce conflit a été marqué par des violations des droits humains et du droit international humanitaire ainsi que par des atteintes à ces droits systématiques et généralisées, et par le fait que les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de ces crimes n’ont pas été déférées à la justice.
Les forces de sécurité et les paramilitaires, agissant ensemble ou séparément, et les groupes de guérilla se sont rendus responsables de toute une série de graves atteintes aux droits humains commises contre les civils, notamment d’homicides illégaux, de déplacements forcés de populations, de torture, d’enlèvements ou de disparitions forcées et de violences sexuelles. Rares sont les responsables présumés qui ont été amenés à rendre des comptes.
Ces violations des droits humains et atteintes à ces droits continuent de peser de façon disproportionnée sur certaines communautés et catégories de personnes en particulier dans les régions rurales, telles que les communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes, et les défenseurs des droits humains, notamment les syndicalistes et les dirigeants associatifs.
On s’attend de plus en plus à ce que la deuxième plus grande formation de guérilla du pays, l’Armée de libération nationale (ELN), entreprenne des négociations de paix avec le gouvernement début 2016.