Pakistan. Il faut enquêter sur les Services du renseignement de l’armée à propos d’attaques contre des journalistes

Le Pakistan doit mener sans délai une enquête sur l’implication présumée des Services du renseignement de l’armée pakistanaise (ISI), le premier service de renseignements des forces armées pakistanaises, dans des attaques contre des journalistes, a déclaré Amnesty International le 29 mai 2014, à l’occasion du troisième anniversaire de l’enlèvement suivi du meurtre du journaliste Saleem Shahzad. « L’absence d’enquêtes approfondies, impartiales et transparentes sur ce type d’agissements et le fait que les responsables ne soient pas amenés à rendre des comptes favorise une culture de l’impunité pour les attaques contre les médias indépendants au Pakistan », a déclaré David Griffiths, directeur adjoint du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International. Dans une lettre ouverte, Amnesty International et 10 autres organisations de défense des droits humains ont appelé le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, à tenir sa promesse de mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les individus et les groupes qui prennent les journalistes pour cibles. « Le meurtre de Saleem Shahzad a été l’une des pires manifestations des menaces auxquelles les journalistes sont exposés quotidiennement au Pakistan. L’incapacité des autorités à mener des enquêtes sérieuses sur des agents de l’ISI et à traduire en justice les responsables de la mort de Saleem Shahzad est inacceptable – il a été enlevé en plein jour au cœur d’Islamabad, la capitale pakistanaise, a souligné David Griffiths.  « Le Pakistan doit immédiatement rouvrir l’enquête pénale sur la mort de Saleem Shahzad, comme le Premier ministre Nawaz Sharif s’y est engagé à plusieurs reprises. Les événements des dernières semaines ont de nouveau démontré la précarité de la situation des médias pakistanais. La persistance de l’impunité ne peut que perpétuer le cycle de la violence. » Le mois dernier, le journaliste Hamid Mir a échappé de justesse à une tentative d’assassinat à Karachi. Il a accusé l’ISI d’être responsable de cette attaque. « Selon les recherches effectuées par Amnesty International, l’ISI est l’organisme étatique le plus souvent accusé par des journalistes d’être impliqué dans le harcèlement, les manœuvres d’intimidation et les atteintes aux droits fondamentaux dont eux-mêmes ou leurs collègues sont victimes. Ceci ne signifie pas nécessairement que l’ISI soit toujours à blâmer. Mais si des agents de l’ISI sont innocents des accusations portées contre eux, ils n’ont rien à craindre d’enquêtes approfondies ni de procédures équitables, a affirmé David Griffiths.  « Nous ne pouvons pas déterminer qui est responsable de ces attaques très médiatisées contre des journalistes en l’absence d’enquête sérieuse. Tous les suspects doivent être présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité ait été établie dans le cadre d’un procès respectant les normes internationales d’équité. » Amnesty International appelle l’ISI et toutes les autres institutions étatiques à coopérer pleinement aux enquêtes pénales sur les attaques contre Saleem Shahzad et Hamid Mir, entre autres, afin de prouver l’engagement qu’ils ont exprimé en faveur de l’état de droit et du respect des droits humains. Saleem Shahzad, correspondant d’Asia Times Online, a été enlevé le 29 mai 2011 à Islamabad. Son corps a été retrouvé deux jours plus tard, il présentait des marques de torture. Ce journaliste avait rédigé des articles sur toute une série de sujets sensibles liés à la sécurité nationale, notamment l’infiltration présumée d’Al Qaïda dans l’armée pakistanaise et les relations de l’État avec les talibans. Moins d’un an avant sa mort, il avait confié à des collègues avoir été menacé de mort par l’ISI. En 2011, le gouvernement pakistanais a ordonné une enquête de haut niveau sur la mort de ce journaliste, mais des éléments de preuve essentiels ont mystérieusement disparu et personne n’a été traduit en justice. Au moins 34 journalistes ont été tués au Pakistan en raison de leur travail depuis le rétablissement de la démocratie en 2008 ; pourtant, les auteurs présumés n’ont été déférés à la justice que dans une seule de ces affaires. Dans un rapport publié le mois dernier, Amnesty International décrit comment les professionnels des médias vivent dans la peur constante d’être harcelés, victimes de violences ou tués par divers agents de l’État et acteurs non étatiques. Depuis la publication de ce rapport, le conflit opposant Geo TV, la principale chaîne de télévision privée, qui fait partie du groupe de médias Jang, aux autorités s’est intensifié après que ce réseau de médias eut accusé l’ISI d’être le commanditaire de la tentative d’assassinat visant le journaliste Hamid Mir. Plusieurs journalistes travaillant pour le groupe Jang ont affirmé à des représentants d’Amnesty International qu’ils faisaient quotidiennement l’objet de menaces et de harcèlement de la part d’inconnus, par téléphone et en personne. Beaucoup n’osent plus entrer dans leurs bureaux ni se présenter comme travaillant pour Geo TV ou d’autres médias du groupe Jang, car ils craignent d’être attaqués. « La campagne virulente et organisée de harcèlement contre le personnel du groupe de médias Jang dans tout le pays est totalement injustifiée, a affirmé David Griffiths. « Il est particulièrement décevant de constater que des médias concurrents ainsi que certains partis politiques ont joint leurs voix à ceux qui attaquent le groupe de médias Jang au lieu de réclamer l’ouverture d’une enquête approfondie et impartiale sur les circonstances de l’attaque contre Hamid Mir. » Des responsables gouvernementaux ont également tenté de suspendre la diffusion de Geo TV en raison de contenus prétendument « contre l’État » et « blasphématoires ». Jusqu’à 80 % de la diffusion du groupe de médias Jang sous forme imprimée et sur les ondes a été perturbée par des organismes de règlementation des médias, agissant semble-t-il sur ordre de l’armée. « Les tentatives de suspension de la diffusion de Geo TV, qui sont de toute évidence motivées par des considérations politiques, constituent une atteinte grave à la liberté d’expression au Pakistan, a déclaré David Griffiths. « Une campagne de dénigrement contre Geo TV, l’ISI, ou n’importe qui d’autre est bien la dernière chose dont le Pakistan a besoin actuellement. Les journalistes, qui souffrent depuis longtemps, méritent d’être protégés contre les attaques et ils ont droit à la justice quand ils sont victimes de violations de leurs droits fondamentaux. Il incombe au gouvernement du Premier ministre Nawaz Sharif de leur fournir protection et justice. Les autorités doivent commencer en reprenant immédiatement l’enquête sur la mort de Saleem Shahzad. »