La nouvelle loi sur le terrorisme en Arabie saoudite : un nouvel outil contre l’expression pacifique

Une nouvelle loi antiterroriste saoudienne consacrera des violations des droits humains constituant déjà des pratiques bien établies et servira de nouvel outil de répression contre l’opposition politique non violente, a déclaré Amnesty International après avoir analysé le texte. La loi sur les crimes terroristes et leur financement, qui est entrée en vigueur samedi 1er février, donne une définition trop vague du terrorisme, accorde au ministère de l’Intérieur de nouveaux pouvoirs trop étendus et légalise tout un ensemble d’atteintes existantes aux droits fondamentaux des détenus. « Cette nouvelle loi dérangeante confirme nos pires craintes, à savoir que les autorités saoudiennes essaient de légiférer pour asseoir leur capacité à sévir contre l’opposition non violente et à réduire au silence les défenseurs des droits humains », a déclaré Said Boumedouha, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Les inquiétudes d’Amnesty International au sujet de cette loi ne datent pas d’hier. En 2011, l’organisation avait fait part de ses préoccupations après la divulgation du projet de loi, en mettant en avant l’impact négatif d’une telle loi sur les droits humains. Dans le cadre des échanges qui s’en sont suivis avec l’organisation, les autorités saoudiennes ont cherché à dissiper les craintes que cette loi soit utilisée pour réprimer l’opposition légitime, en affirmant qu’il ne s’agissait là que d’une ébauche. « Adopter une loi présentant autant de failles graves, deux ans après que des problèmes similaires aient été soulevés dans une version précédente de ce texte ne présage rien de bon quant au projet des autorités de mettre fin à des violations de longue date au nom du contre-terrorisme. Les modifications apportées à cette loi depuis 2011 ont peu fait pour diminuer son impact potentiellement dévastateur sur les droits humains. Ce texte semble ne rien faire d’autre qu’inscrire dans le droit les tactiques répressives du ministère de l’Intérieur, qu’Amnesty International répertorie depuis des années », a déclaré Said Boumedouha. La définition des crimes terroristes donnée dans cette nouvelle loi est trop vague et pourrait être utilisée à mauvais escient par les autorités pour réprimer l’opposition non violente. Parmi les infractions qualifiées de terroristes figure tout acte ayant directement ou indirectement pour but de « troubler l’ordre public de l’État », de « compromettre la sécurité de la société, ou la stabilité de l’État », de « mettre en péril l’unité nationale », de « révoquer la loi fondamentale de gouvernance ou l’un des articles de celle-ci » ou de « nuire à la réputation de l’État ou à sa position ». Des charges similaires ont été retenues contre presque tous les défenseurs des droits humains et membres de la société civile saoudiens arrêtés et poursuivis en 2013. Amnesty International craint qu’une définition aussi large ne permette d’engager des poursuites contre toute forme de militantisme non violent en faveur des droits humains, ce type d’activité pouvant alors être décrit comme une infraction terroriste passible de lourdes peines de prison, voire de la peine de mort étant donné que la nouvelle loi considère le terrorisme comme un crime des plus graves. Cette nouvelle loi accorde par ailleurs au ministère de l’Intérieur des pouvoirs très vastes, sans que ceux-ci ne soit soumis à un contrôle judiciaire étroit, lorsqu’ils le sont. Le ministère est notamment habilité à ordonner des perquisitions, saisies, arrestations et placements en détention de suspects, en toute impunité ou presque. L’article 6 de cette loi dispose que les suspects peuvent être incarcérés pendant 90 jours sans aucun contact avec le monde extérieur à l’exception d’un unique coup de fil à leur famille. Cela empêche en particulier les suspects de bénéficier de l’aide d’un avocat durant les interrogatoires. Cette loi permet aussi au ministère de l’Intérieur de maintenir en détention des suspects d’actes terroristes sans inculpation ni jugement pendant une période de six mois – renouvelable une fois – sans que ceux-ci ne puissent former de recours contre cette décision. La détention pour une durée indéterminée au-delà d’un an est également autorisée par le Tribunal pénal spécial, qui opère dans le secret. « Légaliser la détention au secret pour de longues périodes et bloquer les recours judiciaires visant à remettre celle-ci en cause ouvre la voie au recours systématique à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements en détention », a déclaré Said Boumedouha. Complément d’information La promulgation de la Loi sur les crimes terroristes et leur financement, qui survient quelques mois après l’Examen périodique universel de l’Arabie saoudite et son accession à un siège au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, dénote un mépris total pour le droit international en matière de droits humains et pour les mécanismes des Nations unies mis en place afin de protéger celui-ci. La situation des droits humains en Arabie saoudite s’est nettement détériorée ces derniers mois. En 2013, Amnesty International a recensé des dizaines de cas de militants condamnés par des tribunaux pénaux et de sécurité à de lourdes peines de prison et à des interdictions de voyager. Les autorités ont forcé les quelques ONG indépendantes de défense des droits humains à mettre la clé sous la porte, tandis que leurs membres ont été condamnés à de lourdes peines de prison, souvent au terme de procès contraires aux règles d’équité les plus élémentaires.