Nigéria. La justice pénale ne joue pas son rôle et la plupart des détenus n’ont jamais été inculpés

(Abuja) Amnesty International a attiré l’attention ce mardi 26 février sur l’état affligeant du système pénitentiaire au Nigéria, où les prisons sont peuplées de détenus dont les droits humains sont systématiquement violés.

Pour l’organisation, la justice pénale, qu’elle compare à « une courroie de transmission de l’injustice », manque totalement à son devoir envers les Nigérians.

Dans un rapport détaillé et décapant d’une cinquantaine de pages, Amnesty International montre qu’au moins 65 p. cent des détenus au Nigéria n’ont jamais été inculpés et que certains attendent d’être jugés depuis une dizaine d’années. Elle explique que la plupart des personnes emprisonnées au Nigéria sont trop pauvres pour pouvoir payer un avocat, que seulement une personne sur sept en attente d’être jugée est en mesure de faire appel aux services d’un avocat privé et qu’il n’y a que 91 avocats pouvant être commis d’office dans le pays. L’organisation montre aussi comment les conditions de vie déplorables dans les prisons, surpeuplées, mettent en péril la santé physique et mentale de milliers de détenus.

La torture par les policiers est une pratique courante et généralisée, et les aveux arrachés sous la torture sont souvent admis à titre de preuve lors des procès.

« Les problèmes en matière de justice pénale au Nigéria – notamment au sein du système pénitentiaire – sont si flagrants et si énormes que le gouvernement nigérian n’a d’autre choix que de les reconnaître – il a promis de nombreuses fois de réformer le système », a déclaré Aster van Kregten, lors d’une conférence de presse à Abuja.

« Toutefois, la réalité est telle que les personnes emprisonnées ont peu de chance de voir leurs droits respectés. Ceux qui n’ont pas d’argent ont encore moins de chance. Certains pourraient passer le reste de leur vie derrière les barreaux dans des conditions déplorables sans jamais avoir été inculpés d’une infraction quelconque – parfois simplement du fait que leur dossier s’est perdu aux mains de la police. »

« De nombreux détenus en attente d’être jugés sont effectivement présumés coupables – en dépit du fait qu’il n’y a que peu d’éléments de preuve de leur participation à l’infraction dont ils sont accusés. »

Amnesty International montre également dans son rapport comment, trop souvent, des personnes qui ne sont pas soupçonnées d’avoir commis une infraction sont emprisonnées avec des condamnés déjà jugés. Certains ont été arrêtés à la place d’un membre de leur famille que les policiers n’ont pas réussi à localiser ; d’autres souffrent de maladie mentale et ont été amenés à la prison par des familles qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas les garder. La plupart n’ont aucun avocat pour les défendre.

Une de ses affaires concerne Bassy, une femme de trente-cinq ans atteinte d’une maladie mentale ; son frère qui l’avait amenée à la prison avait déclaré que sa famille ne pouvait plus s’en occuper. Les autorités pénitentiaires avaient classé Bassy comme « civile folle ». Bassy n’était accusée d’aucun délit et n’a jamais comparu devant un juge. Elle a passé près de trois années en prison, dormant par terre dans une cellule avec 11 autres femmes. Après l’intervention de PRAWA, organisation non gouvernementale nigériane qui s’occupe des malades mentaux emprisonnés, Bassy a finalement été transférée dans un hôpital, où elle est actuellement soignée.

« Lorsqu’un État arrête ou emprisonne des personnes uniquement parce qu’elles ont des liens familiaux avec des suspects ou parce qu’elles souffrent de troubles mentaux, il viole le droit des personnes de ne pas être arbitrairement arrêtées ou détenues – un droit garanti par la Déclaration universelle des droits de l’homme », a déclaré Aster van Kregten.

Les dossiers mettent tellement de temps à arriver devant le juge qu’une fois qu’un détenu a été jugé il n’est pas prêt à faire appel de son jugement. Même ceux qui clament leur innocence craignent de rester en prison plus longtemps s’ils décident de faire appel que s’ils effectuent la peine qui leur a été infligée.

Amnesty International souligne également dans son rapport la charge de travail du personnel pénitentiaire, qui travaille souvent de longues heures dans des conditions éprouvantes, pour des salaires très bas et souvent versés avec du retard. Le bas niveau des salaires favorise souvent l’extorsion d’argent aux prisonniers et le manque de personnel créé une insécurité qui met en danger à la fois le personnel pénitentiaire et les détenus. La responsabilité du maintien de l’ordre dans les établissements pénitentiaires est souvent laissée aux détenus eux-mêmes, qui assument aussi un rôle disciplinaire, décidant des châtiments corporels, mises à l’isolement et privations alimentaires – en dehors de toutes normes internationales.

« Le gouvernement nigérian ne remplit pas ses obligations nationales et internationales en matière de justice pénale et il doit s’attacher à le faire sérieusement de toute urgence, a déclaré Aster van Kregten. Les conditions de vie que nous avons constatées dans les prisons et les récits qui nous ont été faits par des détenus constituent un scandale national. »

Complément d’information Le gouvernement nigérian a, à de nombreuses reprises, déclaré vouloir réformer la justice pénale, reconnaissant sa part de responsabilité dans la situation actuelle des prisons où détention prolongée et surpopulation sont fréquentes. Malgré les recommandations d’un grand nombre de commissions et comités présidentiels en faveur de réformes, rien n’a été fait. Au lieu de cela, le gouvernement a créé de nouveaux comités et de nouvelles commissions pour étudier, revoir et harmoniser les précédentes recommandations.

Le texte intégral (en anglais) du rapport Nigeria: Prisoner’s rights systematically flouted (index AI : AFR 44/001/2008) est disponible sur le site de l’organisation www.amnesty.org.