Soudan. La colère monte devant l’aggravation de l’insécurité

Alors que les forces des Nations unies arrivent au terme de leur troisième semaine d’opération au Darfour, Amnesty International attire aujourd’hui l’attention sur le fait que la sécurité des personnes déplacées est extrêmement fragile et qu’une génération de Darfouriens grandit actuellement dans des camps inondés d’armes où règnent la peur et l’insécurité – une combinaison potentiellement explosive.

Cet avertissement de taille est formulé à l’occasion de la parution du rapport intitulé Soudan. Les déplacés du Darfour. La génération de la colère. Ce document décrit l’insécurité dans laquelle vivent les personnes déplacées dans les camps du Darfour et fait état des conséquences qui peuvent en résulter et des solutions possibles.

« Pratiquement tous les camps du Darfour sont inondés d’armes. La sécurité à l’intérieur et à l’extérieur des camps continue de se dégrader, à mesure que les espoirs d’une solution politique au conflit du Darfour s’amenuisent et que les hostilités entre le gouvernement et les groupes armés s’accentuent », a déclaré Tawanda Hondora, directeur adjoint du Programme Afrique d’Amnesty International.

« On continue à ne pas tenir compte du bien-être des personnes déplacées, tandis que les groupes armés et le gouvernement se disputent et empêchent le déploiement complet des forces de la MINUAD [Mission des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour], a-t-il ajouté. Il ne pourra pas y avoir de paix durable s’il n’est pas fait en sorte que la sécurité et les droits fondamentaux de ces personnes soient respectés et garantis. »

Les groupes armés utilisent toujours les camps pour recruter des combattants, y compris des enfants.

« Les jeunes du Darfour vivent dans une situation qui ne semble donner aucun espoir, ni pour le présent ni pour le futur. Certains d’entre eux, en proie à la colère et à la frustration, rejoignent les groupes armé », a dit Tawanda Hondora.

“Ali”, une personne déplacée vivant dans le camp d’Abu Shouk, a déclaré à Amnesty International : « Les garçons de dix-huit ans se sentent perdus, ils n’ont pas de travail, en particulier ceux qui sont allés à l’école, ils vivent de l’assistance. »

Les personnes déplacées du Darfour ne bénéficient en général d’aucune protection. La force de l’Union africaine censée les protéger a été attaquée par des Janjawids et des groupes d’opposition armés, plus nombreux et mieux équipés en armes.

« Le même sort attend les forces de la MINUAD, à moins que les parties en guerre ne soient clairement prévenues que toute attaque contre la MINUAD et contre des civils est inacceptable, a déclaré Tawanda Hondora. En outre, il est urgent de prendre des mesures pour que le gouvernement soudanais écarte tout obstacle qui entrave le déploiement complet des forces de la MINUAD. Il importe aussi que la communauté internationale renforce en bonne et due forme les moyens de la MINUAD, notamment par la fourniture d’équipements de transports par terre et par air. »

Par ailleurs, les déplacés considèrent plus l’armée et la police soudanaises – qui ont elles aussi pour mission de protéger les civils – comme hostiles envers eux que comme protectrices, et ils sont souvent arbitrairement arrêtés à l’extérieur des camps et soupçonnés d’appartenir à des groupes d’opposition armés.

Jusqu’à 29 ethnies sont représentées dans certains camps, comme celui de Kalma. Ici, la plupart des occupants détiennent des armes. Amnesty International a été informée que beaucoup de jeunes du camp ont constitué des groupes d’autodéfense, en fonction de leur origine – four, masalit, zaghawa ou dajo. Les Nations unies ont noté plus de 10 incidents armés entre le 16 et le 22 octobre 2007, dans le camp de Kalma, observant qu’une grande partie de ces violences avaient été attribuées à des Fours armés, dont des enfants, et qu’elles étaient dirigées contre d’autres groupes ethniques du camp.

« La présence d’armes à l’intérieur des camps a rendu la sécurité encore plus fragile pour tous, a précisé Tawanda Hondora. Dans certains, un revolver peut s’acheter pour seulement 17 euros, ce qui ne fait qu’accroître les cas de vol et d’agression. Dans ce lourd climat de colère, de peur et d’insécurité, où les désaccords politiques sont nombreux, les disputes ont souvent une issue tragique. »  

Les femmes déplacées risquent constamment d’être violées dès qu’elles s’aventurent hors des camps pour aller ramasser du bois ou chercher à manger. Bien que la plupart des victimes de viol accusent les milices janjawids, d’autres les attribuent à des membres de l’armée soudanaise, de la police ou d’autres groupes d’opposition armés, dont la faction de l’Armée de libération du Soudan dirigée par Minni Minawi (ALS/MM). Il arrive aussi que des femmes soient violées par des hommes déplacés, à l’intérieur même des camps.

“Mahmud”, un homme déplacé à El Geneina, a raconté ce qui suit à Amnesty International : « Les femmes continuent à sortir pour ramasser du bois, ce qui est dangereux car elles risquent d’être violées. Pourtant nous les laissons sortir parce que les hommes qui ramassent du bois peuvent être tués. »

Amnesty International a demandé à la MINUAD d’assurer la protection des déplacés en postant des unités près de chaque camp et en patrouillant en permanence – y compris en accompagnant les personnes qui vont ramasser du bois.

« La MINUAD doit être dotée des ressources nécessaires pour pouvoir assurer la protection de tous les civils du Darfour, a déclaré Tawanda Hondora. En outre, toutes les parties au conflit doivent cesser immédiatement d’attaquer des civils et faciliter le déploiement des forces de la MINUAD dans toutes les régions touchées. »

Cliquez ici pour voir l’ensemble du rapport Soudan. Les déplacés du Darfour. La génération de la colère (index AI : AFR 54/001/2008).