Kosovo (Serbie). Leçons à tirer

Au moment où l’Union européenne s’apprête à prendre une décision sur ses responsabilités en ce qui concerne le Kosovo, Amnesty International tient à souligner que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis pendant le conflit de la fin des années 90 ne doivent pas rester impunis.  

L’organisation appelle les autorités internationales et kosovares à terminer l’examen du travail accompli par la justice internationale et locale en ce qui concerne les personnes soupçonnées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes intercommunautaires ; elle les engage à rendre publics les résultats de ce passage en revue ainsi que tous les jugements et documents de justice concernant lesdits crimes.

« Des centaines de cas de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, y compris des viols et des disparitions forcées, ainsi que d’autres crimes intercommunautaires n’ont pas été résolus, a déclaré Sian Jones, responsable des recherches sur le Kosovo à Amnesty International. Des centaines d’affaires ont été closes parce que les éléments de preuve n’avaient pas été correctement collectés ou présentés dans les délais. Des proches de personnes ayant disparu se sont plaints de ce qu’ils avaient été interrogés à de trop nombreuses reprises par des policiers ou des procureurs internationaux ayant repris leurs dossiers en cours de route et que, de ce fait, les affaires ne progressaient pas. »

En novembre et décembre 2007, des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Kosovo où ils ont rencontré des membres de l’équipe de planification de l’Union européenne (EPUE) ; des membres de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK), dont des responsables de la police et de la justice ; des organisations non gouvernementales locales et internationales surveillant les travaux des procureurs et juges internationaux. Les délégués ont découvert que les procès ne cessaient d’être reportés en raison du manque de juges et de procureurs internationaux ; que les dossiers en retard s’accumulaient, et que de nombreuses affaires n’allaient pas jusque devant les tribunaux du fait que la protection des témoins n’était pas pleinement assurée et que le soutien nécessaire n’était pas apporté aux victimes de viol et d’autres violences sexuelles.

L’appareil judiciaire pénal et civil de la province du Kosovo, qui appartenait à ce qui était alors la République fédérale de Yougoslavie, s’est effondré après le conflit de 1999. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie avait compétence pour juger les crimes commis au Kosovo, mais il est vite apparu qu’il ne pourrait juger qu’un très petit nombre d’affaires. Les Nations unies ont donc mis en place un programme dans le cadre duquel quelques juges et procureurs étrangers sont venus renforcer les rangs de la justice pénale locale.

Le rapport d’Amnesty International, Kosovo (Serbia): The challenge to fix a failed UN justice mission, examine ce programme à la lumière des dispositions du droit international et des normes internationales sur le droit à un procès équitable et le droit des victimes à obtenir justice et réparation. Le document de l’organisation dresse les leçons à tirer de cette expérience au moment de développer et mettre en œuvre de nouvelles initiatives, tout en recommandant de continuer d’inclure une composante internationale dans l’appareil judiciaire national en déliquescence.  

« Il est regrettable qu’après plus de sept ans le programme des juges et procureurs internationaux n’ait pas répondu aux attentes dont il faisait l’objet, a commenté Sian Jones. Les procureurs et juges sur place ne sont toujours pas en mesure de prendre en charge des affaires de crimes de droit international, et aucune loi n’a encore été adoptée pour mettre en œuvre la réforme législative indispensable au traitement de telles affaires. Aucune échéance n’a non plus été fixée pour l’achèvement de la remise sur pied de la justice afin qu’elle puisse fonctionner sans l’aide internationale. »    

Internationaliser les tribunaux nationaux en faisant temporairement appel à du personnel étranger expérimenté pour, en collaboration avec le personnel local, remettre sur pied la justice nationale ou combler ses lacunes, peut encore être considéré comme un des moyens permettant à long terme d’enquêter sur les nombreuses infractions au droit international ; de juger les responsables présumés de ces agissements ; de fournir des réparations aux victimes et de rétablir l’état de droit en s’appuyant sur une justice remise à flot.

Cependant, la structure et le mode de fonctionnement du programme des juges et des procureurs internationaux ont malheureusement affiché de telles défaillances dès le départ que l’exemple du Kosovo ne peut pas, sans l’apport de changements majeurs, servir de modèle à l’internationalisation des appareils judiciaires nationaux.

Le rapport d’Amnesty International contient une série de recommandations pour la mise en œuvre immédiate de réformes essentielles visant à aider d’une part l’Union européenne, dans sa planification pour que les juges et procureurs internationaux apportent les améliorations qu’ils ont promis d’apporter à la justice au Kosovo, et d’autre part les Nations unies, dans la planification de tout futur système judiciaire de transition.

Si ces recommandations ne sont pas mises en œuvre aussi rapidement que possible, l’espoir d’une paix durable dans un Kosovo où les droits fondamentaux de tous seront pleinement respectés sera fortement mis à mal.