Tunisie. Annonce sur les droits humains, à l’occasion des vingt années de pouvoir du président Ben Ali

La semaine prochaine, le 7 novembre marquera le 20ème anniversaire de l’accession au pouvoir du président tunisien Zine Al Abidine Ben Ali. Les deux décennies passées au pouvoir par le président Ben Al ont été marquées par des violations systématiques et persistantes des droits humains, notamment des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et autres mauvais traitements, des procès inéquitables, le harcèlement et l’intimidation de défenseurs des droits humains, et des restrictions à la liberté d’expression et d’association. «Au bout de vingt ans, il est grand temps que le président tunisien et son gouvernement prennent des mesures concrètes pour cesser ces violations des droits humains, persécutions et répressions menées au nom du maintien de la sécurité et de la stabilité politique», a déclaré Malcolm Smart, directeur du programme Moyen orient et Afrique du nord d’Amnesty International. «Il faut en particulier des réformes urgentes pour mettre un terme aux procès inéquitables, à la torture en détention et aux tentatives des autorités de réduire au silence des critiques légitimes.» Amnesty International demande à la communauté internationale, notamment à l’Union européenne, de signifier clairement aux autorités tunisiennes qu’elles doivent cesser les violations des droits humains commises sous le gouvernement du président Ben Ali. «Les performances économiques de la Tunisie ne doivent plus servir de prétexte au refus de voir les violations des droits humains qui se produisent quotidiennement dans ce pays», a ajouté Malcolm Smart.

Résumé

Amnesty International constate avec une grande inquiétude que la situation des droits humains en Tunisie ne s’est guère ou pas améliorée lors des vingt années de présidence de Zine Al Abidine Ben Ali. Malgré certaines réformes juridiques progressistes qui semblaient offrir une meilleure protection des droits humains, la situation des droits humains en Tunisie s’est manifestement détériorée depuis l’introduction de la Loi antiterroriste de 2003. Ce texte contient une définition vague du terrorisme, qui a été utilisée par les forces de sécurité pour viser les défenseurs des droits humains, les critiques pacifiques et les opposants du gouvernement, dans une tentative d’étouffer toute critique indépendante. Des actes de torture et d’autres mauvais traitements sont toujours signalés, notamment dans les prisons. Des centaines de prisonniers politiques détenus en lien avec des activités terroristes présumées, notamment des prisonniers d’opinion, subissent toujours des conditions carcérales constituant un traitement ou châtiment cruel, inhumain et dégradant, voire une forme de torture. Nombre de ces prisonniers ont été jugés et condamnés à l’issue de procès inéquitables, notamment devant des tribunaux militaires.

Torture et mauvais traitements

Les détenus politiques sont fréquemment soumis à la torture et autres mauvais traitements lorsqu’ils sont aux mains des forces de sécurité, en particulier la Direction de la sûreté de l’État du ministère de l’Intérieur, afin de leur extorquer des «aveux» ou autres déclarations qui pourront être par la suite utilisés contre eux lors de leur procès ; de nombreux détenus se sont par la suite rétractés devant le tribunal, pour la raison que leurs déclarations avaient été obtenues par la torture ou d’autres mauvais traitements. La torture et les mauvais traitements se produisent généralement quand les détenus se trouvent en garde à vue ; le droit tunisien impose une limite de six jours à la période de garde à vue mais, en pratique, cette disposition est fréquemment violée dans l’impunité par les forces de sécurité, certains détenus étant maintenus en garde à vue jusqu’à plusieurs semaines. Des détenus inculpés en lien avec des actes terroristes présumés ou d’autres infractions liées à la sécurité auraient également été torturés ou maltraités dans certaines prisons. Dans presque tous les cas de torture ou autres mauvais traitements présumés, les autorités tunisiennes n’ont pas mené d’enquête et n’ont pris aucune mesure pour traduire les responsables présumés en justice.

Procès inéquitables, notamment devant des tribunaux militaires

Depuis l’introduction de la Loi antiterroriste de décembre 2003, celle-ci a été largement utilisée par les autorités pour arrêter, détenir et juger des suspects présumés de terrorisme. Cependant, les personnes reconnues coupables sont souvent condamnées à de longues peines d’emprisonnement à l’issue de procès manifestement inéquitables, notamment devant les tribunaux militaires. Dans de nombreux cas, la reconnaissance de culpabilité reposait exclusivement sur des «aveux» qui auraient été obtenus sous la torture, et que les accusés auraient rétractés devant le tribunal, sans que celui-ci n’ouvre une enquête. L’accès des avocats de la défense à leurs clients est de plus en plus restreint dans les affaires liées au terrorisme. La Loi antiterroriste et les dispositions du Code de justice militaire ont également été utilisées pour condamner des ressortissants tunisiens renvoyés de force en Tunisie par les autorités d’autres États, dont la France, l’Italie et les États-Unis. Les personnes concernées ont été inculpées de lien avec des organisations terroristes opérant hors du pays, et certaines de ces personnes ont été traduites devant des tribunaux militaires. Les procès de ces tribunaux ne respectent pas un certain nombre de garanties pour un procès équitable, notamment le droit à une révision complète de l’affaire par une juridiction supérieure. Les personnes reconnues coupables devant des tribunaux militaires ne peuvent demander une révision de leur procès que devant la cour de cassation militaire, qui examine seulement les questions procédurales et non le fond de l’affaire. Quinze civils au moins auraient été condamnés à des peines allant jusqu’à dix ans de prison par le tribunal militaire de Tunis, pour la seule année 2007.

Prisonniers politiques détenus dans des conditions inhumaines et dégradantes

Des centaines de personnes ont été arrêtées et détenues pour des raisons politiques ou sécuritaires au cours de ces trois dernières années, mais le gouvernement tunisien continue de nier qu’il détient des prisonniers politiques ou d’opinion, les décrivant comme des prisonniers de droit commun. Les prisonniers politiques sont souvent soumis à la discrimination et à des traitements durs en prison, entraînant des protestations répétées, notamment des grèves de la faim de prisonniers, contre le refus de soins médicaux, l’interruption des visites familiales et la dureté des conditions carcérales, comme la détention à l’isolement prolongée. Amnesty International craint que les conditions carcérales de ces prisonniers ne constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant, voire une forme de torture dans certains cas. Ousama Abbadi, Mohammed Amine Jaziri, Ramzi el Aifi, Oualid Layouni et Mahdi Ben Elhaj Ali auraient été torturés et maltraités par des gardiens de la prison de Mornaguia, vers le 16 octobre 2007. Ces cinq détenus ont été frappés à coups de poing, ligotés et frappés à coups de pied. Ousama Abbadi a été frappé au visage, ce qui a entraîné une hémorragie interne à l’œil droit. Il portait aussi une blessure ouverte profonde à la jambe. Il a rencontré son avocat sur une chaise roulante, incapable de tenir debout. D’autres détenus de Mornaguia auraient été dénudés et traînés dans le couloir, devant plusieurs cellules. Un autre détenu aurait été violé par insertion d’un bâton dans son anus. Aucune enquête sur ces allégations n’a eu lieu, à notre connaissance.

Une liberté d’expression constamment menacée

Les autorités tunisiennes continuent de restreindre sévèrement la liberté d’expression, notamment la liberté de la presse, et les rédacteurs et journalistes travaillent dans un climat de peur et d’intimidation permanent. Les publications étrangères sont censurées et les journalistes qui critiquent le gouvernement subissent des licenciements ou des menaces de licenciement de leurs journaux, ou sont harcelés par des campagnes de dénigrement dans la presse officielle, ou visés par des procédures judiciaires utilisant les textes de loi sur la diffamation. Les journalistes sont empêchés, y compris par la force, de tenir des réunions, de suivre ou de couvrir des événements organisés par des organisations indépendantes de défense des droits humains ou susceptibles de critiquer les autorités. Les autorités tunisiennes s’attaquent également à la liberté d’expression de la croyance religieuse. Le harcèlement des femmes portant le hijab (voile islamique) et des hommes portant la barbe et le qamis (chemise descendant au genou) va croissant, après que les autorités ont demandé la mise en œuvre stricte d’un décret ministériel des années 1980 interdisant aux femmes de porter le hijab dans les institutions éducatives et en travaillant pour le gouvernement. Les femmes souffrent souvent de manière disproportionnée, dans ce domaine. Certaines femmes ont été emmenées dans des postes de police et forcées de signer des déclarations par lesquelles elles renonçaient à porter le hijab. D’autres se seraient vu arracher leur hijab dans la rue par des policiers en civil. Certaines femmes ont reçu l’ordre d’enlever leur hijab avant de pouvoir accéder à des écoles, universités ou lieux de travail, et d’autres ont été obligées de l’enlever dans la rue.

Des restrictions croissantes étouffent les défenseurs et les organisations de défense des droits humains indépendants

Les organisations de défense des droits humains continuent de subir une répression accrue. Le gouvernement bloque régulièrement l’enregistrement de nouvelles ONG indépendantes en les empêchant de soumettre leurs demandes d’enregistrement ou en refusant de leur fournir les reçus prouvant qu’elles ont déposé cette demande. Cependant, l’enregistrement officiel et la reconnaissance légale n’offrent aucune garantie qu’une organisation peut opérer sans ingérence des autorités. Les organisations enregistrées régulièrement doivent obtenir une autorisation officielle préalable pour leurs réunions et événements publics, mais cette autorisation est souvent retirée si l’événement concerne les droits humains en Tunisie. Les propriétaires des locaux où ces réunions ont lieu annulent souvent les réservations au dernier moment, en raison semble-t-il de pressions des autorités. Les défenseurs et militants des droits humains subissent du harcèlement et parfois des violences physiques aux mains des autorités. L’avocat Raouf Ayadi a été insulté, jeté et traîné au sol par des policiers ce 1er novembre, pour l’empêcher de rendre visite à un militant des droits humains et à un journaliste en grève de la faim pour protester contre le refus des autorités de leur remettre des passeports. D’autres défenseurs des droits humains, avec leurs familles, vivent au quotidien sous la surveillance des forces de sécurité. Les clients d’avocats défenseurs des droits humains sont souvent interceptés et interrogés à l’entrée ou la sortie des bureaux de ces juristes par des policiers en civil, qui exercent une pression pour qu’ils changent d’avocat. Les activités des défenseurs et avocats des droits humains sont sévèrement restreintes et leurs déplacements sont étroitement surveillés. Les lignes téléphoniques des organisations de défense des droits humains, ainsi que leurs connexions Internet, sont souvent perturbées, ce qui les empêche de communiquer ou d’avoir un libre accès à l’information.

L’indépendance du système judiciaire sapée par l’ingérence et l’intimidation

Les autorités tunisiennes nient l’existence d’irrégularités graves et structurelles dans l’administration de la justice en Tunisie, et tentent souvent de réduire au silence ceux qui s’expriment sur l’ingérence politique systématique qui nuit à l’indépendance du système judiciaire. Ainsi, en septembre 2005, des membres de l’Association des magistrats tunisiens (AMT) se sont vu interdire l’accès à leurs bureaux pour avoir demandé un système judiciaire plus indépendant. Certains magistrats auraient été mutés dans des régions isolées, loin de leurs domiciles et de leurs familles, afin de les intimider et les réduire au silence. La liberté de déplacement des magistrats est régulièrement restreinte. En septembre 2006, Wassila Kaabi, magistrate et membre du conseil exécutif de l’AMT, a été empêchée de voyager en Hongrie pour participer à une réunion de l’Union internationale des magistrats. Aux termes du droit tunisien, les magistrats doivent demander la permission du secrétaire d’État à la Justice pour sortir du pays. Amnesty International demande au président Ben Ali de marquer le 20ème anniversaire de son accession au pouvoir en prenant des mesures concrètes pour réagir aux graves violations des droits humains qui se produisent en Tunisie depuis longtemps et de manière systématique ; il faut notamment libérer immédiatement et sans conditions tous les prisonniers d’opinion, réformer la procédure et les pratiques d’arrestation et de détention, et enquêter d’urgence sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements de prisonniers, dont les responsables doivent être traduits en justice. Notre organisation demande également que toutes les personnes accusées en vertu de la Loi antiterroriste, ou sous d’autres chefs d’inculpation, bénéficient d’un procès équitable ; nous demandons aussi que cessent le harcèlement et l’intimidation des défenseurs des droits humains, journalistes et autres, et que les autorités tunisiennes respectent le droit à la liberté d’expression et d’association.