À quelques jours de l’expiration, vendredi 25 octobre, du délai de prescription dans une affaire où 85 personnes sont mortes pendant et après des manifestations dans le district de Tak Bai, dans la province de Narathiwat (Thaïlande), en octobre 2004, Chanatip Tatiyakaroonwong, spécialiste de la Thaïlande à Amnesty International, a déclaré :
« Les autorités thaïlandaises doivent agir de toute urgence – avant qu’il ne soit trop tard. Il faut que justice soit rendue aux victimes des violations des droits humains commises par des représentants de l’État ayant violemment réprimé une manifestation à Tak Bai il y a 20 ans.
« La décision historique d’un tribunal de déclarer recevable l’action en justice engagée par les victimes et leurs familles au mois d’août était une lueur d’espoir dans un contexte d’impunité persistante pour les violations commises contre les manifestant·e·s en Thaïlande. Or à quelques jours de l’expiration du délai de prescription pour ces crimes, l’action en justice intentée par les victimes est compromise.
« Les accusés dans ce procès, qui sont tous d’anciens ou d’actuels hauts fonctionnaires – notamment des personnes qui se trouveraient au Japon et au Royaume-Uni – ne se sont pas présentés au tribunal. Si aucun d’entre eux ne le fait avant vendredi 25 octobre 2024, l’affaire sera classée.
« Les autorités thaïlandaises doivent prendre toutes les mesures requises, afin que les personnes soupçonnées d’avoir une responsabilité pénale dans les graves violations des droits humains commises dans cette affaire ne puissent pas bénéficier de l’impunité. Il s’agit notamment d’exécuter les mandats d’arrêt émis contre les suspects et de présenter ceux-ci au tribunal avant le 25 octobre 2024 afin de permettre aux victimes et à leurs familles d’avoir la possibilité d’engager une action en justice dans cette affaire. »
Complément d’information
Le 25 octobre 2004, plus de 2 000 manifestant·e·s s’étaient rassemblés devant le poste de police de Tak Bai, dans la province de Narathiwat, l’une des provinces frontalières du sud du pays, afin de réclamer la libération de six musulmans appartenant à l’ethnie malaise, semble-t-il détenus de manière arbitraire par les autorités thaïlandaises.
Les forces de sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène, des canons à eau et des balles réelles, tuant sept manifestants sur place – dont cinq ont reçu une balle dans la tête. Par la suite, environ 1 370 musulmans malais détenus ont été transportés au camp militaire d’Ingkayut Borihan à Pattani, à 150 kilomètres de là. Après qu’ils ont été contraints de se coucher les uns sur les autres dans des camions de l’armée, 78 sont morts par écrasement ou asphyxie pendant le transfert, tandis qu’un grand nombre a subi des blessures graves et des incapacités permanentes.
Une commission d’enquête indépendante, mise sur pied par le gouvernement de l’époque, a condamné l’usage d’une force excessive et le manque de discernement lors du transport des détenus. Les victimes ont été indemnisées, mais aucun agent identifié par la commission n’a été déféré à la justice jusqu’à présent.
En août 2024, le tribunal de la province de Narathiwat a statué en faveur d’une requête déposée par les victimes et leurs familles en vue d’intenter une action en justice contre les membres des forces de sécurité soupçonnés d’être responsables de violations des droits humains lors de la manifestation de Tak Bai, parmi lesquels des militaires et des policiers haut gradés.
Sur les neuf agents poursuivis par les victimes et leurs familles, le tribunal a déterminé qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve afin de poursuivre sept d’entre eux pour les infractions d’homicide, de tentative de meurtre et de détention illégale.
Bien qu’ils aient été cités à comparaître, aucun des sept fonctionnaires ne s’est présenté au tribunal pénal de Narathiwat pour la déposition des témoins et l’examen des preuves. Des mandats d’arrêt ont été délivrés contre ces sept personnes, dont certaines se trouveraient au Japon et au Royaume-Uni.
Le délai de prescription pour cette affaire doit expirer le 25 octobre. Au moins un des accusés doit comparaître devant un tribunal pour que l’action en justice soit reconnue, et ainsi permettre que l’affaire débute, conformément à l’article 95 du Code pénal thaïlandais, qui régit le délai de prescription des infractions pénales. Amnesty International rappelle qu’il ne devrait pas y avoir de prescription pour les violations graves des droits humains ou les crimes relevant du droit international, notamment les exécutions extrajudiciaires et la torture.
En octobre 2023, Amnesty International a diffusé une déclaration publique sur les conséquences de l’incapacité des autorités thaïlandaises à rendre justice aux victimes de la violente répression de la manifestation de Tak Bai et à leurs familles.