Soudan du Sud. Le projet de loi sur le Service national de la sûreté doit être révisé

Le Parlement doit renforcer le contrôle sur cet organisme et limiter davantage ses vastes pouvoirs

Il faut que le Parlement du Soudan du Sud révise le projet de loi portant modification de la Loi relative au Service national de la sûreté, afin de mettre un terme aux arrestations arbitraires et aux autres abus commis par cet organisme, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch le 27 juillet. Les deux organisations ont publié la lettre qu’elles ont adressée conjointement au Parlement et qui explique de façon détaillée que certaines dispositions de ce projet de loi posent problème, même si plusieurs autres dispositions vont dans le bon sens.

« Il est absolument indispensable que les carences de la loi régissant le Service national de la sûreté (NSS) soient corrigées afin que cet organisme à la sombre réputation soit dûment contrôlé, a déclaré Mausi Segun, directrice pour l’Afrique à Human Rights Watch.

« Le Parlement doit veiller à ce que le texte en instance limite réellement les pouvoirs du NSS et renforce le contrôle sur ses activités. »

L’actuelle Loi de 2014 relative au NSS accorde à cet organisme des pouvoirs étendus et absolus qui lui permettent de commettre de graves abus en toute impunité, ce qui crée et maintient un climat de répression et de peur.

Human Rights Watch et Amnesty International ont, de même que d’autres organisations de défense des droits, rassemblé des informations montrant que les vastes pouvoirs dont dispose le NSS ont contribué à rétrécir l’espace civique. Cet organisme exerce ses pouvoirs sans être soumis à un contrôle judiciaire et législatif suffisant, ses agents sont rarement sanctionnés pour les abus qu’ils commettent, et le gouvernement n’a pas la volonté politique de faire face à ces pratiques généralisées, ont déclaré les deux organisations. De nombreuses personnes victimes de ces abus souffrent depuis de problèmes de santé physique et mentale chroniques.

Le projet de loi portant modification de la Loi de 2014 qui est actuellement examiné par le Parlement a été rédigé par la Commission nationale de modification de la Constitution (NCAC) dans le cadre des réformes prévues par l’Accord de paix revitalisé de 2018. Faute de consensus au sein des membres de la Commission au sujet de l’aptitude de cet organisme à procéder à des arrestations, le projet de loi a été soumis au ministère de la Justice en 2019 puis à la présidence en avril 2021 afin de trouver une solution.

En décembre 2022, le ministre de la Justice a recommandé au cabinet et à la présidence de limiter les pouvoirs de cet organisme concernant l’arrestation et le placement en détention des suspects. Le 22 février 2023, plusieurs médias ont indiqué que la présidence avait accepté de supprimer ses pouvoirs concernant l’arrestation et le placement en détention des personnes, avec ou sans mandat. Le 9 mai, les médias ont signalé que le projet de loi allait être présenté en première lecture au Parlement sous deux semaines, ce délai étant à présent écoulé. 

Il est absolument indispensable que les carences de la loi régissant le Service national de la sûreté (NSS) soient corrigées afin que cet organisme à la sombre réputation soit dûment contrôlé

Mausi Segun, directrice pour l’Afrique à Human Rights Watch

Le projet de loi comprend une série de mesures allant dans le bon sens, ont souligné Amnesty International et Human Rights Watch. Il présente des principes directeurs fondés sur le respect des droits fondamentaux, interdit la torture et les autres formes de traitement cruel, inhumain et dégradant, et prévoit que les agents du NSS ne peuvent pas procéder à des arrestations ou séquestrations. Il confie en outre au ministre de la Justice et aux juridictions civiles des pouvoirs élargis concernant les poursuites visant les agents de cet organisme accusés de crimes. Cependant, le projet de loi contient toujours des dispositions vagues et de très large portée qui permettraient au NSS de continuer de commettre des atteintes aux droits humains, ont déclaré les deux organisations.

Si le projet de loi abroge les articles 54 et 55 de la Loi relative au NSS, qui permettaient à ce dernier de procéder à des arrestations avec ou sans mandat, il maintient cependant son pouvoir de procéder à des arrestations dans les « situations d’urgence », ce qui risque de donner lieu à des abus. Il lui permet également, dans son article 57, d’arrêter une personne sans mandat si cette personne est soupçonnée d’importants « crimes contre l’État ».

Le Parlement devra, lors de son examen du projet de loi, supprimer ce pouvoir de procéder à des arrestations, ont déclaré les deux organisations.

De plus, comme l’article 57 accorde à tout juge le pouvoir de visiter tout lieu de détention, si l’on rapproche cet article de l’article 13(15), qui prévoit que le NSS peut arrêter des personnes dans certaines circonstances, on peut en conclure que ce dernier a le pouvoir de maintenir des personnes en détention. Le Parlement devrait faire clairement savoir que le NSS ne peut en aucune circonstance détenir des civil·e·s, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International.

La définition très vague que donne le projet de loi des « crimes contre l’État » – « toute activité visant à porter atteinte […] au gouvernement » – et la référence qui est faite à la définition de ce même crime dans le Code pénal de 2008, qui est tout aussi vague, posent problème. Le gouvernement a par le passé utilisé des accusations fallacieuses de crimes contre l’État pour restreindre les droits aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association, y compris en ce qui concerne l’exercice pacifique de l’opposition politique et le fait de critiquer publiquement la politique et les actions de l’État.

En attendant, le gouvernement du Soudan du Sud doit ordonner la fermeture de tous les lieux de détention non autorisés utilisés par le NSS et libérer toutes les personnes détenues ou les remettre aux organes légitimes d’application des lois afin qu’elles soient inculpées et jugées dans le cadre d’une procédure équitable. Les autorités doivent également révéler le lieu où se trouve Morris Mabior Awikjiok, un réfugié sud-soudanais transféré depuis le Kenya début mars, ainsi que son statut au regard de la loi et son état de santé. Cet homme serait détenu au secret dans le centre de détention Blue House du NSS.

« Les initiatives visant à réformer le NSS ne seront fructueuses que si elles sont accompagnées de mesures amenant ses membres à répondre des atteintes aux droits humains commises par le passé et actuellement », a déclaré Tigere Chagutah, directeur du bureau régional Afrique de l’Est et australe à Amnesty International. Les autorités doivent veiller à ce que les membres du NSS, y compris ses hauts responsables, rendent des comptes. »

Les initiatives visant à réformer le NSS ne seront fructueuses que si elles sont accompagnées de mesures amenant ses membres à répondre des atteintes aux droits humains commises par le passé et actuellement

Tigere Chagutah, directeur du bureau régional Afrique de l’Est et australe à Amnesty International