- Les condamnations de quatre défenseur·e·s des droits humains, dont Taner Kılıç, président honoraire d’Amnesty Turquie, et İdil Eser, ancienne directrice d’Amnesty Turquie, sont annulées.
Si la décision rendue par un tribunal turc d’annuler les condamnations infondées prononcées contre le président honoraire d’Amnesty International Turquie et trois autres défenseur·e·s des droits humains est un immense soulagement, elle met aussi en lumière le caractère politique de ces poursuites, a déclaré Amnesty International le 6 juin 2023.
La décision portant sur les condamnations de Taner Kılıç, İdil Eser, Özlem Dalkıran et Günal Kurşun – quatre des 11 défenseur·e·s des droits humains condamnés dans le cadre de l’affaire de Büyükada en juillet 2020 – intervient six ans exactement après la première arrestation de Taner Kılıç, qui avait été suivie de l’arrestation de ses collègues quelques semaines plus tard.
« Ce jugement met fin à une parodie de justice totalement ubuesque. Si nous sommes plus que soulagés que ces condamnations soient enfin annulées, le fait même qu’elles aient été prononcées demeure inexcusable, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Depuis six ans, nous avons vu les rouages de l’injustice à l’œuvre, alors que les tribunaux successifs ont accepté comme des faits avérés les accusations sans fondement portées contre ces quatre courageux défenseur·e·s des droits humains. Ce jugement révèle le véritable objectif de ces poursuites à caractère politique : se servir des tribunaux comme d’une arme pour faire taire les voix critiques. »
Taner Kılıç avocat spécialiste des droits des réfugié·e·s et président honoraire de la section turque d’Amnesty, a été arrêté en juin 2017 et incarcéré pendant plus de 14 mois. Malgré l’absence totale de preuves, en juillet 2020, il a été déclaré coupable d’« appartenance à une organisation terroriste » et condamné à six ans et trois mois d’emprisonnement. İdil Eser, Özlem Dalkıran et Günal Kurşun ont été condamnés à 25 mois de prison pour « assistance à une organisation terroriste » et ont passé plus de trois mois derrière les barreaux en 2017.
Lors des 12 audiences qui ont eu lieu dans le cadre de ce procès, il a été démontré de façon répétée et approfondie qu’aucune des accusations portées contre les quatre défenseur·e·s des droits humains n’était fondée, y compris dans le rapport de police.
Ce jugement fait suite à la décision de 2022 de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rejeté la demande de la Turquie de renvoyer l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour, en vue de réexaminer la décision selon laquelle la détention de Taner Kılıç en 2017-18 bafouait ses droits fondamentaux.
En mai 2022, la Cour européenne a réaffirmé que les autorités turques n’avaient pas de « raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction ». Elle a également estimé que son incarcération pour la deuxième série d’accusations liées au terrorisme était « directement liée à son activité de défenseur des droits humains ».
« Le calvaire de Taner, Idil, Özlem et Günal semble toucher à sa fin, mais à travers la Turquie, de nombreux défenseur·e·s des droits humains croupissent en prison, vivent dans la peur d’être arrêtés ou font l’objet de poursuites infondées, a déclaré Agnès Callamard.
« Nous puiserons de la force dans cette victoire. Nous continuerons de nous battre contre les restrictions sans cesse imposées aux droits humains en Turquie et pour ceux qui refusent d’être réduits au silence par les menaces du gouvernement. »
Complément d’information
Taner Kılıç et Özlem Dalkıran sont tous deux membres fondateurs d’Amnesty International Turquie. Depuis 20 ans, ils jouent un rôle crucial en défendant les droits au sein de l’organisation et de la communauté des droits humains en Turquie.
Au moment de son arrestation en juillet 2017, İdil Eser était directrice d’Amnesty International Turquie. Günal Kurşun, avocat, expert en droit pénal international et membre d’Amnesty International Turquie depuis ses débuts, est un éminent défenseur des droits humains dans le pays.
Taner Kılıç a été accusé d’avoir téléchargé et utilisé l’application de messagerie ByLock, outil de communication utilisé, selon le ministère public, par le mouvement Gülen, accusé d’avoir fomenté un coup d’État en 2016.
Or, les deux expertises indépendantes de son téléphone mandatées par Amnesty International n’ont révélé aucune trace d’un quelconque téléchargement de ByLock. En juin 2018, les accusations portées par le procureur ont perdu toute légitimité face au rapport de police présenté au tribunal, qui concluait également qu’aucune preuve de la présence de ByLock sur le téléphone de Taner Kılıç n’avait été détectée. De toute façon, le simple fait de télécharger ou d’utiliser une application ne serait pas suffisant pour prouver les infractions présumées, comme l’a conclu un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme concernant un autre requérant.
İdil Eser, Özlem Dalkıran et Günal Kurşun comptaient parmi un groupe de 10 personnes, surnommées « les 10 d’Istanbul », arrêtées par la police alors qu’elles participaient à un atelier sur le bien-être et la sécurité numérique le 5 juillet 2017.
Le 4 octobre 2017, un procureur d’Istanbul a émis un acte d’inculpation contre les 10 d’Istanbul, et contre Taner Kılıç, qui aurait été informé des préparatifs de cet atelier et en contact avec deux accusés.
Lors de sa première audience devant le tribunal le 26 octobre, le juge a fait droit à la demande du procureur de fusionner les poursuites visant Taner Kılıç avec celles intentées contre les 10 autres défenseur·e·s, alors que les accusations portées à son encontre n’avaient rien à voir avec l’atelier et que les deux affaires n’étaient aucunement liées.
L’acquittement de ces quatre défenseur·e·s des droits humains demeure soumis à un appel du procureur.
Amnesty International a publié une analyse des poursuites engagées contre Taner Kılıç et examiné les informations concernant cette affaire en général.