La réponse inadéquate des autorités bahreïnites aux détenus atteints de tuberculose à la prison de Jaww est incompatible avec leurs obligations en matière de droits humains et en particulier de droit à la santé, a déclaré Amnesty International le 9 juin 2022.
Depuis fin mai, les autorités pénitentiaires ont ignoré au moins deux détenus présentant des symptômes de tuberculose pendant plus d’une semaine sans les tester. Un troisième, qui a été soigné à l’hôpital, a été ramené à la prison deux jours après qu’un médecin a annoncé à sa famille qu’il était atteint de tuberculose. Les familles ont tiré la sonnette d’alarme et porté plainte, aucune mesure n’ayant été mise en place pour protéger les autres détenus de cette maladie contagieuse transmise dans l’air. Dans un cas flagrant, les autorités pénitentiaires ont attendu près d’un an avant de transférer un quatrième détenu atteint de tuberculose à l’hôpital, et il était déjà à moitié paralysé.
« La réponse inadéquate de Bahreïn face aux cas de tuberculose en prison témoigne d’un manque d’intérêt inquiétant pour la santé des détenus et met leur droit à la santé en grave danger. Les autorités pénitentiaires sont restées trop longtemps sans rien faire face au risque de nouvelles infections, a déclaré Amna Guellali, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
« Les autorités bahreïnies doivent immédiatement fournir aux détenus malades tous les soins médicaux nécessaires et mettre en place des mesures afin de prévenir la propagation de la tuberculose, y compris l’accès au dépistage volontaire pour les personnes présentant des symptômes. Elles doivent aussi enquêter plus avant sur toutes les allégations de retard d’accès aux soins de santé et amener les responsables à rendre des comptes. »
Des précautions insuffisantes pour prévenir la propagation de la tuberculose
Des examens médicaux effectués à l’hôpital d’al Salmaniya ont confirmé qu’un prisonnier, Ahmed Jaber, était atteint de tuberculose, alors qu’il était malade depuis 11 mois en prison. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux par un militant exilé le 4 juin, il a raconté qu’il est tombé malade en avril 2021 et ne peut plus marcher ni s’habiller depuis décembre 2021.
Malgré cela, les autorités pénitentiaires n’ont pas transféré Ahmed Jaber à l’hôpital jusqu’à ce qu’il soit semi-paralysé et alité en mars 2022. Il porte actuellement un gilet spécial, un dispositif médical qui lui maintient la tête et le cou en place afin d’éviter des lésions à la colonne vertébrale, car il souffre d’une grave détérioration de ses vertèbres cervicales en partie due à une tuberculose avancée.
Un autre prisonnier, Hasan Abdulla Bati, qui souffre également de drépanocytose, a reçu un diagnostic de tuberculose le mois dernier. Il avait les ganglions lymphatiques enflés depuis 2019 et les médecins lui avaient recommandé de subir une opération, mais l’administration pénitentiaire a refusé de la programmer. Le 30 mai 2022, après avoir été transféré à l’hôpital d’al Salmaniya en raison d’un épisode sévère causé par sa drépanocytose, les médecins ont informé sa famille qu’il souffrait de tuberculose. Pourtant, deux jours plus tard, il a été renvoyé en prison et remis dans la même cellule, avec huit codétenus. Il continue d’être emmené en bus avec d’autres prisonniers pour des visites familiales dans l’enceinte de la prison. On peut entendre Hasan Bati décrire sa maladie et les retards de prise en charge dus à l’administration pénitentiaire sur un enregistrement confié au défenseur bahreïnite des droits humains Sayed Ahmed al Wadaei, qui l’a publié sur les réseaux sociaux.
Sayed Nizar al Wadaei, qui était enfermé dans la même cellule qu’Ahmed Jaber, souffre de symptômes évoquant la tuberculose depuis fin mai. Lorsqu’il s’est plaint de sa maladie aux gardiens, ils l’ont placé à l’isolement en guise de sanction, le privant de temps passé à l’extérieur de la cellule et de tout contact avec d’autres détenus. Il a été testé le 6 juin, après que sa famille eut déposé plusieurs plaintes auprès des autorités bahreïnites. Au moment de la rédaction de ce communiqué, ni Sayed Nizar ni sa famille n’ont été informés des résultats de ce test et Sayed Nizar n’a pas reçu d’autre traitement.
Amnesty International a pu établir que les responsables de la prison ont déplacé Ahmed Jaber entre des cellules contenant des dizaines d’autres prisonniers dans au moins sept bâtiments différents de la prison de Jaww alors qu’il était malade. En comptant Hasan Bati, détenu dans un autre bâtiment, cela signifie qu’au moins huit bâtiments à Jaww ont accueilli une personne atteinte de tuberculose.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, il incombe à l’État de veiller à ce que les détenus aient accès au même niveau de soins de santé que ceux disponibles au sein de la société, gratuitement, ce qui comprend le transfert des détenus vers des hôpitaux spécialisés ou civils pour des traitements non dispensés en prison.
Complément d’information
Amnesty International a constaté un problème récurrent de négligence médicale à la prison de Jaww à Bahreïn, établissement insalubre et surpeuplé. En 2021, la prison a connu un pic d’épidémie de COVID-19. Un prisonnier est décédé, les autorités carcérales ayant attendu jusqu’à ce qu’il souffre de graves difficultés respiratoires pour le transférer à l’hôpital.