Russie. Une artiste placée en détention alors que la répression s’abat sur les féministes pacifistes

Le tribunal du district de Vassileostrov, à Saint-Pétersbourg, a placé aujourd’hui Alexandra Skotchilenko – une militante qui a remplacé des étiquettes de prix dans un supermarché par des slogans pacifistes – en détention provisoire, alors qu’une vague de répression vise un réseau militant féministe opposé à la guerre, a déclaré Amnesty International mercredi 13 avril.

Alexandra Skotchilenko, une artiste et musicienne qui chante des chansons pacifistes, a été arrêtée le 11 avril, puis soumise à interrogatoire jusqu’à 3 heures du matin le lendemain. Elle a ensuite été inculpée de « discréditer les forces armées russes » et placée en détention provisoire jusqu’au 1er juin. Elle risque jusqu’à 10 ans de prison.

« Les autorités russes continuent à faire la guerre aux droits humains de la population russe. Tous les militant·e·s arrêtés pour avoir participé pacifiquement à des activités visant à exprimer leur opposition à la guerre doivent être libérés immédiatement et sans condition. En réprimant ce mouvement pacifiste féministe, les autorités, une fois de plus, tentent désespérément de museler la critique de l’invasion russe de l’Ukraine », a déclaré Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.

En réprimant ce mouvement pacifiste féministe, les autorités, une fois de plus, tentent désespérément de museler la critique de l’invasion russe de l’Ukraine.

Marie Struthers, directrice pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International

Selon le ministère public, les activités militantes menées par Alexandra Skotchilenko dans un supermarché le 31 mars étaient un acte d’« hostilité politique » qui a « diffusé de fausses informations » sur l’utilisation des forces armées russes.

L’audience du tribunal s’est tenue à huis clos pour « préserver le secret de l’enquête » et « garantir la sécurité des témoins ». Selon l’avocat d’Alexandra Skotchilenko, celle-ci a été signalée à la police par un client du supermarché.

La résistance pacifiste féministe

Malgré les efforts déployés sans relâche par les autorités pour réprimer l’expression d’opinions pacifistes et fermer ou bloquer les médias indépendants, malgré l’arrestation de dizaines de milliers de manifestant·e·s, les féministes russes continuent à s’impliquer dans le mouvement antiguerre du pays.

Le remplacement des étiquettes de prix dans les supermarchés est l’une des actions pacifistes encouragées par le mouvement Résistance féministe antiguerre. Fondé le 25 février, le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce mouvement vise à renforcer les initiatives pacifistes en mettant en place un réseau de groupes féministes critiques à l’égard du conflit. 

« Dès le début de la guerre […], nous nous sommes rapidement organisées et avons lancé un appel, soulignant que la guerre est contraire à tous les objectifs du mouvement féministe », a déclaré Ella Rossman – l’une des rares figures publiques du mouvement – à Amnesty International.

Dès le début de la guerre […], nous nous sommes rapidement organisées et avons lancé un appel, soulignant que la guerre est contraire à tous les objectifs du mouvement féministe.

Ella Rossman, représentante du réseau militant féministe opposé à la guerre

Les sympathisantes du mouvement Résistance féministe antiguerre utilisent des outils de campagne visuels, par exemple des tracts et des graffitis pacifistes. Elles tamponnent également des slogans hostiles à la guerre sur les billets de banque et impriment des articles de médias indépendants interdits, qui restent inaccessibles en Russie.

Les membres du mouvement ont mis en place une ligne téléphonique de soutien psychologique pour les personnes qui militent contre la guerre, et créé une fondation antiguerre, qui vient en aide aux personnes licenciées ou expulsées des universités en raison de leur opposition à la guerre.

Le 4 avril, la Résistance féministe antiguerre a fait savoir qu’elle avait installé 500 croix de bois dans 41 villes à la mémoire des victimes civiles de la guerre, et qu’au moins 3 000 personnes soutenant le mouvement étaient descendues dans la rue avec des slogans pacifistes sur leurs vêtements, une forme de militantisme connue sous le nom de « piquet silencieux ».

De lourdes représailles

Le militantisme des membres de la Résistance féministe antiguerre leur a valu de lourdes représailles. Au moins 100 militantes ont été arrêtées, placées en détention, fouillées ou menacées par les autorités, selon le mouvement.

Yevguenia Isaïeva, une artiste de Saint-Pétersbourg, a été condamnée à une amende de 45 000 roubles (530 dollars des États-Unis) le 30 mars, puis détenue pendant huit jours après avoir été inculpée de « houliganisme » pour ses performances.

Une autre artiste, Ioulia Kabourkina, de Tcheboksary (Russie centrale), a été arrêtée le 2 avril pour avoir « discrédité l’armée russe », après avoir attaché des petits personnages en papier tenant des pancartes antiguerre à des étiquettes de prix dans un supermarché.

Sur une chaîne Telegram, les militantes ont déclaré : « En remplaçant quelque chose de très banal par quelque chose de différent, d’inhabituel, nous montrons qu’il n’y a pas un seul endroit dans notre pays qui ne soit pas touché par la guerre, et nous ne laissons pas les gens se contenter de fermer les yeux sur ce qui se passe. »

En remplaçant quelque chose de très banal par quelque chose de différent, d’inhabituel, nous montrons qu’il n’y a pas un seul endroit dans notre pays qui ne soit pas touché par la guerre, et nous ne laissons pas les gens se contenter de fermer les yeux sur ce qui se passe.

Une membre de la Résistance féministe antiguerre

Complément d’information

Alexandra Skotchilenko est la deuxième personne à avoir fait l’objet d’une inculpation et d’une arrestation pour avoir milité pacifiquement contre la guerre en remplaçant des étiquettes de prix dans des supermarchés. Le 5 avril, Vladimir Zavialov, de Smolensk (Russie centrale), a ainsi été inculpé de « discrédit des forces armées russes » au titre de l’article 207.3 du Code pénal. Au total, plus de 20 personnes de nationalité russe ont été inculpées en vertu de cet article répressif récemment introduit dans le Code pénal.

Il faut mettre fin à l’agression et protéger la population civile en Ukraine

En ce moment même, la population ukrainienne est confrontée à une crise des droits humains catastrophique. Des personnes meurent, y compris des enfants, et des milliers de vies sont en danger. Agissez pour demander aux autorités russes de mettre fin à cet acte d’agression et de protéger les civil·e·s immédiatement.