L’ONU et le Croissant-Rouge arabe syrien (SARC) doivent mettre fin au projet de retour en Syrie des réfugié·e·s qui se trouvent dans le camp de Rukban, a déclaré Amnesty International le 10 septembre. Cette opération exposerait ces personnes au risque d’être soumises à une détention arbitraire, à une disparition forcée, à la torture et à d’autres mauvais traitements, y compris à des violences sexuelles, comme le montre cette semaine le rapport d’Amnesty International. Rukban est une localité informelle située dans un endroit isolé et inhospitalier près de la frontière jordano-syrienne, dans la zone appelée « la berme ». Les conditions de vie dans ce camp sont rudes, et les habitants manquent de soins médicaux, d’installations sanitaires et d’eau potable.
Nos recherches montrent que les autorités syriennes s’en prennent tout particulièrement aux personnes venant de Rukban, qu’elles accusent de « terrorisme » et soumettent ensuite à de graves violations des droits humains.
Marie Forestier, chercheuse sur les droits des personnes réfugiées ou migrantes à Amnesty International
Amnesty International a reçu des informations indiquant que début septembre, l’ONU compte faciliter le transfert de personnes depuis Rukban vers des « abris » à Homs, où elles seront placées en quarantaine pendant 14 jours. Amnesty a rassemblé des informations montrant que ces soi-disant abris ont été utilisés par les autorités syriennes pour détenir et interroger des personnes de retour dans le pays. Certaines de ces personnes ont ensuite été transférées dans des centres des services du renseignement, où elles ont été détenues de façon arbitraire et, dans certains cas, torturées et soumises à une disparition forcée. On ignore le nombre de personnes vivant à Rukban qui seront déplacées si l’opération de retour menée par l’ONU a lieu comme prévu.
« Nous demandons à l’ONU et au SARC de ne pas procéder à ces retours, qui mettraient sans aucun doute en danger les femmes, les hommes et les enfants vivant actuellement à Rukban. Nos recherches montrent que les autorités syriennes s’en prennent tout particulièrement aux personnes venant de Rukban, qu’elles accusent de « terrorisme » et soumettent ensuite à de graves violations des droits humains, a déclaré Marie Forestier, chercheuse sur les droits des personnes réfugiées ou migrantes à Amnesty International.
« Les obligations concernant la quarantaine dans les établissements contrôlés par le gouvernement vont fondamentalement permettre aux autorités syriennes de disposer de 14 jours pour interroger les personnes de retour en Syrie. Il ne faut pas renvoyer ces personnes en Syrie. Il faut au contraire que les gouvernements syrien et jordanien, ainsi que toutes les autres parties au conflit, garantissent d’urgence un accès sans entrave de l’aide humanitaire à Rukban. »
En danger
Le rapport d’Amnesty International intitulé Syria: “You’re going to your death” Violations against Syrian refugees returning to Syriamontre que les autorités syriennes ont pris pour cible des personnes de retour précisément parce qu’elles avaient voulu obtenir l’asile à l’étranger. Sur les 66 cas documentés dans le rapport, les 10 personnes revenues du camp de Rukban ont toutes été arrêtées par des agents des services de sécurité syriens. Trois d’entre elles ont été soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements, et deux à une disparition forcée.
Samer, qui a vécu à Rukban pendant six ans avant de retourner à Homs en 2019, a déclaré : « [Les autorités syriennes] haïssent les gens qui viennent de Rukban. Elles pensent qu’ils sont tous liés au terrorisme et qu’ils doivent être maltraités. » Samer a dit que des membres des services du renseignement l’ont détenu de façon arbitraire et soumis à une disparition forcée pendant neuf mois, durant lesquels ils l’ont torturé.
Il est absolument évident que les personnes de retour en Syrie n’y sont pas en sécurité. Ces opérations de retour ne doivent pas avoir lieu.
Marie Forestier
D’après le plan qu’Amnesty International a vu, pour pouvoir quitter le site de quarantaine à Homs il est nécessaire d’obtenir l’approbation du gouvernement syrien, les autorités disposant ainsi du pouvoir de détenir des personnes de façon prolongée sans contrôle judiciaire.
Le dernier convoi humanitaire autorisé à entrer dans la berme par le gouvernement syrien remonte à septembre 2019. En mars 2020, la Jordanie a annoncé qu’elle n’autoriserait pas les convois d’aide humanitaire à traverser son territoire, invoquant des inquiétudes liées au COVID-19. Le chef du conseil local de Rukban a dit à Amnesty International que les habitants du camp ont exprimé leur colère quant au fait que les seuls convois qui arrivent à Rukban transfèrent des gens vers des zones contrôlées par le gouvernement syrien, au lieu d’apporter de l’aide.
« Il est absolument évident que les personnes de retour en Syrie n’y sont pas en sécurité. Ces opérations de retour ne doivent pas avoir lieu », a déclaré Marie Forestier.
Informations complémentaires
Début 2015, plusieurs dizaines de milliers de personnes qui cherchaient à fuir le conflit en Syrie et à se mettre en sécurité se sont retrouvées bloquées à la frontière dans une zone appelée « la berme », après que les autorités jordaniennes eurent fermé leur frontière. Près de 10 000 personnes vivent actuellement dans ce camp. Quelque 75 % de la population de la berme sont retournés en Syrie depuis mi-2015, dans une large mesure à cause des conditions de vie très difficiles.