Liban.La police du Parlement se livre à une attaque brutale contre des journalistes et des familles de victimes de l’explosion à Beyrouth

Les forces de sécurité libanaises ne sont pas intervenues dans la nuit du 11 août lorsque des membres de la police du Parlement et des hommes non identifiés armés de matraques ont lancé une violente attaque contre les familles de victimes de l’explosion du port de Beyrouth, qui avaient organisé un sit-in en amont d’une session parlementaire cruciale consacrée à l’enquête, a déclaré Amnesty International.

Des témoins ont déclaré que les membres des Forces de sécurité intérieure (FSI) libanaises présents sur les lieux ne sont pas intervenus pour stopper l’attaque, au cours de laquelle la police du Parlement ainsi que des hommes vêtus de noir ont frappé et insulté les familles et les journalistes. Plusieurs personnes ont été blessées, dont deux journalistes qui ont dû être hospitalisés.

« La vue de proches des victimes ensanglantés, gisant à terre, tandis que les journalistes blessés étaient transférés vers les hôpitaux pour recevoir des soins après un sit-in pacifique, ne saurait mieux illustrer la détermination des autorités à faire obstruction au cours de la justice, sans vergogne et avec brutalité, a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Cet épisode en dit long sur le mépris affiché par les autorités libanaises à l’égard de la justice. Ces familles ont perdu des êtres chers du fait de l’incapacité de l’État à protéger leurs vies et il est hallucinant qu’elles doivent désormais subir de violentes attaques simplement parce qu’elles osent réclamer que les responsables rendent des comptes, en tant que fers de lance de cette bataille historique pour la justice. »

Ces familles ont perdu des êtres chers du fait de l’incapacité de l’État à protéger leurs vies et il est hallucinant qu’elles doivent désormais subir de violentes attaques simplement parce qu’elles osent réclamer que les responsables rendent des comptes, en tant que fers de lance de cette bataille historique pour la justice.

Lynn Maalouf, Amnesty International

Une attaque sans la moindre provocation

Les familles des victimes manifestaient pacifiquement à la veille d’une session parlementaire prévue le 12 août 2021. Le président de l’Assemblée nationale du Liban, Nabih Berri, a demandé au Parlement de débattre d’une pétition réclamant que l’enquête sur l’explosion soit transférée devant un conseil spécial mandaté pour engager des poursuites contre de hauts responsables. Cette mesure est largement considérée comme une nouvelle manœuvre visant à faire obstruction à l’enquête en cours, d’autant que ce conseil, annoncé il y a des décennies, n’a jamais vu le jour.

Les familles avaient multiplié les appels à mobilisation à l’approche de la session, incitant plusieurs députés à annoncer qu’ils la boycotteraient. Seuls 39 parlementaires y ont assisté, dont les blocs parlementaires des partis politiques Hezbollah, Amal, Marada et le Parti social national syrien (PSNS), trois députés du Mouvement du futur et le député inculpé Nouhad Machnouk – le quota minimum requis n’était donc pas atteint pour maintenir la session.

Selon Hussam Chebaro, photojournaliste pour le journal Annahar, le rassemblement des familles a débuté si tranquillement qu’il avait envisagé de partir tôt. Soudain, il a entendu un grand bruit et a vu une dizaine de personnes en T-shirts noirs approcher depuis l’arrière d’un poste de contrôle des Forces de sécurité intérieure (FSI). Il a affirmé que certains d’entre eux portaient des uniformes des FSI.

« Ils nous frappaient à coups de bâtons, violemment, et tapaient sur tout le monde sans distinction : les journalistes, les femmes, les personnes âgées, les enfants. La scène était horrible, tellement violente. J’ai reçu des coups sur le dos, la nuque, la tête, le visage et les épaules. Ils ont pris mon appareil photo et ma moto, et j’ai été conduit à l’hôpital. Dieu merci, je n’ai pas de fractures, mais des ecchymoses très importantes », a raconté Hussam Chebaro.

La mère de l’une des victimes de l’explosion a qualifié les hommes qui l’ont agressée de « monstres ». Elle a déclaré à Amnesty International :

« Sans aucune raison, sortis de nulle part, cinq ou six hommes vêtus de noir, en habits civils, tenant des [matraques] noires, sont venus vers nous et ont commencé à nous attaquer. Ils frappaient les gens allègrement. »

Cette femme a réussi à s’enfuir et a rejoint son époux qui se trouvait dans leur voiture. Les assaillants l’ont suivie jusqu’au véhicule et donnaient des coups de matraques dessus, alors que le couple avait démarré et partait.

Zakariya Jaber, journaliste indépendant, a été frappé par des partisans du président de l’Assemblée nationale, et a eu un doigt cassé.

« C’est devenu la routine de frapper les photojournalistes lors des manifestations… Ils veulent nous empêcher de témoigner de leur brutalité », a-t-il déclaré.

Hussein Baydoun, photojournaliste pour Al Araby Al Jadeed, a indiqué que les assaillants avaient crié  : « Comment osez-vous insulter Nabih Berri ?! » Hussein s’est enfui en courant, pourchassé par deux hommes qui lui jetaient des bouts de bois dessus. Il a aussi vu des proches de victimes de l’explosion se faire rouer de coups. Il a déclaré qu’une douzaine de membres des Forces de sécurité intérieure (FSI) présents sur les lieux observaient la scène, sans intervenir : « Ils n’ont rien fait pour nous protéger ou protéger les familles. »

Ce n’est pas la première fois que les familles des victimes de l’explosion du port de Beyrouth reçoivent des coups. Le 13 juillet, les forces de sécurité ont utilisé une force excessive pour disperser des dizaines de manifestants rassemblés devant la résidence du ministre de l’Intérieur, qui avait rejeté la demande du juge d’instruction qui souhaitait interroger l’un des plus puissants généraux libanais au sujet de l’explosion.

Le 2 juillet 2021, le juge d’instruction Tarek Bitar a demandé la permission d’interroger, au sujet de l’explosion, des parlementaires et des responsables hauts placés des services de sécurité, notamment l’ancien ministre des Finances Ali Hasan Khalil, l’ancien ministre des Travaux publics Ghazi Zeaiter et l’ancien ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk, le directeur général de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, et le directeur général de la Sécurité de l’État, le général Tony Saliba. Le ministre de l’Intérieur ayant précédemment rejeté une requête concernant la permission d’interroger le général Abbas Ibrahim, le Conseil supérieur de la Défense a rejeté le 11 août la demande du juge concernant le général Tony Saliba.

Un groupe de députés des blocs du mouvement Amal, qui a pour chef le président du Parlement, du Hezbollah et du Mouvement du futur ont signé une pétition demandant l’ouverture d’une procédure parallèle.

« Tandis que les autorités continuent d’entraver l’enquête au niveau national, il est d’autant plus urgent que les membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, lors de leur prochaine session en septembre, mettent en place un mécanisme d’établissement des faits sur l’explosion du port de Beyrouth », a déclaré Lynn Maalouf.

Complément d’information

Le 4 août 2020, l’une des plus fortes explosions non nucléaires que le monde ait connues a anéanti le port de Beyrouth et endommagé plus de la moitié de la ville. L’explosion a tué au moins 217 personnes et en a blessé 7 000, et 150 de ces personnes souffrent à présent d’un handicap physique. Cette explosion a également endommagé 77 000 appartements, ce qui a entraîné le déplacement forcé de plus de 300 000 habitant·e·s. Au moins trois enfants âgés de deux à 15 ans ont perdu la vie.