Viêt-Nam. La répression reprend à l’approche des élections législatives

  • Les autorités ont arrêté et inculpé deux candidats indépendants à l’élection de l’Assemblée nationale
  • Les tentatives d’intimidation et le harcèlement augmentent en amont du scrutin du 23 mai

Les autorités vietnamiennes doivent cesser de réprimer les candidats indépendants et les voix critiques, a déclaré Amnesty International jeudi 1er avril en prévision de l’élection de l’Assemblée nationale du pays, prévue le 23 mai 2021.

Ces dernières semaines, deux candidats indépendants et un médecin ont été arrêtés et inculpés au titre de l’article 117 du Code pénal pour « fabrication, stockage ou diffusion d’informations, de documents ou d’articles destinés à s’opposer à l’État de la République socialiste du Viêt-Nam », une infraction passible de cinq à 20 ans d’emprisonnement.

Amnesty International a par ailleurs reçu de multiples informations crédibles indiquant que beaucoup d’autres personnes dans le pays sont harcelées et intimidées par la police parce qu’elles participent au processus électoral ou critiquent la politique du gouvernement. Cette tendance inquiétante pourrait s’accentuer à l’approche des élections.

Alors que le Viêt-Nam tente de se positionner pour entrer au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les autorités se livrent à des violations flagrantes et généralisées des droits humains.

Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe des recherches à Amnesty International

« Les autorités vietnamiennes doivent mettre fin à cette répression et permettre à toutes les personnes au Viêt-Nam d’exercer librement leurs droits humains sans craintes de représailles. La récente élection de la nouvelle direction du Parti communiste vietnamien (PCV) aurait dû augurer d’une amélioration du respect des droits humains au Viêt-Nam, mais la situation à l’heure actuelle laisse plutôt entrevoir une poursuite des violations commises depuis longtemps, a déclaré Emerlynne Gil, directrice régionale adjointe des recherches à Amnesty International.

« Alors que le Viêt-Nam tente de se positionner pour entrer au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, les autorités se livrent à des violations flagrantes et généralisées des droits humains.

« Elles ont l’obligation de respecter, de protéger, de promouvoir et de concrétiser les droits humains, y compris le droit à la liberté d’expression et d’association, ainsi que la liberté de la presse. Les autorités doivent veiller à ce que les candidats aux élections – comme toute autre personne au Viêt-Nam – soient traités de manière égale et sans discrimination. Ce sont des principes fondamentaux des traités internationaux relatifs aux droits humains que le Viêt-Nam a volontairement ratifiés. »

Multiplication des accusations fallacieuses à l’approche des élections

Le 27 mars à Hanoï, les autorités ont arrêté Le Trong Hung, qui s’était présenté en tant que candidat indépendant (ou « autodésigné ») pour cette ville à l’Assemblée nationale, au titre de l’article 117. Journaliste citoyen, il travaille pour Chan Hung TV, un média qui diffuse des émissions sur des sujets politiques et sociaux en direct sur Facebook. Selon ses proches, Le Trong Hung a été appréhendé alors qu’il marchait dans son quartier et a été conduit à son domicile par des policiers, qui y ont effectué une perquisition. On ignore où il est détenu actuellement.

Le 10 mars, les autorités de la province de Ninh Bình ont arrêté et inculpé Tran Quoc Khanh, qui avait également exprimé son intention de se présenter comme candidat indépendant aux élections, au titre de l’article 117.

Il n’est pas certain qu’il avait déposé officiellement sa candidature. Avant son arrestation, Tran Quoc Khanh alimentait un compte très suivi sur les réseaux sociaux, où il commentait régulièrement des sujets relatifs aux droits humains et à la politique au Viêt-Nam. Dans une séquence diffusée en direct le 6 mars, il a abordé les critiques concernant des ministres et appelé le gouvernement à respecter l’état de droit.

Le 22 mars, la police de la province de Nghệ An a arrêté le médecin Nguyen Duy Huong en lui reprochant d’avoir réalisé et diffusé sur Internet des contenus jugés diffamatoires envers de hauts dirigeants du PCV. Il a utilisé son compte Facebook pour publier des articles commentant la politique du gouvernement. Bien qu’il ne soit pas candidat aux élections, son arrestation s’inscrit dans le contexte d’une détérioration de la répression à l’approche de celles-ci qui semble viser les journalistes, les blogueurs et les candidats indépendants.

Amnesty International a déjà souligné à plusieurs reprises que l’article 117 viole les obligations qui incombent au Viêt-Nam en vertu du droit international relatif aux droits humains et doit être abrogé ou remanié afin de se conformer aux règles définies par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Viêt-Nam est partie.

« Ces accusations sont complètement fallacieuses et n’ont pas leur place dans une société respectueuse des droits. L’article 117 doit être abrogé sans délai et les trois hommes poursuivis au titre de celui-ci doivent être libérés immédiatement. Les autorités doivent abandonner toutes les charges qui pèsent contre eux », a déclaré Emerlynne Gil.

Des peines disproportionnées sont en effet encourues par les détracteurs du gouvernement poursuivis au titre de l’article 117. Le 30 mars, le tribunal populaire de la province de Lâm Đồng a ainsi condamné le militant politique Vu Tien Chi à 10 ans d’emprisonnement pour une série de publications Facebook critiquant le gouvernement.

Les tentatives d’intimidation et le harcèlement des militant·e·s augmentent

En plus de ces poursuites pénales, d’autres militant·e·s, blogueurs et associations sont confrontés à une augmentation du harcèlement et des manœuvres d’intimidation à l’approche des élections, souvent en lien avec des publications sur les réseaux sociaux. Selon des informations reçues par Amnesty International, plusieurs autres candidats indépendants aux élections ont été harcelés et intimidés par la police.

En outre, l’organisation a été informée par des sources fiables qu’une défenseure des droits humains avait été arrêtée le 11 mars devant son appartement et conduite à un poste de police où elle a été retenue pendant 15 heures. Des policiers l’auraient interrogée sur sa participation aux prochaines élections et lui ont demandé de signer une déclaration par laquelle elle s’engage à ne pas se désigner comme candidate indépendante.

Vendredi 26 mars, elle a de nouveau été convoquée au poste de police, où elle a dû assister à une « séance de travail » de neuf heures au cours de laquelle on l’a interrogée sur ses activités de défense des droits humains.

Par ailleurs, le 19 mars, le militant politique et journaliste citoyen Le Van Dung a été arrêté par la police dans un café proche de son domicile à Hanoï. Il a été conduit à un poste de police à 14 heures et retenu sur place jusqu’à 17 heures. Pendant cette courte période de détention, des policiers l’ont interrogé au sujet de ses critiques sociales sur Facebook.

Le 29 mars, le Département de l’information et des médias de Hanoï a condamné un utilisateur de Facebook à une amende de 7,5 millions de dongs vietnamiens (environ 325 dollars américains) pour avoir publié des « informations mensongères au sujet des élections [législatives] » sur Zalo, un réseau social local.

Ces actions des autorités vietnamiennes constituent des exemples d’intimidation et de harcèlement subis par des personnes qui n’ont fait qu’exercer pacifiquement leurs droits humains, notamment leur droit à la liberté d’expression et d’association. Elles contribuent à la création d’un climat de peur, dans lequel les gens sont dissuadés d’exercer librement leurs droits.

« La campagne d’intimidation et de harcèlement que mènent les autorités vietnamiennes contre des candidats aux élections et des voix indépendantes doit cesser. De plus, la candidature du Viêt-Nam au Conseil des droits de l’homme des Nations unies doit donner lieu à une surveillance accrue de ces violations par la communauté internationale », a déclaré Emerlynne Gil.

Complément d’information

L’article 4 de la Constitution de la République socialiste du Viêt-Nam dispose que le PCV est « la force qui dirige l’État et la société ». Cette disposition a longtemps été utilisée pour justifier l’interdiction de toute opposition politique.

Dans la pratique, les personnes qui protestent contre les autorités ou critiquent celles-ci se heurtent systématiquement à la répression. Dans son rapport publié en décembre 2020 sous le titre “Let Us Breathe!”. Censorship and Criminalization of Online Expression in VietNam, Amnesty International a révélé que cette répression concerne souvent la sphère numérique, et plus particulièrement les publications sur les réseaux sociaux.

Le Viêt-Nam a annoncé son intention de briguer un siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU en février 2021. La résolution 60/251 de l’Assemblée générale, document fondateur de cet organe, dispose que ses membres sont élus par les États membres des Nations unies lors de l’Assemblée générale et que « les États Membres éliront les membres du Conseil en prenant en considération le concours que chaque candidat a apporté à la cause de la promotion et de la défense des droits de l’homme ».