Moyen-Orient et Afrique du Nord. La pandémie de COVID-19 a creusé les inégalités et été utilisée pour intensifier encore davantage la répression

  • Lancement du Rapport 2020/21 d’Amnesty International
  • La pandémie a jeté une lumière crue sur les inégalités systémiques qui sévissent dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord ainsi que dans le reste du monde, et qui frappent tout particulièrement les personnes réfugiées, migrantes ou détenues
  • Tout au long de l’année 2020, les gouvernements de la région ont intensifié les attaques contre la liberté d’expression, et dans certains cas sanctionné des membres des professions de santé qui ont fait entendre leur voix
  • Celles et ceux qui dirigent le monde ont entravé la reprise en sapant la coopération internationale
  • La nouvelle secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard, lance un appel pour une refonte des systèmes qui ne fonctionnent plus

La pandémie mondiale a révélé toute l’ampleur du terrible bilan des politiques délibérément créatrices de divisions et destructrices qui perpétuent les inégalités, la discrimination et l’oppression, et qui ont préparé le terrain pour les dévastations causées par le COVID-19 à travers le monde, notamment au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, souligne Amnesty International dans son rapport annuel rendu public le 7 avril.

Le Rapport 2020/21 d’Amnesty International sur la situation des droits humains dans le monde couvre 149 pays et présente une analyse détaillée des grandes tendances en matière de droits humains observées à travers le monde en 2020.

Ce rapport attire également l’attention sur le fait que les initiatives visant à lutter contre la pandémie ont aussi été compromises par des dirigeant·e·s dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, et dans le reste du monde, qui ont impitoyablement exploité cette crise pour continuer d’attaquer les droits humains.

« Le COVID-19 a mis en évidence et creusé les inégalités au sein des pays et entre les pays, et jeté une lumière crue sur le désintérêt sidérant de nos dirigeant·e·s à l’égard de notre humanité commune. En conséquence des politiques créant des divisions, des mesures d’austérité malavisées et du choix qu’ont fait les autorités, depuis des décennies, de ne pas investir dans des infrastructures publiques qui tombaient en ruine, de très nombreuses personnes ont été des proies faciles pour le virus, a déclaré Agnès Callamard, la nouvelle Secrétaire générale d’Amnesty International.

« Nous nous retrouvons face à un monde en plein désarroi. À ce stade de la pandémie, même les dirigeant·e·s les plus déconnectés de la réalité auront beaucoup de mal à nier que nos systèmes sociaux, économiques et politiques ne fonctionnent plus. »

La pandémie accroît les dangers pour les personnes les plus vulnérables dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord

Partout dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, en raison des inégalités existantes concernant l’exercice des droits économiques et sociaux, et d’une discrimination profondément enracinée, certaines catégories de personnes, notamment les personnes détenues, réfugiées ou migrantes et les minorités, ont pâti de façon disproportionnée de la pandémie.

La discrimination institutionnalisée qui sévit en Israël et dans les territoires palestiniens occupés est apparue dans toute son ampleur quand les autorités israéliennes se sont abstenues de donner accès à la vaccination à cinq millions de Palestiniens en Cisjordanie occupée et à Gaza, lors du lancement de la campagne vaccinale en décembre 2020. Cette attitude constitue une violation flagrante des obligations qui incombent à Israël en tant que puissance occupante, aux termes du droit international.

De nombreuses personnes réfugiées, migrantes ou déplacées à l’intérieur de leur pays qui étaient déjà tout particulièrement exposées au risque de contracter le COVID-19 en raison de la surpopulation dans les camps et dans les centres de détention, par exemple en Libye, ont également été confrontées à des restrictions des déplacements qui ont restreint leur accès à l’emploi et à une protection, et limité le champ d’action des travailleurs et travailleuses humanitaires qui distribuent une aide.

La pandémie a également aggravé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord la situation déjà très précaire des travailleuses et travailleurs migrants, qui sont soumis au système de kafala (parrainage) en Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis (EAU), en Jordanie, au Koweït, au Liban, à Oman et au Qatar. Si certains pays du Golfe ont pris des mesures pour supprimer les sanctions en cas de dépassement de la durée du visa, un grand nombre de travailleuses et travailleurs migrants ont été licenciés de façon arbitraire ou n’ont pas été payés pendant plusieurs mois. En Jordanie, les milliers de travailleuses et travailleurs migrants qui ont perdu leur travail ont rarement eu accès à une protection sociale ou à un autre emploi.

En Libye, des minorités vivant dans des régions délaissées de longue date, comme les Toubous et les Touaregs, se sont heurtées à des obstacles entravant leur accès à des soins de santé adéquats, car des groupes armés rivaux contrôlaient l’accès aux hôpitaux et, dans certains cas, parce que ces personnes ne possédaient pas de papiers d’identité.

Partout dans la région, les autorités pénitentiaires n’ont pas fait le nécessaire, face à la pandémie, pour remédier au problème endémique de la surpopulation carcérale en relâchant les personnes en détention provisoire ou celles qui étaient détenues pour des infractions non reconnues par le droit international. La pandémie de COVID-19 a aggravé l’insuffisance des soins de santé dans des prisons insalubres. En Arabie saoudite, en Égypte et en Iran, les autorités ont privé des détenu·e·s de soins de santé à titre de sanction, ce qui a entraîné la mort de plusieurs personnes en Égypte.

Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, 2020 a été une année catastrophique pour les personnes détenues, réfugiées ou migrantes et pour les minorités, car à cause de la pandémie de COVID-19, ces populations déjà marginalisées se sont retrouvées dans une situation plus précaire que jamais. La pandémie a exacerbé les divisions, la discrimination et les inégalités qui existaient déjà dans la région.

Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International

« Dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, 2020 a été une année catastrophique pour les personnes détenues, réfugiées ou migrantes et pour les minorités, car à cause de la pandémie de COVID-19, ces populations déjà marginalisées se sont retrouvées dans une situation plus précaire que jamais. La pandémie a exacerbé les divisions, la discrimination et les inégalités qui existaient déjà dans la région. Les gouvernements doivent veiller à ce que des soins médicaux adéquats soient dispensés dans les prisons, et il faut que soient libérées toutes les personnes qui ont été placées en détention de façon arbitraire, ce qui permettra d’atténuer le problème de la surpopulation carcérale, a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Il est indispensable que les gouvernements de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord veillent à ce que les soins de santé qu’ils procurent, y compris les vaccins, soient dispensés sans discrimination. »

Le personnel de santé laissé sans protection

Les professionnel·le·s de santé en première ligne face à la pandémie ont subi de plein fouet les conséquences des politiques ayant délibérément laissé péricliter les systèmes de santé, et de mesures de protection sociale lamentables.

En Égypte et en Iran, des membres du personnel de santé ont été menacés ou arrêtés pour avoir ouvertement critiqué la réaction des autorités face à la pandémie, ou exprimé leurs inquiétudes à ce sujet. En Égypte, neuf professionnel·le·s de santé au moins ont été arrêtés au titre de la législation antiterroriste, parce qu’ils avaient dénoncé ouvertement la gestion de la crise sanitaire.

En Égypte, en Tunisie, au Maroc et en Syrie, des membres des professions de santé n’ont pas reçu d’équipements de protection individuelle (PPE) adéquats.

« Le courage des travailleurs et travailleuses du secteur de la santé qui ont risqué leur vie face à de grands dangers doit être reconnu. Comme la vaccination ne progresse que lentement et comme la pandémie ne montre aucun signe de recul dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, il est absolument crucial que les autorités fassent le nécessaire pour que les personnes qui travaillent dans le secteur de la santé soient suffisamment protégées », a déclaré Heba Morayef.

La répression se poursuit et certains gouvernements de la région instrumentalisent la pandémie

Dans toute la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, des gouvernements ont continué de réprimer les personnes qui les critiquaient pacifiquement et de commettre des violations des droits humains. Un grand nombre d’entre eux ont réagi face à la pandémie de COVID-19 en instaurant l’état d’urgence ou dans certains cas en adoptant des lois spécifiques qui ont mis en place de nouvelles restrictions des libertés d’expression et de réunion.

Des pays comme l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Koweït et Oman ont utilisé la pandémie de COVID-19 comme prétexte pour intensifier la répression du droit à la liberté d’expression, notamment en poursuivant en justice, pour diffusion de « fausses nouvelles », des personnes ayant publié sur les réseaux sociaux des commentaires sur les mesures prises par les autorités gouvernementales face à la pandémie.

En Algérie et au Maroc, les autorités ont instauré l’état d’urgence sanitaire et sanctionné des personnes ayant de façon légitime exprimé des critiques au sujet de la pandémie, en les arrêtant ou en engageant contre elles des poursuites judiciaires. Au Maroc, les autorités ont pris un décret-loi d’urgence sanitaire qui a été utilisé pour poursuivre en justice des militants des droits humains et des journalistes citoyens qui avaient émis des critiques sur les mesures mises en place par les pouvoirs publics face à la pandémie de COVID-19. En Égypte et en Iran, des journalistes et des personnes utilisant les réseaux sociaux ont été harcelés ou arrêtés pour avoir critiqué dans leurs commentaires ou dans leur couverture de l’actualité la gestion de la pandémie. En Tunisie, des militant·e·s ont fait l’objet de poursuites pénales parce qu’ils ont critiqué la façon dont les autorités locales ont distribué l’aide pendant la période de confinement national.

En Arabie saoudite, en Égypte et en Iran, les autorités ont continué de persécuter de façon implacable les défenseur·e·s des droits humains, les manifestant·e·s et les personnes exprimant pacifiquement des critiques. En Israël, les autorités ont recouru à des descentes de police, au harcèlement judiciaire et à des interdictions de voyager pour intimider des personnes exprimant pacifiquement des critiques – y compris Laith Abu Zeyad, chargé de campagne d’Amnesty International, qui reste soumis à une interdiction de voyager.

Absence de coopération internationale dans la lutte contre la pandémie

Les dirigeant·e·s de la planète ont également causé des ravages à l’échelle internationale, entravant les initiatives collectives de redressement en bloquant ou en sapant la coopération internationale.

Voici quelques exemples :

  • Des dirigeant·e·s de pays riches, comme l’ancien président Donald Trump, ont contourné les tentatives de coopération mondiale en achetant la plupart des stocks de vaccins disponibles dans le monde, n’en laissant guère pour les autres pays. Ces pays riches se sont en outre abstenus de pousser les entreprises pharmaceutiques à partager leurs connaissances et leurs technologies afin d’accroître l’offre de vaccins contre le COVID-19 à l’échelle mondiale.
  • Le G2O a proposé de suspendre le service de la dette des pays les plus pauvres, tout en réclamant que les sommes concernées soient remboursées avec des intérêts ultérieurement.

    La pandémie a crûment mis en évidence l’incapacité du monde à coopérer efficacement en période de grandes difficultés à l’échelle planétaire.

    Agnès Callamard

« La pandémie a crûment mis en évidence l’incapacité du monde à coopérer efficacement en période de grandes difficultés à l’échelle planétaire, a déclaré Agnès Callamard.

« Les États doivent veiller à ce que les vaccins soient rapidement disponibles pour tous et toutes, partout, et gratuitement là où les soins sont prodigués. Les entreprises pharmaceutiques doivent partager leurs connaissances et leurs technologies afin que personne ne soit laissé de côté.  Les membres du G20 et les institutions financières internationales doivent alléger la dette des 77 pays les plus pauvres afin qu’ils puissent prendre les mesures nécessaires et se relever après la pandémie. »

Les mouvements de protestation réclamant le respect des droits se poursuivent

Si les gouvernements au Moyen-Orient et Afrique du Nord ont recouru à des moyens de répression pour intimider celles et ceux qui critiquent leur gestion de la pandémie, dans toute la région, des personnes ont continué de revendiquer le respect de leur droit à la santé, à la justice et à des moyens d’existence permettant de vivre dans la dignité.

Au Maroc et en Tunisie, des personnes travaillant dans le secteur de la santé ont organisé des manifestations contre le manque de mesures de protection adéquates, notamment contre le manque d’EPI.

Au Liban, quelques jours seulement après la terrible explosion qui s’est produite dans le port de Beyrouth, les forces de sécurité ont violemment réprimé des manifestant·e·s non armés qui demandaient justice pour les victimes, utilisant contre eux une force illégale, notamment avec des tirs inconsidérés de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de plombs, et blessant ainsi 230 personnes.

Avant même le début de la pandémie, il est apparu clairement que les forces de sécurité à travers la région recouraient souvent à une force excessive, illégale et parfois meurtrière pour disperser des manifestations, y compris en Irak et en Iran.

En Libye, les rares manifestations dans l’est et l’ouest du pays qui ont dénoncé la corruption et le fait que les milices et les groupes armés ne sont pas soumis à l’obligation de rendre des comptes se sont heurtées à un recours à la force meurtrière et à des enlèvements.

En Tunisie, une force disproportionnée et illégale a été utilisée et de nombreuses arrestations ont eu lieu en réaction aux manifestations contre l’aggravation des difficultés économiques qui ont été organisées après plusieurs mois de confinement.

Les autorités palestiniennes de Cisjordanie ainsi que le gouvernement de facto du Hamas dans la bande de Gaza ont continué de réprimer la dissidence, notamment en imposant des restrictions de la liberté d’expression et de réunion, en attaquant des journalistes et en plaçant en détention des opposant·e·s politiques.

« Alors que partout au Moyen-Orient et Afrique du Nord les autorités ont exploité la pandémie pour resserrer l’étau sur la liberté d’expression, les gens dans la région ont continué de montrer qu’ils ne resteront pas silencieux face à l’oppression et à l’injustice, a déclaré Heba Morayef.

« Partout dans la région, qu’il s’agisse des courageux défenseur·e·s des droits humains et journalistes qui font entendre leur voix ou des professionnel·le·s de santé qui demandent le respect de leurs droits, des personnes ont réagi pour réclamer la justice sociale et économique, et ces revendications n’ont fait que s’intensifier compte tenu de la pandémie. »