Les autorités libanaises doivent mettre fin immédiatement à l’utilisation de charges liées au terrorisme pour poursuivre des manifestant.es, pratique qui marque une nouvelle évolution inquiétante des mesures de répression qui visent actuellement les militant.es et les manifestant.es, a déclaré Amnesty International. De plus, l’organisation appelle à nouveau les autorités à cesser immédiatement de convoquer des civils devant des tribunaux militaires.
Le 19 février, le parquet militaire libanais, en invoquant des articles de la Loi relative au terrorisme, a inculpé d’infractions liées au terrorisme au moins 23 personnes arrêtées, dont deux personnes mineures, qui avaient participé à des manifestations houleuses dans la ville de Tripoli (nord du Liban), au cours desquelles des membres des Forces de sécurité intérieure (FSI) comme des civils avaient été blessés et un civil tué. S’ils sont déclarés coupables, ces manifestant.es encourent la peine de mort.
« L’utilisation oppressive et disproportionnée que font les autorités libanaises de chefs d’inculpation liés au terrorisme pour poursuivre des manifestant.es témoigne d’un renforcement alarmant de la répression et vise manifestement à répandre la peur et à décourager les manifestations. Cela ne fait que punir des personnes qui traversent épreuve après épreuve en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires, de la crise économique et financière, des mesures de confinement strictes et de l’aggravation des pénuries concernant les services de base, notamment l’électricité et les fournitures médicales », a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« En recourant à la législation antiterroriste et en convoquant des manifestant.es devant des tribunaux militaires, les autorités libanaises accentuent une tendance au harcèlement des militant.es qui ne cesse de s’intensifier depuis le début de la vague de manifestations antigouvernementales en octobre 2019. Au lieu de protéger le droit de manifester, la justice libanaise se rend complice de la répression actuelle à l’égard des manifestant.es et des efforts déployés pour écraser la dissidence. »
En recourant à la législation antiterroriste et en convoquant des manifestant.es devant des tribunaux militaires, les autorités libanaises accentuent une tendance au harcèlement des militant.es qui ne cesse de s'intensifier depuis le début de la vague de manifestations antigouvernementales en octobre 2019.
Lynn Maalouf, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International
Violations des garanties d’une procédure régulière et torture
Au total, 35 personnes ont été arrêtées en lien avec les manifestations qui ont éclaté à Tripoli entre le 25 et le 31 janvier. La plupart d’entre elles ont été appréhendées pendant les manifestations, mais les autres ont été arrêtées à leur domicile ou convoquées par téléphone. Aucune des personnes appréhendées ne s’est vu présenter de mandat d’arrêt. Les personnes arrêtées n’ont pas été autorisées à contacter leur famille ni à consulter un avocat pendant les enquêtes préliminaires. Après les interrogatoires préliminaires, au moins 23 personnes arrêtées ont été inculpées d’infractions liées au terrorisme et de vol simple. Au 5 mars, 12 des personnes inculpées avaient été libérées sous caution et 11 autres étaient maintenues en détention.
L’ordre des avocats de Tripoli, qui est intervenu au nom des personnes arrêtées, a indiqué que les services de l’armée et des forces de sécurité avaient dans un premier temps nié détenir qui que ce soit, puis avaient refusé que les avocats voient les personnes détenues et suivent les enquêtes, affirmant que la loi ne s’appliquait pas à elles. Par la suite, Amnesty International s’est jointe à au moins 22 organisations juridiques et de défense des droits humains en signant une pétition rédigée par l’ordre des avocats de Tripoli. Ce texte appelait le Parlement à organiser une audition pour interroger les ministres de la Défense, de l’Intérieur et de la Justice au sujet du non-respect de la législation libanaise garantissant le droit à un procès équitable, du refus persistant de laisser les avocats suivre les enquêtes préliminaires et de la non-application de la Loi n° 65/2017 érigeant la torture en infraction.
Un jeune homme arrêté et libéré ultérieurement présentait des traces de coups sur tout le corps, avec des blessures importantes à la tête, aux épaules et au cou, ce qui laisse à penser qu’il avait été soumis à des actes de torture ou à d’autres mauvais traitements. Amnesty International a pu examiner le rapport médical détaillant ses blessures et les marques sur son corps.
L’avocat de cet homme a dit à Amnesty International que son client avait été arrêté le 28 janvier alors qu’il prenait des photos des manifestations. Il se tenait derrière un soldat qui s’est tourné vers lui, l’a frappé à la tête avec une mitrailleuse et a cassé son appareil photo. Le jeune homme a été soumis à une disparition forcée pendant quatre nuits, puis libéré le 1er février du centre de détention militaire du ministère de la Défense.
Les autorités libanaises doivent respecter la Loi n° 191 du Code de procédure pénale ainsi que le droit à une procédure régulière et à un procès équitable, révéler le lieu de détention des personnes arrêtées et leur permettre de consulter sans délai un avocat et d’entrer en contact rapidement avec leur famille.
« Les autorités libanaises manquent de façon déplorable à leur obligation de garantir à toute personne accusée un procès équitable. Les civils ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires. Les autorités libanaises doivent mettre un terme immédiatement à toutes les violations des garanties d’une procédure régulière et veiller à ce que les allégations de torture et d’autres mauvais traitements donnent lieu sans délai à des enquêtes efficaces », a déclaré Lynn Maalouf.
La mort d’Omar Tayba
Pendant les manifestations, les FSI et l’armée ont utilisé des balles réelles, du gaz lacrymogène et des canons à eau contre les manifestant.es. Selon une déclaration des FSI, des balles réelles n’ont été utilisées qu’après que des manifestant.es ont attaqué les forces de sécurité avec des cocktails Molotov et des grenades à main et pris pour cible un tribunal local et des édifices municipaux.
Au cours des trois nuits de manifestation les plus mouvementées entre le 26 et le 28 janvier, plus de 300 manifestant.es ont été blessés, ainsi que plus de 40 membres des forces de sécurité. Un passant, Omar Tayba, a été tué le 27 janvier par une balle qui a rebondi sur l’asphalte et l’a frappé dans le dos.
Son frère, Ahmed, a dit à Amnesty International qu’Omar se trouvait sur la place Al Nour, à environ 200 mètres des affrontements, lorsqu’il a été touché. Il a commencé à s’éloigner lorsqu’il a vu les FSI commencer à tirer à balles réelles vers le sol, mais alors qu’il se retournait pour partir, une balle l’a touché dans le bas du dos. Son frère a dit que les médecins de l’hôpital Al Nini avaient confirmé qu’Omar Tayba avait été touché par une balle « explosive ».
« Les autorités libanaises doivent ouvrir de toute urgence une enquête indépendante et transparente sur l’homicide d’Omar Tayba afin que justice soit rendue pour sa mort. L’utilisation de balles réelles n’est justifiée que lorsqu’elle est strictement nécessaire en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes », a déclaré Lynn Maalouf.