À la veille de la date butoir fixée au 12 février 2021 pour permettre aux États-Unis de soumettre leur recours contre la décision du Royaume-Uni de ne pas extrader Julian Assange, Amnesty International États-Unis ajoute sa signature à une lettre adressée au ministère américain de la Justice pour demander au président Joe Biden d’abandonner les charges qui pèsent sur le fondateur de Wikileaks. Cette lettre indique :
« Nous, soussignées, organisations de défense de la liberté de la presse, des libertés civiles et des droits humains internationaux, vous écrivons aujourd’hui pour vous faire part de notre plus vive inquiétude au sujet de la procédure pénale et d’extradition visant Julian Assange, fondateur de Wikileaks, au titre de la Loi relative à l’espionnage et de la Loi relative à la fraude et à la délinquance informatiques.
Les charges qui pèsent sur Julian Assange menacent la liberté de la presse parce que la plupart des actions et des activités décrites dans l’acte d’accusation sont celles que les journalistes effectuent couramment – et qu’ils se doivent d’effectuer pour faire le travail d’information que le public attend d’eux.
Amnesty International et les autres signataires
Si nos points de vue sur Julian Assange et son organisation diffèrent, nous sommes tous d’avis que sa mise en accusation par le gouvernement représente une grave menace pour la liberté de la presse, à la fois aux États-Unis et dans le monde. Nous vous demandons de renoncer à faire appel de la décision de la juge Vanessa Baraitser du tribunal de première instance de Westminster, qui a rejeté la demande d’extradition déposée par le gouvernement de Donald Trump.
Nous vous appelons également à annuler l’acte d’accusation sur lequel elle repose. Les charges qui pèsent sur Julian Assange menacent la liberté de la presse parce que la plupart des actions et des activités décrites dans l’acte d’accusation sont celles que les journalistes effectuent couramment – et qu’ils se doivent d’effectuer pour faire le travail d’information que le public attend d’eux. Les journalistes des grands médias s’entretiennent régulièrement avec leurs sources, demandent des clarifications ou se documentent, et reçoivent et publient des documents que les gouvernements considèrent comme secrets. De notre point de vue, un tel précédent dans cette affaire pourrait de fait criminaliser ces pratiques journalistiques courantes. En outre, certains des chefs d’accusation inscrits dans l’acte d’inculpation ne concernent que la décision de Julian Assange de publier des informations classées secrètes.
Les médias d’information publient fréquemment et forcément ce type d’informations en vue de sensibiliser la population à des questions qui revêtent un intérêt général majeur. Nous comprenons qu’il est légitime pour le gouvernement de protéger des intérêts de sécurité nationale de bonne foi, mais la procédure engagée contre Julian Assange met en péril un journalisme dont le rôle se révèle crucial pour la démocratie.
L’administration Trump s’est positionnée comme adversaire d’une presse libre et sans entraves de bien des façons. Parmi les plus inquiétantes, elle a abusé de ses pouvoirs en matière de poursuites judiciaires. Nous sommes très inquiets de la manière dont un précédent généré par des poursuites contre Julian Assange pourrait être exploité – peut-être par une future administration – contre des éditeurs et des journalistes de tous bords politiques.
Les grands médias d’information se font l’écho de cette inquiétude, ce qui explique pourquoi l’annonce des accusations portées contre Julian Assange en mai 2019 a suscité un tel tollé et une condamnation quasi unanime de presque tous les grands médias américains, même si nombre d’entre eux avaient pu critiquer M. Assange par le passé.
Nous comprenons qu’il est légitime pour le gouvernement de protéger des intérêts de sécurité nationale de bonne foi, mais la procédure engagée contre Julian Assange met en péril un journalisme dont le rôle se révèle crucial pour la démocratie
Amnesty International et les autres signataires
Nous croyons savoir que de hauts responsables de l’administration de Barack Obama partageaient cette préoccupation. L’ancien porte-parole du ministère de la Justice Matthew Miller avait déclaré au Washington Post en 2013 : « Le problème auquel le ministère se heurte en permanence avec l’enquête sur Julian Assange est qu’il n’y a aucun moyen de le poursuivre pour avoir publié des informations sans que la même théorie ne soit appliquée aux journalistes. »
C’est à cause des implications qu’aurait entraîné, pour la liberté de la presse, des poursuites contre M. Assange que le ministère de la Justice du procureur général Eric Holder a renoncé à l’inculper, après l’avoir pourtant envisagé. Force est de constater, hélas, que la liberté de la presse est menacée dans le monde entier. Aujourd’hui plus que jamais, il est primordial que nous protégions une presse solide et contradictoire – ce que le juge Murray Gurfein, dans l’affaire des Pentagon Papers, avait qualifié, et l’on s’en souvient, de presse « acariâtre, obstinée, omniprésente » – aux États-Unis et ailleurs. C’est avec cet objectif à l’esprit et avec le plus grand respect que nous vous demandons de renoncer à faire appel de la décision de la juge Baraitser et d’abandonner les charges contre Julian Assange.
Signataires :
Access Now, Union américaine pour les libertés publiques (ACLU), Amnesty International uu , Centre de défense des droits constitutionnels, Comité pour la protection des journalistes, Defending Rights and Dissent, Demand Progress, Electronic Frontier Foundation Fight for the Future, First Amendment Coalition, Free Press, Freedom of the Press Foundation, Human Rights Watch, Index on Censorship, Knight First Amendment Institute at Columbia University, National Coalition Against Censorship, Open The Government Partnership for Civil Justice Fund, PEN, America Project on Government Oversight, Reporters sans frontières, Roots Action, The Press Freedom Defense Fund of First Look Institute, Whistleblower & Source Protection Program (WHISPeR) at ExposeFacts