Somalie. Les États-Unis ne doivent pas abandonner les victimes civiles de leurs frappes aériennes après le retrait des troupes

L’armée des États-Unis ne doit pas se laver les mains de ses obligations légales internationales envers les victimes civiles des frappes aériennes américaines en Somalie, a déclaré Amnesty International au lendemain de l’annonce par le Pentagone du retrait des troupes américaines d’ici janvier 2021.

Après des semaines de spéculations quant à un changement de politique, le ministère de la Défense des États-Unis a publié le 4 décembre un communiqué de presse affirmant que le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) allait « repositionner en dehors de Somalie d’ici à début 2021 la majorité du personnel et des moyens militaires ».

Le retrait des troupes au sol ne signifie pas nécessairement la fin de l’action militaire américaine en Somalie, qui s’est notamment traduite par des dizaines de frappes aériennes chaque année, la plupart menées à partir de bases situées en dehors du territoire somalien. D’après les précédentes recherches menées par Amnesty International, plusieurs de ces frappes ont fait des morts et des blessés parmi les civils, y compris dans le cadre d’attaques ayant manifestement bafoué le droit international humanitaire.

« Que les troupes américaines au sol quittent ou non la Somalie, le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM) doit sans plus attendre mettre en place une stratégie afin de s’assurer qu’il n’annule pas les avancées faites en matière d’obligation de rendre des comptes pour les opérations militaires américaines, notamment au niveau du signalement des allégations de victimes civiles, a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International.

Qu’il maintienne ou non des troupes au sol, l’AFRICOM doit veiller à ce que les victimes civiles des violations du droit international humanitaire et leurs familles obtiennent justice et des réparations. En outre, en cas de nouvelles frappes aériennes, l’AFRICOM doit prendre toutes les précautions possibles pour épargner la vie des civils.

Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnesty International

« Qu’il maintienne ou non des troupes au sol, l’AFRICOM doit veiller à ce que les victimes civiles des violations du droit international humanitaire et leurs familles obtiennent justice et des réparations. En outre, en cas de nouvelles frappes aériennes, l’AFRICOM doit prendre toutes les précautions possibles pour épargner la vie des civils. »

Intensification de la guerre aérienne menée par les États-Unis

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Donald Trump en 2017, l’AFRICOM a intensifié sa guerre aérienne en Somalie, effectuant au total 196 frappes, en utilisant à la fois des drones et des aéronefs avec équipage. L’ONG Airwars a ainsi recensé 38 frappes en 2017, 48 en 2018, 61 en 2019 et 49 depuis le début de l’année 2020.

Amnesty International a enquêté sur neuf frappes aériennes américaines menées depuis 2017 dans les régions du Bas-Shabelle, du Galguduud et du Moyen-Juba, et conclu qu’elles avaient fait 21 morts et 11 blessés parmi la population civile, et que la plupart avaient donné lieu à des violations manifestes du droit international humanitaire.

Aux victimes civiles de ces frappes aériennes, viennent s’ajouter les milliers de morts civils dus au conflit dans son ensemble – le groupe armé Al Shabaab représentant une menace permanente pour la population civile. En outre, des centaines de milliers de personnes ont dû fuir. D’après l’ONU, au moins 295 000 personnes ont quitté la région du Bas-Shabelle depuis le début de l’année 2020, le plus souvent pour échapper au conflit et à l’insécurité.

La plupart d’entre elles se retrouvent dans des camps pour personnes déplacées à Mogadiscio ou aux alentours, où elles risquent d’être soumises à l’exploitation et à des atteintes aux droits humains, notamment à des violences sexuelles. Les femmes et les enfants sont particulièrement exposés aux abus, à la marginalisation et à l’exclusion.

Des avancées vers l’obligation de rendre des comptes

Depuis avril 2019, à la suite d’investigations et du travail de plaidoyer menés par Amnesty International, l’AFRICOM a reconnu cinq civils morts et huit civils blessés dans quatre frappes aériennes distinctes. Aucune famille ni aucune victime n’a reçu d’indemnisations de la part des gouvernements américain et somalien.

Puis, en avril 2020, l’AFRICOM a publié le premier rapport trimestriel évaluant le nombre de victimes civiles – première touche de transparence en plus de 10 ans d’opérations militaires menées en Somalie.

« Ces mesures bienvenues montrent que, face à des informations crédibles relatant les faits sur le terrain, qui viennent étayer ce que les familles des victimes disent depuis longtemps, l’AFRICOM est capable d’enquêter sur les victimes civiles et d’en rendre compte. Aujourd’hui, le gouvernement américain doit poursuivre la démarche et faire en sorte que les victimes de violations et leurs familles obtiennent justice et réparations, a déclaré Deprose Muchena.

Loin des yeux, loin du cœur, n’est pas un concept qui existe en droit international et l’AFRICOM a toujours un devoir de protection envers les civils affectés par ses opérations.

Deprose Muchena

« Le retrait des troupes ne doit pas faire capoter cet élan. Loin des yeux, loin du cœur, n’est pas un concept qui existe en droit international et l’AFRICOM a toujours un devoir de protection envers les civils affectés par ses opérations. »