Alors qu’elle lutte contre le COVID-19, l’Europe est poursuivie par une «pandémie fantôme» : les violences domestiques

Le mois dernier, les Nations unies ont mis en garde contre une « pandémie fantôme » en marge de celle de COVID-19 : la recrudescence des violences domestiques à l’échelle mondiale.

Partout sur la planète on constate une nette augmentation des signalements de violences faites aux femmes et aux filles parallèlement aux restrictions imposées, notamment le confinement, nombre d’entre elles se retrouvant ainsi bloquées sous le même toit que leur agresseur ou dans l’incapacité de solliciter facilement des services d’aide et de protection.

La nette augmentation des violences domestiques pendant la pandémie de COVID-19 révèle de façon criante la nécessité pour les gouvernements du monde entier de renforcer les mesures qu’ils ont mises en place pour protéger les droits des femmes et des filles.

Nils Muiznieks, directeur du programme Europe d’Amnesty International

En Pologne, les femmes et les filles risquent de se retrouver dans une situation encore plus dangereuse après que le ministre de la Justice du pays, Zbigniew Ziobro, a annoncé le 25 juillet son intention de présenter une proposition de retrait de la Convention d’Istanbul, traité européen historique visant à prévenir la violence, notamment domestique, à l’égard des femmes et des filles. Il a affirmé que ce texte était « nuisible », car il contenait « des éléments de nature idéologique » et obligeait notamment les établissements scolaires à enseigner la notion de genre. Selon les détracteurs de la politique actuellement menée en Pologne, les propos tenus par le ministre de la Justice dissimulent l’ambition plus large du gouvernement de renforcer le patriarcat tout en diabolisant les droits des femmes et l’égalité des genres.

Le Premier ministre a déclaré ce jeudi 30 juillet que le texte de la Convention d’Istanbul devait faire l’objet d’un examen par le Tribunal constitutionnel, chargé de statuer sur sa constitutionnalité. Cette procédure est susceptible de retarder la décision sur la proposition de retrait, mais elle n’en reste pas moins inquiétante, en particulier parce que l’indépendance de cette instance n’est absolument pas garantie.

Le parti au pouvoir, Droit et justice (PiS), et ses partenaires de coalition sont très proches de l’Église catholique et mettent activement en avant un programme social néoconservateur. Depuis quelques années, les fausses idées qu’ils véhiculent sur les droits des femmes et l’égalité des genres, faisant référence à une « idéologie du genre », ont exacerbé les attaques contre les droits des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI). La Convention d’Istanbul est de longue date prise pour cible par les populistes, qui souscrivent aux allégations fallacieuses du ministre de la Justice, selon lesquelles ce texte menace les « valeurs familiales traditionnelles ».

En Pologne, les femmes et les filles risquent de se retrouver dans une situation encore plus dangereuse après que le ministre de la Justice du pays, Zbigniew Ziobro, a annoncé le 25 juillet son intention de présenter une proposition de retrait de la Convention d’Istanbul.

Nils Muiznieks, directeur du programme Europe d’Amnesty International

Derrière ces propos se dissimule un profond mépris pour les droits des femmes, des filles et des personnes LGBTI. Le retrait de la Convention d’Istanbul serait une mesure dangereuse ; elle aurait des conséquences dramatiques pour des millions de femmes et de filles, ainsi que pour les organisations qui apportent un soutien essentiel aux victimes de violences sexuelles et domestiques. Elle laisserait également entendre que le bien-être et la sécurité des femmes et des filles ne valent pas la peine d’être protégées. Ce serait enfin une mesure rétrograde, qui irait à l’encontre du droit international relatif aux droits humains.

Les chiffres officiels, même s’ils sont incomplets, brossent un sombre tableau : en 2019, plus de 65 000 femmes et 12 000 enfants en Pologne ont subi des violences domestiques, signalées par les victimes elles-mêmes ou constatées par d’autres personnes. Seules 2 527 enquêtes pour viol ont été ouvertes cette année-là, et d’après les estimations des ONG, le pourcentage de viols signalés est extrêmement faible.

Une enquête menée récemment à l’échelle de l’Europe a révélé que les signalements de violence domestique étaient moins nombreux en Pologne que dans d’autres pays de l’UE. Ce faible taux de signalement à la police, comme cela a été mis en évidence par les recherches d’Amnesty International en Europe, s’accompagne d’une méfiance à l’égard du système judiciaire et de la peur des victimes de ne pas être crues.

Depuis que sévit la pandémie de COVID-19, les services d’assistance téléphonique et les centres d’accueil pour femmes un peu partout en Europe font état d’une hausse alarmante des appels de femmes menacées de violence du fait du confinement ou d’autres restrictions. La Pologne ne fait pas exception. Si des restrictions peuvent être nécessaires pour endiguer la propagation du virus, les États devraient également adopter des mesures adaptées pour garantir la sécurité des femmes et des filles. C’est tout le contraire qu’entraînerait le retrait de la Convention d’Istanbul.

La Convention d’Istanbul offre des garanties fondamentales aux femmes et aux filles. Il s’agit du premier traité européen spécifiquement consacré à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Il couvre toutes les formes de violences liées au genre, et les États qui ont ratifié cet instrument, dont la Pologne, sont tenus de protéger et de soutenir les femmes qui doivent faire face à de telles violences. Ils doivent aussi créer des services tels que numéros d’urgence, centres d’accueil, services médicaux, consultations psychologiques et aide juridictionnelle.

Si la Pologne venait à faire exactement le contraire, elle ferait savoir que la protection du droit des femmes et des filles de ne pas subir de violences n’est plus une priorité, ce qui serait profondément inquiétant.

Nils Muiznieks, directeur du programme Europe d’Amnesty International

À ce jour, la Convention d’Istanbul a été signée par une large majorité d’États européens et par l’UE, et ratifiée par 34 d’entre eux. Sur la seule année 2018, elle est entrée en vigueur dans neuf pays (Allemagne, Chypre, Croatie, Estonie, Grèce, Islande, Luxembourg, Macédoine du Nord et Suisse). En 2019, l’Irlande a elle aussi ratifié cet instrument dans le sillage d’un vote historique mettant fin à l’interdiction quasi totale de l’avortement dans le pays. 

Cependant, pour certains pays, le souhait de se retirer de la Convention d’Istanbul fait partie des priorités. En Turquie, par exemple, des groupes de défense des droits des femmes se sont dits inquiets de la multiplication des appels à dénoncer ce texte, mesure qui doit faire l’objet le 5 août d’un examen par le comité exécutif central du parti au pouvoir, alors que plusieurs femmes ont été assassinées par des hommes dans le pays, ce dont les médias se sont largement fait l’écho.

Dans d’autres pays, tels que la Bulgarie, la Slovaquie et, plus récemment la Hongrie, les députés ont refusé de ratifier la Convention d’Istanbul, se fondant pour cela sur une conception erronée de la notion de « genre », et faisant délibérément fi de l’incidence négative des stéréotypes de genre, qui exposent les femmes et les filles à la violence.

Ce sont également des idées fausses du même acabit qui bloquent la ratification de cet instrument en Ukraine, où la législation existante visant à lutter contre la violence domestique n’est guère appliquée. Même si elle ne figure pas à l’ordre du jour du Parlement ukrainien, le pays se penche actuellement sur la question après la signature par plus de 25 000 personnes d’une pétition appelant le Président à lancer le processus de ratification.

En 2018, la Cour constitutionnelle bulgare a estimé que la Convention d’Istanbul n’était pas compatible avec la Constitution du pays, encourageant ainsi davantage une interprétation erronée et préjudiciable de la nature et du champ d’application de ce traité.

La nette augmentation des violences domestiques pendant la pandémie de COVID-19 révèle de façon criante la nécessité pour les gouvernements du monde entier de renforcer les mesures qu’ils ont mises en place pour protéger les droits des femmes et des filles.

Si la Pologne venait à faire exactement le contraire, elle ferait savoir que la protection du droit des femmes et des filles de ne pas subir de violences n’est plus une priorité, ce qui serait profondément inquiétant.

Cet article a initialement été publié sur Euronews.