Philippines. La déclaration de culpabilité de Maria Ressa et Reynaldo Santos Jr., journalistes de Rappler, doit être annulée

Réagissant aux informations selon lesquelles un tribunal de Manille a déclaré Maria Ressa et Reynaldo Santos Jr., respectivement rédactrice en chef et ancien journaliste du site d’informations Rappler, coupables de « diffamation en ligne » en raison d’un article rédigé en 2012, Nicholas Bequelin, directeur régional pour l’Asie-Pacifique à Amnesty International, a déclaré :

Maria Ressa et son équipe sont devenues des icônes de la liberté de presse lorsque le président Rodrigo Duterte lui-même en a fait la cible d’attaques.

Nicholas Bequelin, directeur régional pour l’Asie-Pacifique à Amnesty International

« Cette décision est une imposture et doit être annulée. Maria Ressa, Reynaldo Santos Jr. et l’équipe de Rappler sont pris pour cible en raison leurs critiques du gouvernement de Rodrigo Duterte, notamment concernant les atteintes aux droits humains qui continuent d’être commises aux Philippines. Les accusations dont font l’objet ces personnes sont motivées par des considérations politiques, la procédure judiciaire était motivée par des considérations politiques et la condamnation est tout ce qu’il y a de plus politique.

« Avec cette nouvelle attaque contre les médias indépendants, le bilan en matière de droits humains des Philippines continue sa chute libre. Il est temps que les Nations unies ouvrent une enquête internationale sur la crise des droits humains dans le pays, conformément aux dernières recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

« Maria Ressa et son équipe sont devenues des icônes de la liberté de presse lorsque le président Rodrigo Duterte lui-même en a fait la cible d’attaques, d’intimidations et de harcèlement à plusieurs reprises. Une longue bataille les attend, puisque ces personnes font également l’objet d’autres accusations motivées par des considérations politiques pour lesquelles elles n’ont pas encore été jugées.

Il est temps que les Nations unies ouvrent une enquête internationale sur la crise des droits humains dans le pays, conformément aux dernières recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.

Nicholas Bequelin

« Cette déclaration de culpabilité fait suite à la fermeture du groupe ABS-CBN, qui a cessé d’émettre après avoir été la cible d’attaques du président. La communauté internationale ne peut pas garder le silence face à cette vendetta éhontée contre la presse. »

Complément d’information

Le 15 juin 2020, un tribunal de Manille a déclaré Maria Ressa et Reynaldo Santos Jr. coupables de diffamation en ligne, ce qui en fait les premiers journalistes déclarés coupables de cette infraction. La décision prévoit une peine de prison pouvant aller de six mois et un jour à six ans. Au titre de cette condamnation, Maria Ressa et Reynaldo Santos Jr. doivent verser au plaignant, l’homme d’affaires William Keng, un total de 400 000 pesos philippins d’indemnisation. Le tribunal a autorisé leur libération sous caution.

Les poursuites contre ces deux personnes sont liées à un article d’investigation de Reynaldo Santos Jr. publié le 29 mai 2012. Dans l’article, il affirmait que le président de la Cour suprême de l’époque Renato Corona avait utilisé un véhicule appartenant à William Keng, soupçonné d’avoir des liens avec des réseaux de traite des êtres humains et de contrebande de drogue.

Sept ans plus tard, le 13 février 2019, Maria Ressa a été arrêtée par le Bureau national d’enquête et placée en détention pendant une nuit, avant d’être libérée sous caution, le ministère de la Justice l’accusant de « diffamation en ligne » en raison de l’article. L’article avait été publié plus de trois mois avant la promulgation de la loi relative à la diffamation en ligne. Cette loi n’aurait jamais dû être appliquée rétroactivement, car les faits reprochés n’étaient pas considérés comme une infraction au moment où ils se sont déroulés.

Maria Ressa, Reynaldo Santos Jr. et la direction de Rappler font collectivement l’objet de plusieurs autres procédures judiciaires et enquêtes, notamment pour des allégations de fraude fiscale et d’infraction à la loi interdisant à des intérêts étrangers de détenir des médias. Rappler a régulièrement critiqué le président Rodrigo Duterte et son gouvernement, en publiant des enquêtes détaillées sur certaines des milliers d’exécutions extrajudiciaires de personnes pauvres et marginalisées perpétrées par la police et d’autres personnes armées inconnues pendant des opérations liées à la « guerre contre la drogue ».

Le 5 mai 2020, la Commission nationale des télécommunications a pris une décision empêchant le groupe ABS-CBN, l’un des plus importants groupes de médias audiovisuels du pays, de poursuivre ses activités de diffusion d’émissions de radio et de télévision dans tout le pays, « la licence accordée par le Congrès ayant expiré ». ABS-CBN a produit de nombreux reportages d’investigation mettant en lumière des atteintes aux droits humains, s’attirant ainsi les foudres du président Rodrigo Duterte, qui a accusé le groupe de s’être plusieurs fois abstenu de diffuser des spots de publicité politique rémunérés pour l’élection de 2016, qu’il a remportée.

Le 4 juin 2020, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a mis en exergue les « graves violations des droits de l’homme » dans le pays. Il décrit, entre autres, « les menaces qui pèsent constamment sur la liberté d’expression, en raison des poursuites judiciaires contre les journalistes et les hauts responsables politiques s’opposant au Gouvernement, ainsi que des actions menées pour fermer les organes de presse ».