Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International
Pour la première fois de l’histoire des mouvements de non-conformité de genre et de diversité sexuelle dans les Amériques, les marches de la Fierté LGBTIQ+ sont annulées en raison de la pandémie de COVID-19. Ce qui n’a pas empêché les organisations, groupes, leaders et citoyen·ne·s qui défendent les droits des personnes LGBTIQ+ d’organiser une série d’actions, pour la plupart en ligne, afin d’adresser des messages de solidarité et d’espoir, ainsi que des revendications appuyées aux États. Aujourd’hui plus que jamais, les voix des lesbiennes, gays et personnes bisexuelles, transgenres, transsexuelles, travesties, intersexuées et queer doivent être entendues et les organisations qui les soutiennent dans la lutte pour le respect de leurs droits doivent mobiliser toute leur énergie afin d’obtenir des gouvernements de la région qu’ils s’acquittent de leurs obligations internationales.
Depuis 20 ans, on constate des progrès importants dans le domaine des droits des LGBTIQ+ au niveau de la législation et de la politique publique dans certains pays des Amériques : textes de loi qui mettent fin à la criminalisation grotesque des relations entre personnes de même sexe, combattent la discrimination et garantissent l’identité de genre, mais aussi reconnaissance de l’égalité pour les couples de même sexe en matière de mariage et d’adoption dans certains pays de la région. Ce n’est pas l’État qui est à l’origine de ces avancées, mais bien la détermination et la lutte des mouvements LGBTIQ+, souvent avec l’appui d’autres mouvements de résistance – féministes, étudiants et antiracistes notamment. Les mouvements de défense des droits des LGBTIQ+ eux-mêmes ont évolué au cours des dernières décennies, adoptant de nouvelles identités et formes d’expression.
Malgré ces avancées et la portée historique du mois des Fiertés, les LGBTIQ+ dans la région continuent de faire face à de nombreuses formes d’exclusion, d’inégalité et de violence, largement dues à l’incapacité systématique des États de garantir leurs droits et de répondre à leurs besoins. Nous ne pouvons ignorer le fait que, dans le contexte de la pandémie actuelle, les LGBTIQ+ sont plus exposés au risque de voir leurs droits fondamentaux bafoués, parce que les gouvernements n’ont pas proposé de réponse globale à tout un éventail de défis complexes qui exacerbent les inégalités et les problèmes sociaux.
Malgré ces avancées et la portée historique du mois des Fiertés, les LGBTIQ+ dans la région continuent de faire face à de nombreuses formes d’exclusion, d’inégalité et de violence, largement dues à l’incapacité systématique des États de garantir leurs droits et de répondre à leurs besoins.
Les gouvernements de la région étant focalisés sur la nécessité de répondre à l’urgence sanitaire du COVID-19, Amnesty International redoute que la création de mécanismes visant à mettre en œuvre des politiques et des programmes qui assurent un soutien global aux LGBTIQ+ dans ce contexte si difficile ne soit mise à l’écart. L’une des questions les plus pressantes est l’absence de réponse efficace des États face à l’augmentation du nombre de cas de violences et de discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre.
En 2019, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a averti que, malgré les mesures adoptées par les États pour prévenir et atténuer les violences contre les personnes LGBTI dans la région des Amériques, les forts taux de violence et de discrimination, notamment les crimes de haine fondés sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre, ont perduré dans de nombreux pays et ont même augmenté dans certains. Dans son Rapport annuel 2019, Amnesty International notait la nette détérioration de la situation concernant les droits des LGBTIQ+ dans des pays comme le Salvador, le Honduras, la Jamaïque, le Paraguay, le Pérou, Trinidad-et-Tobago, les États-Unis, l’Uruguay et le Venezuela.
En termes de droit à la santé, la pandémie de COVID-19 a réduit la capacité des systèmes de santé à fournir rapidement des services spécifiquement destinés aux personnes LGBTIQ+. Citons l’absence de thérapies d’hormones de substitution pour les femmes transgenres, de services de santé sexuelle et d’accès et de possibilités de bénéficier de traitements antirétroviraux pour les personnes vivant avec le VIH – une autre pandémie qui touche particulièrement les homosexuels et les femmes transgenres dans la région depuis près de 40 ans. N’oublions pas que la discrimination persistante fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre en matière de soins de santé place les LGBTIQ+ dans une situation de risque accru face au COVID-19.
Qui plus est, l’impact économique de la pandémie commence à se refléter dans les taux de chômage, dans une région où les chances d’accéder à un emploi décent étaient très limitées pour la population trans, ainsi que pour les représentant·e·s de la diversité sexuelle, et ce même avant le COVID-19. Si les politiques publiques n’incluent pas des programmes de formation et des initiatives visant à garantir leur inclusion sur le marché du travail, il sera difficile pour les LGBTIQ+ d’obtenir des moyens de subsistance qui leur garantissent un niveau de vie suffisant.
Enfin, il importe de souligner que, si le discours politique considère les personnes LGBTIQ+ comme un groupe cohérent dans la lutte pour leurs droits, beaucoup vivent des réalités diverses et de multiples formes de discrimination qui les mettent dans des situations de danger extrême et les exposent à des violations des droits humains. C’est le cas des personnes LGBTIQ+ migrantes et réfugiées, qui ont fui des situations de violence et de persécution dans leur pays ou sont parties en quête d’une vie meilleure, des personnes de diverses orientations sexuelles, identités de genre ou expressions de genre appartenant aux populations indigènes et aux communautés rurales et victimes d’une violence et d’une discrimination accrues dans leurs communautés, et des personnes incarcérées, en butte à la ségrégation et à un risque accru de violence dans les prisons.
Cinquante ans après les premières manifestations publiques de lutte et de fierté relative à la non-conformité de genre, les LGBTIQ+ sont confrontés à de nombreux défis complexes en termes de droits humains, qui se font plus criants dans le contexte de la pandémie. Cette situation est aussi l’occasion de stimuler le militantisme et de renforcer les alliances entre les réseaux, les organisations et les groupes qui expriment la diversité sexuelle. Les personnes LGBTIQ+ et les défenseur·e·s des droits humains qui les soutiennent dans leur combat continuent de résister et de revendiquer, dans le confinement et via des espaces virtuels, et d’inviter les États à écouter et à entendre leurs voix. Nous n’aurons de cesse que les droits fondamentaux des LGBTIQ+ soient pleinement reconnus et que leur droit de vivre dans la dignité devienne la norme.