Réagissant aux informations signalant que la Commission nationale des télécommunications a pris une décision empêchant le groupe ABS-CBN, l’un des plus importants groupes de médias audiovisuels du pays, de poursuivre ses activités, Butch Olano, directeur d’Amnesty International Philippines, a déclaré :
« La décision ordonnant à ABS-CBN de cesser ses activités constitue une attaque scandaleuse contre la liberté des médias. Elle est particulièrement irresponsable compte tenu du fait que le pays doit actuellement faire face à la pandémie de COVID-19. La population philippine a besoin d’informations exactes provenant de sources indépendantes. Le gouvernement doit immédiatement prendre les mesures nécessaires pour qu’ABS-CBN puisse continuer d’émettre, et mettre à terme à toutes les tentatives visant à entraver la liberté des médias.
« Cette dernière offensive en date contre ABS-CBN intervient à la suite d’attaques répétées menées contre ce groupe par le président Rodrigo Duterte lui-même. Il s’agit d’une nouvelle atteinte à la liberté d’expression qui fait suite aux menaces de poursuites judiciaires adressées par les autorités ces dernières semaines aux personnes qui ont critiqué les mesures prises par le gouvernement face à la pandémie.
Ce jour sombre pour la liberté des médias aux Philippines évoque la loi partiale imposée du temps de la dictature pour prendre le contrôle des agences de presse. Les leçons tirées du passé doivent inciter le gouvernement à ne pas s’engager sur cette voie ; la liberté de la presse doit être respectée, et toutes les personnes qui tiennent à la liberté d’expression doivent s’opposer énergiquement à cette attaque contre ABS-CBN. »
Complément d’information
Le 5 mai 2020, la Commission nationale des télécommunications (CNT) a ordonné au groupe de médias audiovisuels ABS-CBN de cesser ses activités de diffusion d’émissions de radio et de télévision dans tout le pays « la licence accordée par le Congrès ayant expiré » le 4 mai 2020. La CTN a cité la Loi n° 3846, relative au contrôle de la radiodiffusion, dans sa décision, aux termes de laquelle le groupe dispose de 10 jours pour expliquer pourquoi les fréquences de radiodiffusion qui lui ont été assignées ne doivent pas lui être retirées.
ABS-CBN a produit de nombreux reportages d’investigation mettant en lumière les exécutions extrajudiciaires commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue » menée par le gouvernement philippin. De même, le site d’informations Rappler et sa rédactrice générale Maria Ressa, qui ont également critiqué la campagne de lutte contre les stupéfiants dans leurs reportages, sont en butte à toute une série de poursuites judiciaires, notamment pour des accusations d’évasion fiscale, de diffamation en ligne et de participation étrangère au capital d’une entreprise.
Le président Rodrigo Duterte s’en est pris à maintes reprises à ABS-CBN, reprochant à ce groupe de s’être plusieurs fois abstenu de diffuser des spots de publicité politique rémunérés pour l’élection de 2016, qu’il a remportée. Dans un discours prononcé en 2019, le président Rodrigo Duterte a conseillé aux dirigeants du groupe de vendre l’entreprise afin de s’en sortir.
La décision qui a été annoncée le 5 mai est intervenue après que le procureur général, Jose Calida, a averti la Commission qu’elle s’exposait à des poursuites en accordant une autorisation provisoire à ABS-CBN en l’absence de licence accordée par le Congrès. En février 2020, Jose Calida a déposé une requête en quo warranto devant la Cour suprême pour lui demander d’annuler la licence qui avait été accordée à ABS-CBN, au motif que ce groupe a autorisé des investisseurs étrangers à participer à son capital malgré les interdictions prévues par la Constitution, et lancé une souscription sans l’autorisation nécessaire du gouvernement. La Cour suprême n’a pas encore rendu de décision dans cette affaire, du fait de la suspension de ses activités liée à la mesure de confinement appliquée dans le Grand Manille dans le cadre de la pandémie de COVID-19.
Plusieurs projets de loi sont actuellement en instance devant le Congrès des Philippines visant à renouveler la licence de ce groupe, mais ils n’ont pas encore été examinés depuis que le Congrès actuel a entamé sa session en juillet 2019.
Ces dernières semaines, le Bureau national d’enquête a convoqué des personnes accusées d’avoir diffusé de fausses nouvelles au sujet du COVID-19, mais des associations de défense des droits humains ont indiqué qu’il s’agissait entre autres de personnes n’ayant fait que diffuser en ligne leurs griefs. Dans la ville de Cebu, un artiste a été arrêté sans mandat en avril 2020 à cause d’un billet publié sur Facebook considéré par la police comme constituant de « fausses nouvelles ». La Loi de la République n° 11469, qui accorde au président Rodrigo Duterte des pouvoirs spéciaux pour lutter contre la pandémie, contient des dispositions sanctionnant le fait de « créer, perpétuer ou diffuser de fausses informations » avec une peine allant jusqu’à deux mois d’emprisonnement, une amende pouvant atteindre un million de pesos, ou les deux à la fois.