Cartes postales de la pandémie

La crise vue de plusieurs pays

La pandémie de COVID-19 concerne chacun et chacune d’entre nous. Mais le virus, comme les mesures mises en place pour limiter sa propagation, a des conséquences différentes pour tout le monde, et il n’existe pas de solution unique. Par exemple, sans accès à l’eau courante, impossible de suivre les gestes barrières et de se laver les mains. Pour les personnes qui vivent dans un camp de réfugiés ou dans un quartier informel, la distanciation sociale est irréaliste.

Des personnes de l’ensemble du mouvement d’Amnesty International ont partagé leur vécu en cette période de pandémie. Ci-dessous, vous pourrez lire des témoignages en provenance de 17 pays, dont l’Espagne, le Népal, le Brésil, le Nigeria, les Philippines et le Canada.

Ils soulignent l’exacerbation des inégalités entraînée par la pandémie, ainsi que les raisons pour lesquelles les gouvernements doivent adapter leurs réponses à certaines situations.

Mais ils montrent également notre multitude de points communs. Chacun et chacune d’entre nous veut vivre en sécurité, être en bonne santé et savoir que sa famille se porte bien. Chacun et chacune d’entre nous veut être traité·e avec dignité et respect. Et chacun et chacune d’entre nous a des stratégies différentes pour survivre en cette période étrange et effrayante, sans perdre espoir.

Il faut garder en tête que nous avons le droit de ralentir, si c’est pour gagner en puissance plus tard.

Sixtine, militante d’Amnesty International Belgique

Jaime, Hong Kong

Jaime est la dirigeante du mouvement de jeunes d’Amnesty International Hong Kong

Là, tout de suite, je ne suis sûre de rien. Nous étions l’un des premiers endroits touchés par le virus à la fin du mois de janvier 2020, et même si nous avons globalement réussi à le contenir, nous venons d’être touchés par une seconde vague de nouveaux cas.  

Officiellement, Hong Kong n’est pas confinée, mais des précautions ordonnées par le gouvernement et conseillées par les habitants sont appliquées depuis le début du mois de janvier. Nous avons pu réagir rapidement, car ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à une épidémie virale de grande échelle : les souvenirs du SRAS, en 2003, restent profondément ancrés dans l’esprit des habitants de Hong Kong. Nous avons rapidement compris l’importance de la solidarité et de la responsabilité collective dans un contexte de crise sanitaire. 

Ce sont également cette solidarité et cette responsabilité collective qui me font garder espoir. Au début, lorsque nous avons été confrontés à des pénuries de produits de santé et de produits alimentaires, des groupes de bénévoles ont livré des colis de ravitaillement aux personnes âgées. Tout le monde portait un masque pour éviter d’être infecté et d’infecter les autres. Certains emmenaient des masques supplémentaires, pour les donner à celles et ceux qui étaient dans l’incapacité de s’en procurer. De nombreuses personnes ont pris les choses en main et ont commencé à produire du gel hydroalcoolique en masse, chez elles, pour en faire don autour d’elles. Tout le monde a montré un soutien énorme à nos professionnels de santé.  

Ce sont des périodes comme celles-ci qui nous montrent que nous devons penser aux autres et travailler ensemble pour faire face à cette crise de la santé publique, de la désinformation et des inégalités.

Bob, Jersey

Bob est un membre d’Amnesty International qui vit à Jersey. En 2013, il a été fait Membre de l’Empire britannique (MBE) pour avoir aidé des prisonniers russes qui s’étaient évadés durant l’occupation nazie. 

Je m’approche de mon premier anniversaire à trois chiffres. J’habite à Jersey, et comme vous le savez peut-être, ces îles ont été occupées par les forces allemandes pendant près de cinq ANS. Cinq ans de répression et de pénuries, et une quasi-famine au moment du siège de l’hiver 1944/1945. Pendant quatre mois, il n’y avait pas de combustible, pas de gaz pour cuisiner, pas une once d’électricité.  

Par certains aspects, cette période est comparable à celle que nous traversons. Le plus grand changement a été la polarisation des caractères.  Nous avons vite appris qu’il y avait plus de personnes optimistes que négatives, que ce soit parmi nous ou parmi nos occupants allemands. 

Les personnes qui avaient toujours tendu vers la générosité, vers l’empathie, sont devenues de véritables saintes. À l’inverse, celles qui avaient toujours été un peu méchantes, un peu égoïstes, sont devenues des fumiers sans nom.

Vincent, Kenya

Je m’appelle Vincent Kenvin Odhiambo et j’habite à Kibera, à Nairobi. Je suis un militant des droits humains et je dirige Wasanii Sanaa, une organisation de jeunesse qui utilise l’art, la danse et le théâtre pour sensibiliser les jeunes aux droits humains.

Kibera est le plus grand bidonville d’Afrique, et depuis que le COVID-19 a fait son apparition au Kenya, vivre ici est devenu particulièrement difficile. Environ 90 % des habitants de Kibera n’ont pas accès à l’eau potable courante, et les couvre-feux ainsi que les restrictions de circulation ne font qu’empirer les choses. Certaines organisations locales ont mis en place des points de lavage pour les mains, mais de nombreux foyers doivent encore vivre sans eau pendant de longues périodes.

Au début, le manque de connaissances était un problème majeur. De nombreuses personnes étaient mal informées sur le virus et ne prenaient pas la situation au sérieux. Avec mon organisation, nous essayons de sensibiliser les habitants, en faisant du porte-à-porte et en parlant aux gens qui viennent aux points de lavage pour les mains. Nous parlons également aux personnes qui se rendent au centre de santé de Kibera Sud pour les informer sur le COVID-19 et les moyens de s’en protéger.

En raison de la distanciation sociale, je ne peux pas mener mes activités habituelles : réunions avec les habitants, théâtre associatif, événements, etc. C’est comme cela que je gagne ma vie et je ne sais pas comment je vais faire maintenant que je dois rester chez moi. Je vis avec mon neveu, et bien que nous essayions d’appliquer les mesures de prévention, c’est dur car nous vivons dans une seule pièce et partageons beaucoup de choses. De plus, je n’ai pas toujours accès à internet, ce qui m’empêche parfois de travailler.

Le 27 mars, un couvre-feu est entré en vigueur au Kenya. Depuis, les policiers chargés de le faire respecter à Kibera ont commis des violations des droits humains à de nombreuses reprises. Il a été signalé que des policiers avaient frappé des habitants qui rentraient tard du travail, et que d’autres étaient entrés par effraction dans des magasins et des domiciles. Il y a toujours de très nombreux policiers pendant le couvre-feu, et ils ont utilisé du gaz lacrymogène et même des balles réelles. Cela suscite beaucoup de peur. Trois femmes auraient accouché chez elles car elles avaient trop peur de sortir pendant le couvre-feu. Cette situation met vraiment leur vie en danger.

Robert, Ghana

Je m’appelle Robert, et je suis le directeur d’Amnesty International Ghana. Aujourd’hui, le Ghana est en confinement partiel. Mes conseils pour rester calme et optimiste sont de rester chez soi et de ne pas prendre de risques : profitez de vos temps libres pour apprendre de nouvelles choses, pour lire, pour vous éloigner un peu des écrans et faire des jeux avec les personnes avec qui vous vivez, pour faire attention à votre alimentation et, si possible, pour faire régulièrement du sport. Méditez.

Au Ghana, beaucoup de personnes s’inquiètent du comportement des policiers et des militaires chargés de faire respecter le confinement. Pendant cette période, le pays a adopté une loi qui, selon moi, n’est pas conforme aux droits humains. La loi d’imposition de restrictions vise à donner à notre président et à tous ses successeurs le pouvoir de limiter certaines de nos libertés constitutionnelles, sur des fondements qui, je crois, pourraient être détournés s’ils ne sont pas surveillés.

D’autre part, la gestion de la situation des personnes pauvres, sans abri et sans ressources par le gouvernement au cours de cette période est préoccupante. Manifestement, ces personnes n’ont pas été prises en considération au moment de prendre des décisions majeures.

E-Ling, Taiwan

E-ling Chiu est la directrice d’Amnesty International Taiwan.

Comme Taiwan est exclue de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et en raison de notre expérience tragique du SRAS, nous suivons très attentivement l’évolution de la situation depuis le début de la pandémie.

En ce moment, le port du masque est obligatoire dans les transports publics. Tous les hôpitaux et les centres de soin ont suspendu les visites des amis et des membres de la famille des patients.

Jusqu’ici, Taiwan a réussi à contenir le virus, mais je suis préoccupée par la coopération des autorités avec les entreprises de télécommunications en matière de surveillance. Les données de localisation sont collectées, et nous n’avons aucune information sur la date de fin de cette mesure.

D’autre part, le gouvernement n’a toujours pas de politique claire pour la protection des personnes sans abri, migrantes en situation irrégulière ou demandeuses d’asile.

Il n’y a pas de confinement à Taiwan, donc je ne suis pas tenue de m’isoler. Néanmoins, mes amis qui reviennent de l’étranger ont été placés en quarantaine. Certains d’entre eux sont encore dans d’autres pays.

Je me demande parfois si j’ai été infectée, même si je ne suis pas allée à l’étranger et si je n’ai pas de fièvre. Notre société est de plus en plus méfiante.

Je crains également que la colère de la population taiwanaise à l’encontre de l’OMS ne se répercute sur d’autres ONG internationales.

J’essaye de faire du yoga, de prendre de grandes inspirations et d’expirer doucement. J’essaye d’aider les autres, de prendre soin de mes amis et collègues à l’étranger. Je vous envoie mes meilleures pensées de Taiwan.

Raul, Brésil

Je m’appelle Raul Santiago, je suis défenseur des droits humains et journaliste. J’ai 31 ans et j’habite dans la favela de Complexo do Alemão, dans le nord de Rio de Janeiro.

La pandémie de coronavirus est très difficile à gérer ici. Nombre de personnes vivent dans des conditions précaires, avec peu de chambres et beaucoup de gens. Les familles extrêmement pauvres n’ont rien à manger en période de distanciation sociale, et elles n’ont pas d’autre choix que de dépendre des dons de nourriture.

Les conseils les plus simples de l’Organisation mondiale de la santé, comme se laver les mains plusieurs fois par jour, sont tout simplement impossibles à suivre pour beaucoup d’entre nous. La solidarité est indispensable pour surmonter les inégalités et la pandémie. 

Cette dernière souligne les inégalités, dans mon pays comme dans d’autres. L’accès à l’eau est un droit humain fondamental, mais tout le monde n’en bénéficie pas ici. Des installations sanitaires de base sont le minimum requis pour vivre dans la dignité, mais dans les faits, les eaux usées sont toujours évacuées à ciel ouvert.

Si, aujourd’hui, nous devions respecter un confinement total, la plupart des personnes qui habitent dans mon quartier n’auraient ni eau potable, ni nourriture ; la famine s’installerait en moins d’une semaine.

Si nous ne disposons pas des ressources minimales pour être en mesure de limiter la propagation du virus, c’est parce que nos droits humains fondamentaux ne sont pas assurés. Nous aurons besoin de toute l’aide possible. 

Je fais partie d’un groupe militant qui a créé un bureau de crise, ici, à Complexo do Alemão. Nous essayons de faire du travail de sensibilisation et de prévention, et de demander des dons pour aider les personnes extrêmement pauvres qui vivent ici.

Nous recevons chaque jour des demandes d’aide pour de la nourriture, de l’eau et des produits ménagers basiques. La situation est désespérée. Nous faisons de notre mieux avec le peu que nous avons, et sans aide gouvernementale.

Ana, Canada

Je m’appelle Ana, et je suis conseillère en droits des populations autochtones à Amnesty International Canada. Mon nom traditionnel est Noodinkwe.

Mes défenses immunitaires sont faibles, donc ma famille et moi-même appliquons un confinement strict depuis trois semaines et nous resterons ici pendant encore très longtemps. Nous avons la chance de pouvoir recevoir des livraisons et de pouvoir nous promener sur les bords du fleuve deux fois par jour.

Je m’en sortirai, mais je suis inquiète pour ma famille et mes amis des communautés autochtones de ce pays. Des siècles de négligences gouvernementales ont entraîné pour les populations autochtones un manque d’infrastructures et de services que la plupart des personnes tiennent pour acquis dans un pays riche comme le Canada.

Il est presque impossible d’appliquer le confinement pour les communautés qui vivent souvent à trois générations et 12 personnes dans une maison de deux chambres. Ces maisons ont été construites au rabais par le gouvernement, et bien souvent elles ne sont pas adaptées au climat nordique ou aux lieux reculés : la moisissure, les dégâts des eaux et les effondrements sont des phénomènes récurrents, et ils peuvent aggraver des problèmes de santé préexistants.  

Le Canada est un grand pays, avec une abondance d’eau douce ; c’est un pays où les gens peuvent avoir de l’eau potable directement au robinet, et où des réglementations strictes sont appliquées en matière de traitement de l’eau. Sauf pour de nombreuses communautés autochtones. Aujourd’hui, environ 100 communautés ne peuvent pas boire l’eau de leur robinet, et elles sont encore plus nombreuses à être contraintes d’acheter des litres et des litres d’eau pour les acheminer jusqu’aux communautés reculées. Dans de nombreuses régions, l’eau courante ne serait pas sûre pour laver la vaisselle ou le linge. 

Les populations autochtones sont rattachées à un régime de sécurité sociale complexe et très bureaucratique. Son budget est si insuffisant que le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que ce système était source de discrimination à l’encontre des personnes autochtones, et qu’il a ordonné au gouvernement canadien de résoudre ce problème. La plupart des communautés n’ont ni médecins, ni personnel paramédical, ni hôpitaux, ni même équipement médical d’urgence ; il faut prendre l’avion pour recevoir un traitement dans un centre médical.  

Le printemps arrive dans le nord du Canada, et pour les communautés qui ont été intentionnellement placées par les gouvernements successifs dans des zones désertiques, c’est aussi l’arrivée de la saison des inondations. À l’heure actuelle, je suis terrifiée pour les personnes qui doivent surmonter cette crise tous les ans, avec des aides gouvernementales d’urgence insignifiantes. Que se passera-t-il cette année, alors que le coronavirus s’introduit dans ces communautés reculées, abandonnées et précaires ?

Camp de Kakuma, Kenya

À Kakuma, un grand camp de personnes réfugiées situé dans le comté de Turkana, au nord-ouest du Kenya, la surpopulation et la pénurie d’eau limitent les possibilités de lutter contre la propagation du virus.

Les organisations humanitaires ont dû suspendre ou réduire leurs services et les biens de première nécessité ne parviennent pas jusqu’au camp. Les personnes réfugiées y sont confinées, ce qui signifie qu’elles ne peuvent pas travailler, et un couvre-feu strict a été mis en place entre 19 heures et 5 heures.

Abubakar vient du Burundi et vit à Kakuma depuis sept ans.

Il a expliqué : « Le principal problème, c’est la peur ; je ne pense pas que nous ayons suffisamment de personnel médical pour combattre le virus ici, dans le camp. Lorsqu’il arrivera, je crois que nous serons durement touchés. On nous parle de lavage de mains, mais nous sommes dans une zone désertique, sans même assez d’eau pour laver nos vêtements. On nous parle de gel hydroalcoolique, mais je n’en ai jamais vu une bouteille dans le camp. On nous parle de masques, mais il me semble qu’aucune des organisations qui opèrent dans le camp ne distribue de masques. »

Gerrard

Gerrard est un musicien né dans le Sud-Kivu, en RDC. Il vit à Kakuma depuis 2011.

J’ai appris l’existence du coronavirus par les réseaux sociaux. Je suis très inquiet à l’idée que l’épidémie puisse se propager ici. Nos conditions de vie sont limitées, et quant aux conseils de protection contre le COVID-19… ici, à Kakuma, nous aurons du mal à les appliquer.

La plupart des personnes ont l’habitude d’être en groupes, quand elles font la queue aux centres de distribution alimentaire ou quand elles vont chercher de l’eau. Les jeunes réfugié·e·s restent ensemble, partagent leur nourriture, vont aux centres de jeunesse. Les gens ne peuvent pas concevoir d’éviter les rassemblements.

Le gouvernement doit nous fournir de la nourriture et des solutions hydroalcooliques, et il doit garantir notre sécurité. Oui, nous recevons actuellement des denrées alimentaires ; mais nous allons rester confinés pendant au moins les deux prochains mois, et elles sont insuffisantes. Nous sommes censés recevoir une livraison avec l’équivalent de deux mois de nourriture, pour réduire le nombre de déplacements, mais elle n’est pas encore là.

Il n’y a pas de robinet permanent, et certains endroits du camp sont approvisionnés en eau seulement deux fois par semaine.

Nous avons besoin de sécurité, parce que le confinement et le couvre-feu entraîneront des problèmes. Quand on ne respecte pas le couvre-feu, on est placé en détention, et il faut payer cher pour en sortir : j’ai entendu dire que des gens avaient déboursé 50 dollars américains. La corruption de la police kenyane est un secret de Polichinelle, et je crains de voir le tour que cela va prendre avec le couvre-feu.

Pour couronner le tout, les salaires sont limités. Plus personne ne gagne d’argent, mais nous avons besoin d’argent pour combattre le virus. On ne peut pas dire aux gens d’économiser pour s’acheter du gel hydroalcoolique alors qu’ils ne peuvent pas se payer de la nourriture et de l’eau.

Mohamed

Mohamed, 26 ans, vient du Burundi et vit à Kakuma depuis 2005. Il étudie les sciences sociales et il gère Exile Key Films, une société de production basée à Kakuma.

Il faut plus de sensibilisation.  Aujourd’hui, la pandémie semble être une légende, une rumeur, pour les gens d’ici.

Nous avons vraiment besoin de tests. Si ça se trouve, le virus se propage déjà dans le camp. Certaines personnes ont été présumées positives et sont hospitalisées, mais qu’en est-il de l’endroit où elles vivaient, de leurs amis, de leur famille ? Il faut une campagne de tests générale. Si elle est organisée rapidement, il sera plus facile de limiter la propagation du virus et de minimiser les coûts.

Ici, nous en sommes encore au début de l’épidémie, mais nous ne pourrons pas la contrôler s’ils attendent qu’il y ait des morts pour commencer à nous tester. Le monde entier est en deuil, et la situation est encore pire dans d’autres pays. Si nous sommes infectés, qui nous aidera ? Les gouvernements doivent s’occuper de leur propre population. 

Lorsque nous saurons qui est infecté et qui ne l’est pas, nous pourrons commencer à établir une stratégie.

Les personnes réfugiées sont des gens comme les autres. Elles ont le droit de savoir ce qu’il se passe dans le reste du monde. Elles ont le droit d’être protégées des maladies.

Sixtine, Belgique

Sixtine est une militante d’Amnesty International Belgique

Pendant le confinement, l’individualisme rampant et les inégalités sociales de la région de Belgique où je vis deviennent apparents.

Chaque crise est un danger potentiel pour le respect des droits humains. Certains responsables autoritaires ont tout de suite profité du COVID-19 pour violer les droits humains. Il faut absolument que nous continuions nos activités de surveillance ; en plus des actions physiques, nous pouvons davantage sensibiliser et mobiliser les personnes sur les plateformes numériques et les réseaux sociaux.  

Cette expérience m’a fait beaucoup réfléchir aux moyens d’améliorer le mouvement d’Amnesty International sur Internet. Nous utilisons déjà beaucoup d’outils de réunion en ligne, ce qui nous a permis de parler d’inclusion sur Internet et des manières de soutenir Amnesty International pendant notre adaptation au monde numérique. 

Il est néanmoins réconfortant de garder à l’esprit que tout cela n’est que temporaire. Nous avons toujours le droit de faire des activités qui nous plaisent. Et je suis certaine qu’Amnesty International est parfaitement à même de faire face aux défis posés par le COVID-19 en matière de droits humains.  

J’embrasse chaleureusement toute la famille Amnesty, je nous souhaite beaucoup de courage et je vous envoie mes meilleures pensées. Il faut garder en tête que nous avons le droit de ralentir, si c’est pour gagner en puissance plus tard.

Je pense que nous allons sortir de tout ça avec un regard renouvelé sur la vie, les personnes que nous aimons et notre liberté.

Jane, Royaume-Uni

Boniswa, Afrique du Sud

Boniswa est responsable du groupe d’Amnesty International situé dans le Vaal

La pandémie de COVID-19 a eu de graves conséquences pour ma communauté (le township de Vaal, dans la Zone 7 de Sebokeng près de Johannesburg) et pour moi-même, et les vies des habitants en seront affectées longtemps après la fin du confinement national. 

Le système éducatif sud-africain doit déjà faire face à de nombreuses difficultés, et je crains que la fermeture des écoles n’envenime la situation. Dans les townships, les écoles publiques manquent de moyens et d’infrastructures. De nombreux parents sont eux-mêmes illettrés dans ces quartiers, et ils sont donc incapables d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs.

Nous vivons dans une société caractérisée par des inégalités dramatiques, et la crise du COVID-19 a encore creusé les différences. La plupart des membres de ma communauté sont des ouvriers vacataires, travaillent à mi-temps, sont indépendants ou au chômage, et gagnent à peine de quoi vivre. Avec le confinement, nous sommes pieds et poings liés.

Mon père est ouvrier dans le bâtiment, il a une famille de sept personnes à charge en gagnant moins de 3 000 rands (153 euros) par mois. Aujourd’hui, il ne peut pas travailler et cela affecte notre capacité à nous nourrir, à nous laver et à survivre. 

Rien qu’hier, il y a eu un enterrement dans notre rue. J’étais surprise, parce que je ne savais pas que quelqu’un était décédé, mais ce qui m’a le plus attristée a été la cérémonie elle-même. Pour plus de contexte, dans la culture africaine, les enterrements durent une semaine au cours de laquelle nous faisons le deuil et célébrons la vie. Celui-là était minuscule et il s’est terminé en deux heures.

Duncan, Mexique

Ma plus grande préoccupation, c’est de savoir si les services de santé publique mexicains sont suffisamment équipés pour gérer la pandémie. Je suis inquiet pour les millions de personnes de l’économie informelle, soit plus de la moitié de la main d’œuvre du pays, et pour les conséquences que la pandémie aura sur elles. Beaucoup de ces personnes vivent au jour le jour, elles ne peuvent tout simplement pas se permettre de rester chez elles sans travailler.

Évidemment, nous aurions tous préféré être avec notre famille dans une période comme celle-ci, mais les réseaux sociaux facilitent les contacts. Cela fait deux semaines maintenant que j’applique la distanciation sociale, mais je reste en bonne compagnie : j’ai la personne qui partage ma vie, ainsi que mon chat et ma tortue. 

Pour la suite, je garde espoir. J’ai vu la générosité et la solidarité du peuple mexicain pendant les périodes difficiles, notamment lorsqu’un séisme dévastateur nous a frappés en 2017. Je sais que nous surmonterons cette épreuve et que nous continuerons à nous soutenir mutuellement pour faire face aux difficultés qui s’annoncent.

Bo, Suède

À 90 ans, Bo est l’un des membres actifs les plus âgés d’Amnesty International.   

Notre section locale a annulé sa réunion et plusieurs autres événements, mais nous restons en contact par email. Nous travaillons sur des affaires qui se passent au Myanmar, en Corée du Nord et en Arabie saoudite et nous sommes inquiets à l’idée de ce qu’il se passe actuellement dans tous ces pays, mais nous pouvons toujours mener nos campagnes sur Internet.  

Ici, la plupart de nos membres ont 70 ans ou plus, donc nous évitons le virus en nous confinant. Nous continuons à envoyer des lettres et des cartes postales aux adresses habituelles de nos pays cibles. Nous communiquons régulièrement avec d’autres membres d’Amnesty International à travers le monde. 

Nous profitons des températures printanières et nous suivons beaucoup les nouvelles !

Raymond, Nigeria

Je m’appelle Raymond, et je viens du village d’Otodo Gbame, dans l’État de Lagos. Cette période de pandémie est très difficile pour nous. En 2017, nous avons été expulsés d’Otodo Gbame par les autorités, et depuis nous n’avons pas eu de logement stable. En ce moment, j’habite avec ma femme, mes enfants et ma mère dans un quartier de Lagos qui s’appelle Oreta. C’est un quartier informel, et le bâtiment dans lequel nous vivons n’est pas achevé. 

Depuis l’arrivée du coronavirus, nous devons rester chez nous, ce qui est très difficile dans notre cas. Comment peut-on faire sans sortir ? Nous n’avons rien ; toutes nos possessions ont été détruites lorsque nous avons été expulsés d’Otodo Gbame. J’ai peur pour la suite. Comme nous ne sortons pas, nous n’avons aucune idée de ce qu’il se passe dehors. Nous pourrions mourir de faim. C’est une possibilité qui nous terrifie. Nous craignons également que des malfrats viennent chez nous, nous attaquent et nous volent, et que si nous appelions la police, elle nous répondrait qu’elle ne peut pas se déplacer à cause du virus. 

Voici ma demande au gouvernement : regardez-nous, s’il vous plaît. Venez chez nous, et regardez. Nous avons entendu dire que les autorités donnaient des traitements aux gens : des appareils de réanimation, du gel hydroalcoolique, des choses comme ça… Nous n’avons jamais rien reçu. Nous souffrons toujours, ici ; le gouvernement ne connaît pas nos conditions de vie. Nous voulons que des autorités viennent voir ce dont nous avons besoin, comme de l’eau et des routes dignes de ce nom. 

Nous aussi, nous avons le droit d’être protégés du COVID-19.

Quand nous, les pollueurs, les prédateurs, sommes confinés, la nature peut respirer.

Ruth

Ruth, Chili  

Ruth est une militante d’Amnesty International qui vit au Chili

Quand j’étais enfant, ma mère m’a demandé le métier que voulais faire quand je serais plus grande. Je lui ai répondu que je voulais être hôtesse de l’air, comme elle, mais elle m’a regardée et elle a dit : « non, tu travailleras dans le social ». Je ne l’ai pas crue. Et pourtant, je ne suis pas devenue hôtesse de l’air, et jusqu’à aujourd’hui j’ai toujours été soucieuse de la justice, des inégalités et des droits humains. 

À Santiago, nous sommes en confinement total, donc nous avons beaucoup de temps pour réfléchir. Je pense aux gens qui tireront parti de cette pandémie pour gagner de l’argent, et je pense aux travailleuses et aux travailleurs de mon pays qui sont toujours punis par les catastrophes. Je pense au manque de justice sociale au Chili, et à l’égoïsme et à l’individualisme des gens. Je pense à la nécessité de repenser nos systèmes de santé, qui est mise en lumière par cette pandémie. Des personnes meurent parce que nous n’avons pas assez de respirateurs artificiels. Nous avons besoin de davantage d’équipements et de médecins spécialisés.  

Mais je pense aussi au temps de pause que nous accordons actuellement à nos terres. Quand nous, les pollueurs, les prédateurs, sommes confinés, la nature peut respirer. Enfin, je pense au temps que nous prenons nous-mêmes pour repenser nos attitudes et notre manière d’être, pour soigner notre âme.

Zilungile, Afrique du Sud

Zilunge est responsable du groupe d’Amnesty International situé à Fort Hare University

En quelques semaines, ce coronavirus a infecté plus de 1 000 personnes en Afrique du Sud.  Notre gouvernement a davantage concentré son action sur les villes ; mais qu’en est-il des régions rurales ? 

Le confinement du pays durera 21 jours. Certaines personnes sont financièrement prêtes à y faire face, mais d’autres ne le sont pas. Nos mères africaines qui vendaient de la nourriture dans les rues ont perdu leurs sources de revenus. Pendant ce temps, les employés de la fonction publique continuent de recevoir leur salaire.

Le 30 mars, notre président a officiellement annoncé que nous entrions dans une nouvelle phase du confinement qui comprend une campagne de tests pour le peuple sud-africain. C’est une grande avancée pour notre gouvernement, et nous espérons que ces tests seront gratuits pour tout le monde. La période est très difficile, mais le gouvernement fait de son mieux.  

Cependant, sa stratégie est source d’inégalités. Et si les tests étaient gratuits pour tout le monde ? Et si la nourriture était livrée dans tous les foyers, en particulier les plus désavantagés ? Est-ce que cela ne réduirait pas le nombre de gens qui se déplacent dans la rue ? Est-ce que cela ne réduirait pas le nombre de gens infectés chaque jour ? 

Nous ne devons pas être exclus, et nos droits ne doivent pas être tenus pour acquis.

Manu, Philippines

Manu Gaspar est le dirigeant du mouvement de jeunes d’Amnesty International Philippines.

Je m’appelle Manu et je viens de Valenzuela, une petite ville des Philippines. Nous en sommes à notre deuxième semaine de confinement. Je me sens à la fois anxieux et résigné ; je m’occupe en parlant à mes amis et à ma moitié par messages ou par Zoom. En temps normal, des enfants joueraient au bas de nos fenêtres. Il n’y en a aucun. 

Je crains que le COVID-19 n’ait mis en lumière la faiblesse de notre système de santé philippin, et que les personnes les plus vulnérables n’en payent le prix. Des patients qui doivent se déplacer pour des dialyses ou des séances de chimiothérapie doivent rester chez eux. Des personnes qui vivent avec le VIH ne peuvent pas se rendre dans les centres de santé pour avoir leur traitement. Les gens ont peur de manquer le travail, parce que cela coûterait plus cher qu’une consultation chez le docteur ou une hospitalisation. 

Je crois que le COVID-19 reflète les difficultés que nous rencontrons dans notre combat pour les droits humains : il y a beaucoup d’incertitudes. Il peut nous submerger. Il peut engendrer de l’inquiétude, un sentiment d’impuissance. Pour rester calme, mon conseil est d’accepter tout cela comme une partie intégrante de notre expérience collective. Nous ramasserons les morceaux, nous recommencerons à nous organiser, à descendre dans la rue et à rappeler que les soins de santé primaires sont un droit humain universel.

Après tout ce qu’il a traversé, la résilience du peuple népalais est sans pareil.

Tsering

Tsering, Népal

Tsering travaille à Amnesty International Népal

Même avant le début de la pandémie, le système de santé népalais avait du mal à fournir des services fondamentaux, en particulier dans les régions rurales. Par conséquent, bien qu’il y ait moins de 10 cas de COVID-19 ici, nous sommes déjà en manque de kits de test, de respirateurs artificiels et d’équipements de protection individuelle pour le personnel médical. Je crois que tout le monde s’inquiète de la résistance de notre système de santé quand les chiffres commenceront à monter.  

Puisque je vis avec ma famille, le confinement est relativement facile à gérer. Beaucoup de choses me manquent tout de même, comme mon copain avec qui je ne vis pas, ou tout simplement la liberté de pouvoir sortir quand je le veux. Je dirais aux personnes qui se sentent stressées de s’éloigner un peu des réseaux sociaux et de trouver une activité physique à faire. Pour moi, faire le ménage a toujours bien fonctionné ; cela me donne un sentiment de contrôle et d’ordre.  

Dans les jours qui ont suivi le séisme de 2015, quand l’État luttait pour coordonner les missions de secours et d’aide, ce sont les Népalaises et les Népalais ordinaires qui ont pris les devants pour assister les personnes qui en avaient besoin. À Katmandou, des bénévoles ont levé des fonds pour livrer des biens de première nécessité aux camps de réfugiés Rohingyas. À Birgunj, des habitants ont fourni des repas tous les jours à des ouvriers indiens bloqués ici, et plusieurs quartiers de la ville s’organisent pour nourrir les animaux errants.   

Au cours des 20 dernières années, les Népalais et les Népalaises ont vécu un enchaînement de mauvaises périodes. Notre nation a survécu à 10 ans de guerre civile, à un séisme dévastateur et à des conflits politiques constants. Cela nous a donné une résilience sans pareil.

Les autorités doivent aider toutes les personnes pauvres et vulnérables en ces temps difficiles.

Angèle

Angèle, Togo 

Je m’appelle Angèle. En temps normal, je vends de la nourriture et du matériel de papeterie dans une école, mais toutes les écoles ont été fermées à cause du COVID-19. Le premier jour du confinement, j’ai ramené tout ce que j’avais cuisiné et prévu de vendre ce jour-là chez moi. Je n’ai rien pu vendre. 

C’est terrifiant de rester à la maison ; je suis veuve et j’ai quatre enfants, donc le confinement me promet des jours difficiles. En ce moment, nous survivons par la grâce de Dieu. 

Les nouvelles de la propagation du virus sont inquiétantes. On nous demande de nous laver régulièrement les mains à l’eau et au savon ou au gel hydroalcoolique, et nous nous débrouillons pour le faire car nous savons à quel point c’est important. Mais nous avons besoin d’aide pour manger chaque jour, pour acheter de la nourriture et de l’eau potable.  

Les autorités doivent aider toutes les personnes pauvres et vulnérables en ces temps difficiles ; quant aux hôpitaux et aux centres de confinement, les infrastructures qui existent déjà sont insuffisantes. Nous avons besoin de nouveaux hôpitaux et de traitements adaptés. J’implore également le gouvernement de nous fournir des équipements que nous pourrons utiliser pour prévenir de telles pandémies à l’avenir.

Ana, Espagne

Au début, tout le monde cherchait des excuses pour sortir un peu : faire les courses, promener le chien, rendre visite à une tante qui avait besoin d’aide… Mais au fur et à mesure que les jours passent, nous prenons l’habitude de rester chez nous. Maintenant, nous avons un peu peur des rues vides, et même les sirènes des ambulances semblent différentes, plus menaçantes. Quand je regarde par la fenêtre, je vois les vieux bâtiments majestueux de Madrid qui me fixent en silence.  

Nous sommes abasourdis et terrifiés par le nombre d’infections et de décès. Malgré tout, si nous cherchons bien, nous pouvons trouver des moments d’optimisme au milieu de cette crise. Par exemple, tous les après-midi, nous sortons sur nos balcons pour applaudir le personnel de santé qui risque sa vie. J’espère que les gens verront l’importance de notre système de santé publique et qu’ils le soutiendront à la fin de la crise.  

En attendant, la vie continue. Je suis attachée de presse pour Amnesty International Espagne. Ce n’est pas facile, mais nous devons continuer de travailler même si certains de nos proches souffrent. Nous sommes éloignés, mais solidaires. Nous sommes actifs, mais nous prenons soin de nous. Et quand je vois que des responsables politiques et des journalistes prennent sérieusement en considération les prises de parole d’Amnesty International au sujet du COVID-19 et des droits humains, je prends conscience de l’importance de continuer notre travail. Si nous ne plaçons pas les droits humains au cœur de chaque mesure que nous prenons, notre société solidaire ne survivra pas.

Robert, Afrique du Sud

Je m’appelle Robert, et je travaille pour Amnesty International ici, à Johannesburg.  

Il y a tellement de personnes qui ont besoin d’être sur place pour travailler, dans le secteur domestique ou du bâtiment, par exemple. Elles n’ont pas le choix : elles sont obligées de continuer à prendre les transports en commun, de continuer à sortir. Cela me préoccupe beaucoup. En Afrique du Sud, les chiffres continuent de grimper, et tous les matins nous nous réveillons en apprenant que le nombre de nouvelles infections a encore augmenté.

Johannesburg est devenue une ville fantôme. On peut littéralement compter le nombre de voitures et de piétons dans la rue.  

Je suis confiné avec ma femme, et nous travaillons tous deux de la maison. Nous passons beaucoup de temps à jouer avec notre fille, qui a trois ans et qui ne va plus à l’école. Nous devons l’occuper avec des devoirs et des activités, mais nous sommes heureux d’avoir le temps de jouer avec elle. Nous vérifions tout le temps la télévision pour savoir s’il y a eu une annonce du gouvernement. Les gens sont terrifiés parce qu’ils ne savent pas ce que leur réserve l’avenir. 

La vie est différente, maintenant. Nos traditions et nos routines d’avant me manquent : aller se promener au parc le dimanche, manger au restaurant en famille le vendredi… Et mes journées de travail me manquent, quand je pouvais m’asseoir avec des collègues pour réfléchir ensemble à des questions de droits humains. Nous avons perdu ce contact humain ; je crois que nous le tenions souvent pour acquis, mais maintenant que j’en suis privé, je ressens vraiment un manque.  

Nous l’apprécierons d’autant plus à l’avenir.