Les autorités iraniennes bafouent systématiquement l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements en infligeant des pratiques cruelles aux familles de milliers de prisonniers, victimes de disparitions forcées ou d’exécutions extrajudiciaires dans les prisons iraniennes en 1988, a déclaré Amnesty International à l’occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture.
Trente ans après avoir fait disparaître et tué plusieurs milliers de dissidents politiques en secret, et jeté leurs cadavres dans des charniers, les autorités iraniennes continuent de faire vivre un calvaire aux familles en refusant de révéler quand, comment et pourquoi leurs proches ont été tués, et où ils sont enterrés. Les familles qui cherchent à connaître la vérité et à obtenir justice sont en butte à des menaces, des actes de harcèlement et d’intimidation, et des agressions.
« L’entêtement des autorités iraniennes qui refusent de reconnaître la mort ou de révéler ce qu’il est advenu des victimes de disparitions forcées et d’homicides fait peser un lourd fardeau sur les familles, toujours hantées par un sentiment de détresse, d’incertitude et d’injustice, a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Il ne fait aucun doute que la souffrance intenable infligée aux familles des victimes depuis plus de 30 ans viole l’interdiction absolue de la torture et de tout autre traitement cruel et inhumain garantie par le droit international. »
La torture et les actes inhumains constituent des crimes contre l’humanité lorsqu’ils s’inscrivent dans le cadre d’une pratique systématique ou généralisée.
Les familles des victimes interrogées par Amnesty International expliquent que leur vie est toujours dominée par l’angoisse et l’incertitude. Beaucoup ajoutent que, sans corps pour faire leur deuil, elles restent dans le flou et ne parviennent pas à réaliser que leurs proches sont réellement décédés.
« Après toutes ces années, de nombreuses familles sont toujours plongées dans la souffrance et l’incrédulité… Parfois, je suis saisie par le doute et me demande si mon époux pourrait être en vie… Je veux dire, tant que vous n’avez pas vu le corps, vous ne pouvez pas réellement croire qu’ils sont partis », a déclaré Shayesteh Vatandoost, dont l’époux, Farzan Babry, a été soumis à une disparition forcée et à une exécution extrajudiciaire en 1988.
Ezzat Habibnejad a raconté les conséquences douloureuses de la disparition forcée et de l’homicide de son époux, Mehdi Gharaiee, sur sa belle-mère, qui n’arrive toujours pas à accepter sa mort :
« Depuis 30 ans, ma belle-mère attend que Mehdi revienne. Dès que le téléphone sonne ou que la sonnette retentit, elle se précipite, disant que c’est peut-être Mehdi. Elle n’arrive pas à l’accepter [sa mort] ».
Dans plusieurs cas, les familles révèlent que les disparitions forcées et les homicides secrets ont causé – ou contribué à causer – des problèmes de santé physique et mentale chez les parents des victimes, notamment des crises cardiaques, des dépressions, des hallucinations et des tendances suicidaires.
La souffrance des familles est exacerbée par la campagne que mènent les autorités iraniennes pour nier les massacres et effacer la mémoire collective des victimes de l’histoire officielle. Entre autres pratiques cruelles, elles n’ont bien souvent pas fourni aux familles des certificats de décès ou ont délivré des certificats qui mentionnent que le défunt est mort de causes « naturelles », de maladie ou simplement de « mort ». En outre, elles nient l’existence de charniers contenant les dépouilles des prisonniers tués, alors qu’elles détruisent délibérément des sites présumés ou avérés de fosses communes, en les rasant au bulldozer avant de construire dessus des immeubles, des routes ou de nouveaux sites de sépulture. Par ailleurs, elles interdisent les rites de deuil, les commémorations et les débats publics sur les massacres des prisonniers et cherchent à les minimiser en présentant le bilan comme « faible » ou « insignifiant ».
Dans son rapport publié en décembre 2018 sous le titre Blood-soaked secrets, Amnesty International a conclu qu’en raison du caractère généralisé et systématique des crimes passés et présents, notamment la dissimulation du sort réservé aux victimes des exécutions extrajudiciaires secrètes de 1988, les autorités iraniennes sont responsables de crimes contre l’humanité, notamment de meurtre, de disparition forcée, de persécution, de torture et d’autres actes inhumains. Ce rapport appelait l’ONU à mener une enquête indépendante sur ces événements afin d’établir la vérité, de permettre de poursuivre en justice les auteurs présumés et d’apporter justice et réparations aux victimes, y compris aux familles des milliers de prisonniers assassinés.
Le fait que personne n’ait comparu en justice pour le massacre de milliers de prisonniers en 1988 ne fait qu’aggraver la douleur des familles.
Philip Luther
« Le fait que personne n’ait comparu en justice pour le massacre de milliers de prisonniers en 1988 ne fait qu’aggraver la douleur des familles. Leur détresse perdurera tant que toute la lumière ne sera pas faite sur les massacres des prisons de 1988 dans le cadre d’une procédure qui permette à des experts indépendants d’exhumer les fosses communes, de réaliser des autopsies et des analyses ADN, et de faciliter la restitution des dépouilles aux familles », a déclaré Philip Luther.
Complément d’information
Fin juillet 1988, des milliers de dissidents politiques emprisonnés ont été victimes de disparitions forcées. À partir de fin octobre 1988, de nombreuses familles ont été convoquées brièvement et informées de la mort de leurs proches – parfois on leur remettait simplement leurs effets personnels – sans aucun détail sur comment ni pourquoi ils avaient été exécutés, ni où leurs corps étaient enterrés. Certaines familles n’ont même jamais été informées de la mort de leurs proches.
Amnesty International estime que les autorités iraniennes bafouent systématiquement l’interdiction absolue de la torture et des autres mauvais traitements sur ce sujet, une position entérinée par les avis d’experts des organes de l’ONU spécialisés dans les droits humains quant à l’impact des disparitions forcées sur les familles des victimes.
Le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ou involontaires reconnaît ainsi que l’angoisse et la souffrance qu’endure la famille d’un proche du fait de sa disparition et de l’incertitude prolongée quant au sort qui lui a été réservé « atteignent le seuil de la torture ».
Quant au Comité des droits de l’homme de l’ONU, il reconnaît que la souffrance causée à une famille du fait de la disparition de l’un de ses membres, le secret entourant la date de l’exécution et le lieu de l’inhumation, et le refus de remettre la dépouille pour qu’elle soit enterrée, ont pour effet de punir les familles et de générer une détresse psychologique, ce qui s’apparente donc à une violation de l’interdiction de la torture et des autres traitements cruels, inhumains et dégradants.