Un an après les manifestations, la répression menée par le président Ortega contre les médias se poursuit

Les troubles survenus au Nicaragua il y a un peu plus d’un an se sont atténués, contrairement à la répression menée par le gouvernement du président Daniel Ortega.

Lorsqu’une réforme controversée du système de protection sociale a été suivie d’actions de protestation de grande ampleur à compter du 19 avril 2018, la réaction du gouvernement a fait au moins 325 morts et plus de 2 000 blessés, selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme.

Le Nicaragua est depuis lors devenu un exemple tragique de la rapidité avec laquelle la liberté de la presse peut être compromise – une fois que les journalistes sont menacés, poursuivis en justice et agressés pour avoir fait leur travail. Mon cas en est un parfait exemple.

Le 19 juillet, alors que je couvrais l’anniversaire de la révolution sandiniste à Managua, j’ai été agressé par un groupe pro-gouvernement. Ce jour-là, je m’étais rendu sur la Plaza de la Fe avec plusieurs journalistes étrangers, parmi lesquels Jon Lee Anderson, qui a décrit ce qui m’est arrivé dans sa rubrique du New Yorker. Un membre du Front sandiniste de libération nationale m’a reconnu et a assemblé un groupe de sympathisants du gouvernement qui m’ont attrapé par la chemise, m’ont jeté à terre et roué de coups.

Ce n’est pas la seule fois que je me suis fait harceler. Sur les réseaux sociaux, des gens ont commencé à m’accuser d’utiliser mon émission sur Channel 12 pour inciter la population à manifester. Ils se sont par ailleurs focalisés sur le fait que je suis gay et m’ont accusé d’avoir agressé de prétendus partenaires sexuels ; des personnes que je ne connaissais pas sont apparues sur les réseaux sociaux avec des blessures qu’on m’accusait de leur avoir infligées.

Le Nicaragua est depuis lors devenu un exemple tragique de la rapidité avec laquelle la liberté de la presse peut être compromise – une fois que les journalistes sont menacés, poursuivis en justice et agressés pour avoir fait leur travail.

Plus tard, des paramilitaires m’ont suivi à moto et ont encerclé mon domicile. À un moment, je ne pouvais plus quitter la maison, même pas pour aller au supermarché. Un soir, alors que je buvais un verre avec un ami dans mon jardin, deux personnes ayant des sources au sein du gouvernement m’ont conseillé de quitter mon domicile cette nuit-là parce qu’il était possible que des fonctionnaires viennent me chercher. C’est ainsi que je me suis retrouvé en exil au Mexique.

Ma situation aurait pu être bien pire. Le 21 avril 2018, le reporter Ángel Gahona a été tué dans la ville de Bluefields, sur la côte caraïbe du Nicaragua. Cet après-midi là, Ángel Gahona et plusieurs autres journalistes couvraient les manifestations contre le président Ortega. Ángel Gahona, qui était le directeur de l’émission d’information locale El Meridiano, diffusait en direct sur Facebook lorsqu’il a été abattu.

Son homicide n’a toujours pas été élucidé. Le gouvernement Ortega a accusé deux jeunes gens qui se trouvaient à proximité de la scène du crime, mais la famille du journaliste a affirmé qu’il ne s’agissait pas des coupables, et a demandé que ce meurtre donne lieu à une enquête approfondie et que les véritables auteurs des faits soient traduits en justice.

Les manœuvres de harcèlement visant les journalistes s’efforçant de demander des comptes au gouvernement n’ont pas faibli depuis la mort d’Ángel Gahona.

En décembre, la police a fouillé les bureaux de Confidencial – où j’étais rédacteur – et la chaîne télévisée 100% Noticias. Ces policiers, qui n’avaient pas d’autorisation de perquisition, ont confisqué tout l’équipement et pris le contrôle de la rédaction. Cette situation perdure à ce jour. Le soir-même, ils ont arrêté Miguel Mora, le directeur de 100% Noticias, et Lucía Pineda, sa responsable de l’information, au motif qu’ils incitaient à la haine. Lucía Pineda est la seule femme journaliste actuellement incarcérée dans les Amériques. Carlos Fernando Chamorro, le directeur de Confidencial, a dû s’exiler au Costa Rica.

Cette situation met en évidence la nécessité de protéger les reporters contre la violence d’État. La communauté internationale doit exiger que notre travail, qui est essentiel à la démocratie et à l’état de droit, soit respecté.

La crise que connaît le journalisme au Nicaragua trouve un écho tout aussi inquiétant dans plusieurs pays d’Amérique latine.

Selon un rapport de l’organisation Article 19, entre 2012 et 2018, au moins 47 journalistes ont été tués au Mexique dans le cadre de leur travail. Dans presque tous les cas, ces crimes sont restés impunis.

Le 17 mars, le journaliste hondurien Gabriel Hernández a été abattu. Son homicide porte à plus de 30 le nombre de journalistes tués dans ce pays au cours des trois dernières années. Le Honduras occupe la 146e place sur 180 dans le classement mondial de la liberté de la presse pour 2019 établi par Reporters sans frontières.

Ces dernières années, des journalistes ont également été tués au Brésil et au Guatemala, tandis que d’autres ont été harcelés et soumis à des arrestations arbitraires en Bolivie, en Haïti, au Pérou et au Venezuela.

Cette situation met en évidence la nécessité de protéger les reporters contre la violence d’État. La communauté internationale doit exiger que notre travail, qui est essentiel à la démocratie et à l’état de droit, soit respecté.

Assassiner ou harceler des journalistes, ou encore les pousser à l’exil, ne suffira pas pour étouffer la vérité. Le gouvernement nicaraguayen doit enquêter sur l’homicide d’Ángel Gahona, rendre les locaux et équipements confisqués à des organes de presse, libérer Miguel Mora et Lucía Pineda, et permettre aux journalistes exilés de rentrer chez eux.

Si le président Ortega refuse d’écouter son peuple, les gouvernements démocratiques et leurs citoyens peuvent aider en exerçant des pressions internationales afin de protéger les journalistes. Être journaliste ne devrait pas être considéré comme un crime.

Carlos Salinas Maldonado est un journaliste nicaraguayen et l’ancien rédacteur de Confidencial.com.ni. Il vit à Mexico et écrit pour le quotidien espagnol El País.

Cet article a initialement été publié par Americas Quarterly