Il faut sauver Khizar

Khizar Hayat ne sait pas à quel point il a frôlé la mort le week-end dernier. Non que personne ne le lui ait dit. Mais il est tout simplement incapable de comprendre ce qu’est une exécution.

En fait, bien qu’il soit dans le quartier des condamnés à mort depuis 2003, Khizar Hayat ne sait pas pourquoi il est en prison. Année après année, son traitement antipsychotique a perdu en efficacité. L’isolement cellulaire n’a fait qu’aggraver son état.

Le vendredi 11 janvier, les autorités pakistanaises ont émis un ordre d’exécution à l’encontre de Khizar Hayat. Il devait être exécuté le 15 janvier, avant l’aube. Sa mère, Iqbal Bano, était inconsolable. Ce n’était malheureusement pas la première fois qu’elle traversait une telle épreuve. Son fils a fait l’objet de deux ordres d’exécution en 2015, d’un autre en 2017, et était sur le point d’avoir le sinistre privilège d’être le premier condamné exécuté au Pakistan en 2019.

Chacun de ces ordres d’exécution allait directement à l’encontre des obligations internationales du Pakistan en matière de droits humains, de sa législation nationale et de l’avis d’experts médicaux.

Alors, pourquoi de tels ordres continuent-ils à être émis?

En avril 2016, alors qu’il n’était pas encore président de la Cour suprême, le juge Saqib Nisar a déclaré, devant une salle remplie de psychiatres, qu’il fallait renforcer la législation pour protéger les malades mentaux.

Cependant, la même année, la Cour suprême a rejeté le recours formé par Imdad Ali, un autre condamné à mort atteint d’un grave handicap mental, en affirmant que la schizophrénie n’était « pas une maladie mentale ». Les critiques formulées par le grand public, qui a eu de la maladie mentale une vision plus juste, ont sauvé la vie d’Imdad Ali à la dernière minute.

En mai 2017, le juge Umar Ata Bandial a également déclaré, lors d’une conférence, qu’il serait « injuste de punir les malades mentaux ».

Ces signes encourageants ont laissé à penser qu’il était peut-être enfin reconnu que les accusés atteints de maladie mentale, compte tenu de l’absence d’intention criminelle, ne méritaient pas la même peine que les personnes mentalement aptes.

En avril 2018, le président de la Cour suprême, Saqib Nisar, alors qu’il entendait les affaires Kanizan Bibi et Imdad Ali, a fait la une des journaux dans tout le Pakistan en excluant catégoriquement l’exécution de prisonniers atteints de handicap mental. « Pendre les malades mentaux irait à l’encontre de tout bon sens ou de toute raison », a-t-il déclaré à juste titre en audience publique. Il a immédiatement ordonné que Kanizan Bibi soit transférée dans un établissement psychiatrique sûr pour y suivre le traitement dont elle avait besoin. De nouveaux examens médicaux ont été ordonnés pour ces deux prisonniers, et l’affaire a été qualifiée de « précédent » pour les droits des handicapés mentaux.

Alors que les deux affaires restent pendantes devant la Cour suprême, la Haute Cour de Lahore, en décembre 2018, a rejeté une requête demandant le transfert de Khizar Hayat dans un établissement de santé mentale. La Cour a statué que « les troubles émotionnels de cette nature n’étaient pas considérés comme des éléments suffisants pour empêcher une exécution ». Cette décision a non seulement ouvert la voie à l’exécution de Khizar Hayat, mais a également exposé des prisonniers manifestement atteints de maladie mentale, comme Kanizan Bibi, Imdad Ali et Saleem, au risque de subir le même sort.

Heureusement, la Commission nationale des droits humains a réagi rapidement. Elle a émis une ordonnance interdisant aux autorités compétentes de fixer une date pour la pendaison de Khizar Hayat tant que la Cour suprême ne se serait pas prononcée sur son cas. Les autorités pénitentiaires ont non seulement reçu une copie de cette ordonnance, mais étaient également présentes à l’audience. Elles ont participé aux déclarations. Elles ne peuvent donc pas affirmer qu’elles n’étaient pas au courant.

Les autorités du Pakistan devraient se saisir de l’occasion que représente cette affaire pour se livrer à un petit exercice d’introspection. Alors que le cas de prisonniers atteints de maladie mentale n’avait pas encore été tranché, comment les juridictions inférieures ont-elles pu ignorer aussi ouvertement la Cour suprême ? Comment les ordres de la plus haute instance des autorités pakistanaises en matière de droits humains ont-ils pu être bafoués de manière aussi flagrante par les autorités pénitentiaires?

Un tel manque de communication peut avoir des conséquences mortelles. Si la campagne lancée par Justice Project Pakistan n’avait pas attiré l’attention du président de la Cour suprême, si des voix influentes n’avaient pas été suffisamment émues pour user de leurs réseaux et de leurs prérogatives en faveur de Khizar Hayat, si le flot d’appels envoyés au président pour le convaincre d’accepter sa demande de grâce s’était tari, Khizar Hayat serait mort aujourd’hui.

Tout condamné présentant des antécédents de maladie mentale devrait voir sa peine commuée sans délai. C’est là la moindre des obligations du Pakistan en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

La demande de grâce de Khizar Hayat est entre les mains du président Arif Alvi. Elle contient des informations sur sa maladie mentale, les textes de loi qui confirment que son exécution serait illégale, ainsi qu’un rappel des engagements internationaux du Pakistan. C’est un document utile et salutaire.

Le droit de solliciter la grâce appartient au peuple. La grâce n’est pas d’un simple acte de clémence privé, mais une garantie importante contre toute erreur qui aurait pu être commise au moment de la détermination de la peine. Et dans le cas de Khizar Hayat, ce ne serait que justice.

Cet article a initialement été publié sur Dawn.com.