Les droits humains sont en jeu au Bangladesh

À une époque où les nations les plus puissantes du monde ferment leurs portes aux réfugié·e·s, le Bangladesh a admis sur son territoire plus de 700 000 Rohingyas, qui fuient les violentes attaques de l’armée au Myanmar depuis août 2017. Sheikh Hasina, la Première ministre, a fait preuve de beaucoup de compassion et de courage en accueillant tant de personnes, malgré les difficultés socioéconomiques que rencontre lui-même le Bangladesh.

Au mois de novembre 2018, la communauté internationale avait couvert 72 % de l’appel lancé par les Nations unies en 2018 dans le but de recueillir 950,8 millions de dollars requis afin de soutenir les réfugié·e·s rohingyas. La possibilité que les fonds destinés aux réfugié·e·s au Bangladesh soient bientôt réduits à néant est cependant à craindre, à l’heure où les regards se tournent vers les crises en cours dans des pays tels que le Yémen.

Il est crucial que la communauté internationale aborde la situation des Rohingyas d’une manière plus pragmatique, en considérant qu’il ne s’agit pas seulement d’un soutien financier à court terme et en réfléchissant à une diplomatie économique qui puisse renforcer les moyens d’agir des Rohingyas.

Près de 60 % des réfugié·e·s rohingyas sont des mineur·e·s, dont le futur serait beaucoup plus prometteur si l’on intervenait tôt dans le cadre de leur éducation. Le potentiel de ces enfants serait gâché si on ne leur donne pas accès à des soins de santé et à une instruction.

Les responsabilités de la communauté internationale envers les Rohingyas seront liées aux fonds et à l’assistance qu’ils fourniront au Bangladesh en termes de développement dans les domaines de la gouvernance et de la diminution de la pauvreté. Il est donc encore plus crucial que des pays tels que l’Australie, le Canada, les États-Unis, le Japon, le Royaume-Uni et la Suisse, qui ont des objectifs de développement au Bangladesh, prennent en considération la question des Rohingyas et des droits humains, et évaluent plus largement la manière dont cela influe sur le développement du pays.

Il est également important de faire respecter l’obligation de rendre des comptes de l’autre côté de la frontière, au Myanmar, et de garantir que le Bangladesh continue à honorer ses obligations en veillant à ce que les réfugié·e·s ne fassent pas l’objet de retours forcés ou de déplacements qui ne feraient qu’accroître leurs souffrances et leurs difficultés.

Alors que les 11e élections législatives doivent bientôt avoir lieu au Bangladesh, il est temps que les partis politiques s’engagent à en finir avec les lois et les pratiques portant atteinte au droit international en matière de droits humains.

Légitimer la répression

La Loi sur la sécurité numérique très répressive adoptée en octobre ne constitue pas vraiment une amélioration pour les citoyens du Bangladesh, en particulier quand un grand nombre d’entre eux ont été arrêtés ces six dernières années en vertu du texte qui la précédait, la Loi sur les technologies de l’information et de la communication.

Les autorités bangladaises ont précédemment invoqué la section 57 de cette dernière afin d’ériger en infraction l’exercice de la liberté d’expression dans des cas considérés comme des « atteintes à la croyance religieuse » ou une « dégradation de l’ordre public ». Les personnes déclarées coupables étaient passibles de 14 ans d’emprisonnement.

Plusieurs ministres ont assuré que les articles les plus draconiens seraient abrogés une fois la nouvelle loi sur la sécurité numérique entrée en vigueur.

Malheureusement, la nouvelle loi a repris le contenu de la section 57 dans plusieurs articles et l’a étoffé, élargi la compétence des autorités de sorte qu’elles puissent condamner à la réclusion à perpétuité des personnes ne faisant qu’exercer leur liberté d’expression, et autorisé une surveillance en ligne très intrusive.

Shahidul Alam, un célèbre photographe bangladais, a été arrêté en août au titre de la section 57 de la Loi sur les technologies de l’information et de la communication, peu après avoir critiqué lors d’une interview télévisée la manière dont le gouvernement a réprimé une manifestation étudiante en faveur d’une sécurité routière accrue. S’il a été libéré sous caution au bout d’une centaine de jours, le parquet n’ayant pas confirmé l’accusation portée contre lui, il risque toujours une condamnation à 14 ans de prison s’il est déclaré coupable.

Le Bangladesh doit abandonner les poursuites engagées contre Shahidul Alam et toutes les autres personnes sanctionnées pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression et de réunion, un droit reconnu par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Bangladesh a ratifié.

Disparitions forcées présumées

Une année s’est écoulée depuis que Maroof Zaman, un ancien diplomate, a disparu alors qu’il était en route pour l’aéroport de Dacca, où il allait chercher sa fille cadette, le 4 décembre 2017. Sa voiture a été retrouvée près de l’aéroport. Le gouvernement refuse systématiquement de reconnaître les disparitions forcées attribuées à des organes de l’État, mais les organisations locales de défense des droits humains ont recensé au moins 71 cas présumés de disparitions forcées en 2018.

Nier l’existence de ces affaires ne fournit pas l’assurance que ce crime n’existe pas, surtout face au nombre alarmant de cas signalés par les familles.

La disparition forcée est l’une des violations des droits humains les plus cruelles qui soient. Des personnes sont emmenées par des individus agissant pour le compte de l’État, qui nie ensuite ces agissements, laissant dans leur sillage des familles dévastées et incapables de faire leur deuil.

Il est important que les autorités mettent fin à ces crimes et garantissent que les familles puissent tourner la page, en menant dans les meilleurs délais des enquêtes qui soient efficaces, indépendantes et impartiales.

De nombreuses familles ont déclaré que leurs proches avaient été arrêtés par des organes chargés du maintien de l’ordre public – en particulier la police et le Bataillon d’action rapide – quelques jours avant de perdre la vie, pris dans de prétendus « tirs croisés ».

Ain O Salish Kendra, une organisation locale de défense des droits humains, a indiqué qu’un total de 437 exécutions extrajudiciaires auraient été commises au Bangladesh par les forces de sécurité au cours des dix premiers mois de 2018. Au moins 276 de ces homicides ont eu lieu depuis mai, après que la Première ministre a annoncé une offensive contre les stupéfiants.

Un grand nombre des victimes de ces exécutions extrajudiciaires présumées assuraient l’essentiel des revenus de leurs familles, devenues vulnérables en leur absence.

La Ligue Awami, le parti au pouvoir, n’a rien fait pour mettre un coup d’arrêt aux exécutions extrajudiciaires ayant commencé après que le Parti nationaliste du Bangladesh a créé, en 2004, le Bataillon d’action rapide, dans le but de combattre la grande criminalité. La Première ministre avait promis de dissoudre ce bataillon lors de ses campagnes électorales, avant d’arriver au pouvoir en 2008. Il est plus nécessaire que jamais de faire respecter les valeurs morales.

Droits des peuples autochtones

Au moins 22 membres des partis politiques régionaux des Chittagong Hill Tracts, où vivent plus de 25 peuples autochtones, ont été tués dans le cadre de prétendues luttes fratricides.

Deux membres de la Fédération des femmes des Hills, Doyashona Chakma et Monty Chakma, ont accusé les organes chargés du maintien de l’ordre de complicité lorsqu’elles ont été enlevées par un groupe d’hommes, en mars. Elles ont été relâchées, à la condition qu’elles abandonnent la politique.

En mars 2018, Amnesty International a demandé l’ouverture d’une enquête indépendante sur l’agression sexuelle dont deux sœurs appartenant à l’ethnie marma auraient été victimes le 22 janvier 2018. Deux jeunes filles originaires du Tripura auraient été violées le 22 août dans la région par des agents de l’État.

Les autorités bangladaises doivent mener une enquête indépendante et impartiale sur les crimes commis contre les membres de cette communauté autochtone.

Défenseur·e·s des droits humains

Le 6 novembre 2018, la commission électorale du Bangladesh a brusquement annulé l’enregistrement d’une organisation reconnue de défense des droits humains qui devait assurer un rôle d’observateur lors des 11e élections législatives.

Si aucune décision n’a encore été rendue quant au statut d’Odhikar, le bureau des organisations non gouvernementales (ONG) a gelé les comptes en banque de ce groupe local de défense des droits humains en avril 2014.

Des groupes de défense des droits au Bangladesh, parmi lesquels Transparency International, s’inquiètent des mesures répressives prises par l’État contre eux en vertu de la Loi 2016 relative à la réglementation des dons provenant de l’étranger (activités bénévoles). Cette loi habilite le bureau des ONG à annuler l’enregistrement d’organisations et à confisquer leurs dons provenant de l’étranger si elles ont fait des déclarations que le gouvernement considère comme « indécentes » à propos de la Constitution ou des institutions constitutionnelles bangladaises.

Suspendre les activités d’organisations de défense des droits humains n’est pas digne d’un pays devenu membre élu du Conseil des droits de l’homme des Nations unies en 2018.

Le gouvernement du Bangladesh doit permettre aux organisations de défense des droits humains de fonctionner de manière indépendante, sans être victimes d’actes d’intimidation, et respecter la liberté d’expression et de réunion des personnes, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qu’il a ratifié.