Madagascar. Des milliers de personnes sont maintenues en détention préventive injustifiée, excessive et prolongée dans des conditions qui mettent leur vie en danger

  • 52 personnes sont mortes en détention préventive à Madagascar en 2017
  • De nombreuses personnes, dont des femmes et des enfants, sont maintenues en détention préventive prolongée pour des infractions mineures telles que le vol
  • Les conditions de détention, déplorables, s’apparentent à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Des personnes n’ayant été déclarées coupables d’aucun crime ou délit meurent dans les établissements pénitentiaires de Madagascar à cause de conditions carcérales désastreuses, écrit Amnesty International dans un rapport rendu public mardi 23 octobre pour mettre en évidence le recours excessif à la détention préventive par les autorités du pays et ses répercussions dévastatrices sur les membres les plus pauvres de la société. L’organisation révèle que, sur les 129 détenus décédés en 2017 dans les prisons malgaches, 52 se trouvaient en détention préventive.

Intitulé Punis parce qu’ils sont pauvres. Le recours injustifié, excessif et prolongé à la détention préventive à Madagascar, le rapport se fonde sur des visites effectuées dans neuf établissements pénitentiaires du pays, où plus de 11 000 personnes ont été placées arbitrairement en détention préventive, souvent pour des années. Cette pratique a abouti à une grave surpopulation qui, associée au manque de nourriture, de soins médicaux et d’hygiène dans les installations, nuit à la santé des détenus et met leur vie en danger.

« À cause d’une succession de dysfonctionnements dans la chaîne pénale malgache, des personnes souffrent en prison pendant des années avant d’être traduites en justice. Dans les établissements pénitentiaires que nous avons visités, un grand nombre de détenus incarcérés depuis longtemps sans avoir été jugés étaient poursuivis pour des infractions mineures et non violentes. Un homme inculpé pour vol de bétail était maintenu en détention depuis trois ans et demi », a déclaré Deprose Muchena, directeur du bureau régional pour l’Afrique australe d’Amnesty International.

« Les détenus en attente de jugement n’étaient séparés des condamnés dans aucun des établissements pénitentiaires que nous avons visités, malgré les dispositions du droit international relatif aux droits humains. Dans certains cas, des enfants partageaient donc leur cellule avec des criminels. Les détenus les plus pauvres, qui ont le moins accès à une aide judiciaire, sont ceux qui souffrent le plus de leur incarcération, en particulier les femmes et les enfants. »

Le recours abusif à la détention préventive à Madagascar touche de manière disproportionnée les hommes, les femmes et les enfants pauvres, notamment du fait qu’ils ne sont pas en mesure de rémunérer les honoraires d’un avocat. Le taux de détention préventive des femmes et des enfants a progressé à un rythme inquiétant ces dix dernières années, tandis que la surpopulation des établissements pénitentiaires destinés aux hommes reste dramatique.  En octobre 2017, 70 % des femmes et 80 % des mineurs qui composent la population carcérale étaient en attente de jugement.

Amnesty International a constaté que les détenus se retrouvent souvent en détention préventive prolongée pour des infractions mineures et non violentes telles que le vol de poulets ou de téléphones portables, ou la contrefaçon. De telles infractions ne devraient en aucun cas conduire à la détention préventive, encore moins à une détention prolongée dans des conditions abjectes. Le droit international relatif aux droits humains dispose que la détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle et ne peut avoir de fonction punitive.

Par le recours injustifié et prolongé à la détention préventive, les autorités malgaches enfreignent également la législation nationale, notamment le droit d’être présumé innocent.

Les conditions de détention

Amnesty International a visité neuf établissements pénitentiaires de Madagascar où des personnes sont incarcérées en attente de jugement ; elle a constaté que les conditions de détention y étaient effroyables. Sombres et sales, la plupart des cellules sont extrêmement surpeuplées et manquent d’air et de lumière, ce qui met sérieusement en péril le bien-être physique et mental des détenus.

Les détenus en attente de jugement n’étaient séparés des condamnés dans aucun des établissements pénitentiaires visités et trois d’entre eux ne séparaient même pas les adultes des enfants.

L’organisation a également recensé de mauvaises conditions sanitaires, une absence de soins de santé, une insuffisance de nourriture et un accès limité aux familles.

La majorité des détenus en attente de procès sont des hommes, mais certaines conditions de détention affectent les femmes et les enfants de manière disproportionnée. Les femmes enceintes ou accompagnées de bébés, par exemple, ne peuvent recevoir les soins de santé dont elles ont besoin ; les enfants n’ont accès à aucune offre éducative ou de formation, en dépit du droit national et international.

Un homme poursuivi pour vol de bétail et maintenu en détention en attente de jugement depuis trois ans et demi a déclaré à Amnesty International :

« Nous sommes 42 à dormir dans la même cellule, mais il n’y a pas de place pour dormir. Je dors par terre. Beaucoup de gens tombent malades. Certains toussent, certains tremblent, certains attrapent très froid. Et les gens se battent pour la nourriture, car il n’y en a pas assez […] Je veux vraiment passer en jugement, car je souffre beaucoup ici. »

Incarcéré depuis plus d’un an en attendant d’être jugé pour enlèvement et association de malfaiteurs, un autre a expliqué : « On ne dort qu’une à deux heures par nuit, c’est terrible […] En novembre et en décembre, c’est étouffant, il n’y a pas d’air. Une fois, je me suis même effondré et ils ont dû me faire sortir. »

Dans tous les établissements pénitentiaires visités par Amnesty International, l’effectif des détenus dépassait largement la capacité officielle.

À la prison de Manakara, par exemple, environ 700 personnes étaient maintenues en détention en septembre 2018, alors que la capacité officielle est de 121 détenus.

Des dangers pour la santé

En mauvaise santé manifeste, comme a pu le constater Amnesty International lors de ses visites, les détenus en attente de jugement ont déploré ne pas recevoir de soins médicaux appropriés ou dans un délai raisonnable. Alors que la plupart des établissements pénitentiaires visités avaient une infirmerie, le personnel infirmier ainsi que les fournitures et les installations médicales étaient insuffisants.

La plupart des cellules ne disposaient pas de toilettes ni de douches et, la nuit, les détenus devaient utiliser des seaux en plastique en guise de toilettes dans leurs cellules surpeuplées.

Les établissements pénitentiaires visités n’étaient pas bien ventilés et les prisonniers se plaignaient que les cellules et dortoirs étaient sales, infestés de rats et de cafards et qu’il y faisait extrêmement chaud, conditions qui peuvent favoriser la transmission de maladies. La tuberculose est l’une des principales causes de décès des détenus à Madagascar.

Une alimentation insuffisante

La malnutrition continue de mettre en péril la vie et la santé des personnes incarcérées. D’après les détenus rencontrés par Amnesty International, les rations de nourriture étaient trop maigres. Une détenue de la prison de Maintirano a même déclaré à Amnesty International que la portion correspondant à un repas pouvait tenir dans la paume de sa main.

D’après le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), près d’un détenu sur deux souffre de malnutrition modérée ou sévère à Madagascar. En 2015, l’organisation a fait état de 27 décès dus à la malnutrition dans les établissements pénitentiaires du pays.

« Personne ne devrait être incarcéré au péril de sa vie dans les conditions que nous avons observées dans les prisons malgaches, à plus forte raison avant rendu du jugement. De même qu’il est essentiel de faire respecter la présomption d’innocence, mettre un terme au recours abusif à la détention préventive pourrait aider à réduire la surpopulation qui a rendu les conditions si épouvantables dans les établissements pénitentiaires de Madagascar », a déclaré Deprose Muchena.

« Nous demandons instamment aux autorités malgaches de libérer les prisonniers en attente de jugement dont le maintien en détention est injustifié, arbitraire ou prolongé – à commencer par ceux incarcérés parce qu’ils sont poursuivis pour des infractions mineures, ou simplement parce qu’ils sont pauvres. Les autorités doivent également accorder des réparations aux victimes de détention préventive illégale et prendre des mesures en faveur de la mise en place d’un dispositif de justice pénale efficace, qui respecte les droits humains. »

Une justice retardée

Les principaux problèmes responsables de la longueur de la détention préventive à Madagascar sont le nombre restreint des audiences des cours jugeant les affaires criminelles et leur irrégularité. En vertu du Code de procédure pénale, les cours criminelles siègent deux fois par an, ce qui engendre des retards considérables et une grave surpopulation carcérale. Des sessions supplémentaires peuvent être tenues si le nombre d’affaires à juger l’exige, mais seulement si des ressources sont disponibles.

Contexte

Ce rapport est l’aboutissement de recherches sur le terrain effectuées dans neuf établissements pénitentiaires de Madagascar en août 2017 et de visites de suivi exécutées en septembre 2018, afin d’enquêter sur la pratique de la détention préventive et ses conditions. Les neuf prisons visitées (huit maisons centrales et une prison de sécurité maximale) se trouvaient dans les terres ou sur la côte.

L’équipe de recherche de l’organisation a rencontré notamment des hommes et des femmes qui étaient maintenus en détention depuis plus de trois ans, et des enfants depuis plus de deux ans, sans avoir été jugés.

À Madagascar, les prisonniers sont plus nombreux à ne pas avoir été jugés, ni bien sûr condamnés, qu’à avoir été déclarés coupables. En octobre 2017, 55 % du total de la population carcérale n’avait pas encore été jugé.

Aux termes du droit international relatif aux droits humains, les personnes en attente de jugement ne devraient pas être incarcérées, à moins d’un risque avéré que le responsable présumé des faits prenne la fuite, intimide un témoin ou falsifie des preuves, par exemple. De même, la Constitution de Madagascar prévoit que la détention préventive est une exception. Les personnes dont le procès n’a pas encore eu lieu ou dont le procès est en cours mais dont le jugement n’a pas encore été rendu sont présumées innocentes. Pendant leur détention préventive, elles ont notamment le droit de rencontrer un avocat, d’être jugées dans un délai raisonnable et d’être séparées des condamnés.