En circulant dans San Juan, notre regard ne peut s’empêcher de se poser sur les bâches bleues qui recouvrent les toits des maisons. Des dizaines de milliers de personnes ne sont encore protégées que par ces toiles en plastique un an après que l’ouragan Maria a dévasté Porto Rico, endommageant fortement les habitations, les hôpitaux et les écoles de l’île.
Il est scandaleux que tant de personnes soient contraintes de vivre dans des conditions si précaires, d’autant plus qu’elles font partie d’une des nations les plus riches du monde. Pendant des décennies, les autorités n’ont pas pris en compte les graves problèmes en matière de droits humains affectant l’île. En conséquence, les populations marginalisées ont été confrontées de manière disproportionnée à une des pires catastrophes qui a frappé Porto Rico en un siècle. De plus, ces personnes étaient également très mal équipées pour y faire face.
Pour certains des militants avec lesquels Amnesty International s’est entretenue, l’ouragan Maria, bien que constituant une catastrophe, a également mis en évidence la capacité des populations à s’organiser entre elles.
Modesta, une responsable locale à Loiza, a raconté comment elle et ses homologues ont commencé à s’auto-organiser sur l’île immédiatement après le passage de l’ouragan. Ensemble, ces responsables ont recensé leurs besoins et comptabilisé les habitations endommagées de façon à ce que, quand l’Agence fédérale des situations d’urgence (FEMA) est arrivée sur place, toutes ces personnes étaient déjà organisées.
La plupart du temps, les populations savent exactement ce dont elles ont besoin. Or, au regard de l’histoire récente de Porto Rico, elles ont malheureusement été oubliées ou écartées lorsque des décisions ont été prises les concernant.
Depuis au moins 2016, des personnes de tous horizons se sont ralliées pour protester contre la mise en place d’une politique d’austérité douloureuse qui vise à faire face à une grave crise financière liée au poids de la dette extérieure.
Amnesty International a montré que les autorités avaient répondu violemment à ces mouvements de protestations, en ayant recours à une force excessive pour étouffer le droit des personnes à exprimer librement leur désaccord. En même temps, des coupures importantes dans les dépenses publiques, et notamment dans les services de base comme l’éducation et la santé, se poursuivent.
Bien que l’intervention de la FEMA ait été la plus importante et celle ayant duré le plus longtemps de son histoire, son action aurait été plus efficace si les autorités avaient investi à Porto Rico dans les infrastructures et les services publics, qui n’ont pas été modernisés depuis près de cinquante ans. D’ailleurs, le réseau électrique et les lignes de communication, notablement vétustes, ont été détruits par l’ouragan, ce qui a fortement ralenti les interventions d’urgence.
Cette situation ne doit pas se répéter. Si les autorités ont le moindre espoir de sauver des vies en prenant les mesures nécessaires pour prévenir et limiter les conséquences d’ouragans de plus en plus dévastateurs, il y a urgence à agir. En raison du changement climatique, les très puissantes tempêtes comme Maria seront d’ailleurs de plus en plus fréquentes.
Si les autorités veulent tirer des enseignements de cette catastrophe, elles doivent mettre les droits humains au cœur de leur politique et veiller à la transparence de leurs processus décisionnels.
Le fait que l’on ait découvert une réserve d’eau potable qui est restée sans être distribuée à la population, qu’une controverse ait éclaté sur le nombre de décès, que les autorités aient été incapables d’assurer aux populations l’accès à des logements décents et qu’il n’y ait eu aucune consultation avec les populations concernées, doit inciter le gouvernement de Porto Rico et les autorités fédérales américaines à mener une enquête indépendante sur la manière dont la situation a été gérée à Porto Rico à la suite du passage de l’ouragan Maria.
Mais des actions plus ambitieuses en faveur des droits humains doivent aussi voir le jour à Porto Rico. Avec la reconstruction de l’île, le gouvernement fédéral américain et les autorités de Porto Rico de même que le Conseil chargé du budget mis en place par le Congrès des États-Unis doivent faire preuve de plus de transparence en ce qui concerne leurs processus décisionnels.
Au lieu d’empêcher de façon brutale les citoyens à manifester contre les mesures d’austérité, comme cela s’est produit en mai dernier, il est important que le gouvernement portoricain renforce le dialogue avec les habitants de l’île, qui continuent de se battre pour reconstruire leur vie après une année de souffrance.
Il incombe au gouvernement portoricain de créer davantage d’espaces permettant réellement aux populations de se préparer à affronter des catastrophes, à s’adapter au changement climatique et à réagir efficacement en cas d’ouragans.
J’ai le plaisir d’annoncer qu’avant mon départ de San Juan, j’ai rencontré le gouverneur de Porto Rico, Ricardo Rossello, qui a accepté de mettre en place un groupe de travail avec Amnesty International et avec d’autres organisations locales pour aborder la question de la liberté d’expression et celle de l’absence de transparence sur les dépenses publiques.
Il s’agit d’une avancée importante mais les paroles doivent s’accompagner d’actes. Nous allons suivre cela de près.
Cet article a initialement été publié par El Nuevo Día