Andreï Roudomakha, Sotchi

Responsable de l’ONG interrégionale Environmental Watch for the North Caucasus (EWNC), Sotchi, kraï de Krasnodar

J’ai grandi dans un petit village du raïon de Serveski, dans le kraï de Krasnodar, dans le sud de la Russie. Mon village se trouve entre la forêt et les plaines. Quand j’étais enfant, je passais des heures à me promener au milieu des arbres près de mon village. J’ai gardé un lien avec la nature depuis, et ce lien est l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai fait de la protection de l’environnement mon travail. J’ai également participé à un mouvement public contre la construction d’une centrale nucléaire dans le kraï de Krasnodar. Cela m’a rapproché de la nature et de l’environnement. C’était en 1987, tout juste un an après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et pendant la Perestroïka. À l’époque, nous avons réussi à empêcher la construction de la centrale nucléaire. Depuis, j’ai participé à des travaux de protection de l’environnement et j’ai défendu le droit de chacun à un environnement sain.

La région de Krasnodar est unique. Elle se trouve principalement dans une zone de forêt montagneuse, mais une partie se trouve dans la région marécageuse d’Azov, et dans le sud-est il reste certaines zones de steppes. Mais l’environnement est détruit rapidement, car la région attire un vaste éventail de projets urbains. C’est l’une des régions de Russie dans lesquelles le plus de projets risquant d’endommager l’environnement ont été lancés ces 20 dernières années. Parmi ces projets figurent le Blue Stream [un gazoduc sous-marin entre la Russie et la Turquie passant au fond de la mer Noire], la construction de ports à Taman et surtout, la construction d’infrastructures pour les Jeux olympiques d’hiver de 2014.

La coupe du monde de la FIFA se tiendra dans des sites construits pour les Jeux olympiques d’hiver de 2014. Le stade olympique Ficht est construit dans les plaines d’Imereti, qui abritaient à une époque un habitat naturel unique, les marais de Colchide. C’était la seule région de Russie avec un tel écosystème. De nombreux oiseaux migrateurs s’y arrêtaient. Une grande partie de cet habitat naturel a été détruite à l’époque soviétique et certaines des zones qui avaient été épargnées ont été détruites pendant la préparation pour les Jeux olympiques de 2014. Le parc naturel créé aujourd’hui pour replacer l’habitat naturel est une escroquerie. Le parc est devenu un fardeau pour le budget du kraï de Krasnodar, sans pour autant remplir ses fonctions. Les fans qui viennent voir des matchs ici doivent se souvenir que la Coupe du monde se tient dans des sites construits pour les Jeux olympiques et pour lesquels l’environnement et les habitants de la région ont payé le prix fort. Ces supporters doivent savoir que tout ceci cache une sombre histoire.

Les dégâts environnementaux causés par les Jeux olympiques ont été une catastrophe. La Russie a gravement enfreint ses engagements post-Jeux olympiques en ce qui concerne la revitalisation de la Mzymta et la création de nouvelles zones environnementales protégées. À mon avis, la Russie n’est pas la seule responsable : elle partage cette responsabilité avec des organisations internationales comme le Comité international olympique et le Programme des Nations unies pour l’environnement, qui sont responsables de surveiller ce projet et qui ne l’ont pas fait correctement. Je voudrais que la Coupe du monde laisse un héritage, non seulement en termes de réussites sportives, mais aussi en termes d’environnement dans la région. Nous enquêtons actuellement sur un vaste chantier financé par de hauts représentants dans le village de Krinitsa, près de Gelendjik, et prévoyant la construction d’une autre résidence au bord de la mer Noire et la saisie de zones de forêts et l’abattage d’arbres à grande échelle. Et ce n’est pas seulement une résidence privée, mais aussi un château avec un vignoble. Les vignes ont déjà été plantées et l’exploitation viticole est en cours de construction.

Je pense que le mouvement de défense de l’environnement est un moyen de permettre un changement positif dans notre pays. Un monde meilleur se construit progressivement et avec des actions non violentes.

En décembre 2017, mes collègues et moi avons été attaqués après être allés inspecter les dégâts environnementaux provoqués par ce projet. Nous sommes revenus à l’appartement de l’un des militants et les assaillants nous y attendaient. Ils savaient que c’est là que nous irions. Nous avons probablement été suivis depuis le chantier à Krinitsa. Les assaillants nous ont non seulement attaqués, mais ils ont également pris toutes nos photos pour nous empêcher de rendre les informations publiques.

La police locale a dans un premier temps ouvert une enquête, puis elle l’a transférée à la Direction générale d’enquête du kraï de Krasnodar. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’enquête a ensuite été tout simplement close, en dépit des nombreux éléments de preuve, dont des empreintes digitales sur la voiture, des images de vidéosurveillance de l’attaque et des déplacements des assaillants dans la région. Nous avions également identifié la voiture à bord de laquelle les assaillants étaient arrivés. Je n’ai pas été convoqué une seule fois pour faire une déposition. Généralement, les crimes pour lesquels autant d’éléments de preuve sont disponibles sont résolus très rapidement.

Ce n’était pas la première fois que notre organisation était attaquée. Nous avions déjà reçu des menaces. En janvier 2018, mon collègue Dimitri Chevtchenko et moi avons reçu une lettre anonyme nous « conseillant vivement » de quitter le pays. Plusieurs de mes collègues ont été forcés à quitter la Russie en raison des menaces qu’ils ont reçues. Notre travail barre la route à de nombreuses personnes. Tout ce que nous faisons est risqué et dangereux, car nous entravons les intérêts de « personnes puissantes ». Malheureusement, en Russie, rien ne laisse espérer qu’une enquête efficace sera menée. Je sais que mon travail comporte de nombreux risques et j’ai compris que quand on se bat contre quelque chose, ce quelque chose peut répondre.

Mon travail de protection de l’environnement est plus qu’un emploi, c’est le travail d’une vie. C’est ce qui me donne de la force et un sentiment d’accomplissement. Il se trouve que le travail de ma vie est l’endroit où je vis. J’aime beaucoup le Caucase et je n’aime pas particulièrement voyager en dehors du pays ou ailleurs dans le pays. Je trouve qu’il est plus intéressant de rester ici, de visiter des villages dans lesquels je ne suis jamais allé. C’est ici que je veux vivre et travailler, pour transformer et changer les choses ici.

Nous sommes éco-centristes et quand nous avons l’occasion de travailler avec des mécanismes internationaux ou de coopérer avec le gouvernement, nous le faisons. Une fois, la Direction du Service fédéral de sécurité de la République des Adygués s’est alliée à nous pendant une campagne. Le directeur de l’époque de l’agence partageait notre intérêt pour la protection de l’environnement. Nous l’avons rencontré et nous lui avons expliqué les risques potentiels que certains projets représentaient pour l’environnement, et il nous a soutenus. Son soutien a joué un rôle majeur pour empêcher certains projets.

Je ne crois pas aux changements rapides, mais je crois aux changements systémiques progressifs. Je pense que le mouvement de défense de l’environnement est moyen de permettre un changement positif dans notre pays. Un monde meilleur se construit progressivement et avec des actions non violentes, il nait des graines qui sont semées dans la société.

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