Négligence dans le delta du Niger

Le delta du Niger est l’un des endroits les plus pollués de la planète

Les décodeurs nous ont aidés à prouver à quel point Shell et Eni sont irresponsables

17,5 millions de litres
Quantité d’hydrocarbures déversée dans le delta du Niger, selon les rapports de Shell (depuis 2011)
4,1 millions de litres
Quantité d’hydrocarbures perdue selon les rapports d’Eni (depuis 2014)
89
Nombre d’enquêtes sur des déversements d’hydrocarbures que nous demandons à l’État nigérian de rouvrir

Une victoire qui change des vies

En 2008 et 2009, deux déversements d’hydrocarbures de grande ampleur survenus dans le village de pêcheurs de Bodo ont eu des effets dévastateurs. Du pétrole noir et épais s’est répandu dans les cours d’eau et les criques pendant des semaines, tuant les poissons et privant la population de ses moyens d’existence. Shell, qui gère les oléoducs où les fuites se sont produites, a sous-évalué à maintes reprises le volume d’hydrocarbures déversé et n’a proposé aux habitants qu’une somme dérisoire à titre d’indemnisation (4 000 dollars des États-Unis).

Avec l’aide d’Amnesty International, la population de Bodo a entrepris une action en justice. Shell a admis avoir émis de fausses déclarations quant à l’ampleur des déversements et a réglé l’affaire à l’amiable en payant 55 millions de livres sterling aux habitants à titre d’indemnisation.

Nous voulions aider aussi d’autres collectivités à obtenir justice mais nous savions que nous ne pouvions pas croire la version des faits avancée par les compagnies pétrolières.

Il fallait que nous examinions tous les rapports sur des déversements fournis par les compagnies pétrolières et que nous les comparions à des images des oléoducs afin de comprendre ce qui se passait réellement dans le delta du Niger.

Toutefois, un problème se posait : il y avait des milliers de documents et de photos, ce qui était beaucoup trop même pour les chercheurs dévoués d’Amnesty International.

Le rôle des décodeurs

C’est là que les décodeurs interviennent. Ils forment une communauté en ligne de sympathisants et de défenseurs des droits humains, qui aide nos chercheurs en recueillant et en enregistrant de manière systématique des données extraites de photos et de documents.

Ils nous aident à obtenir les éléments dont nous avons besoin pour amener les responsables présumés d’atteintes aux droits humains à rendre des comptes.

Toute personne qui dispose d’un smartphone ou d’un ordinateur peut être un décodeur.

Nous avons lancé un appel aux décodeurs et 3 545 personnes de 142 pays y ont répondu, ce qui est extraordinaire.

Découvrir la vérité

Les décodeurs ont répondu à 163 063 questions concernant des milliers de rapports et de photos réalisés par les entreprises concernées à la suite de déversements d’hydrocarbures. 

Cela leur a pris 1 300 heures, ce qui équivaut au travail à plein temps d’une personne pendant huit mois. Les données qu’ils ont recueillies ont ensuite été analysées par l’équipe de chercheurs d’Amnesty International et vérifiées par Accufacts, une entreprise d’expertise indépendante spécialisée dans les oléoducs.

Chaque minute a été consacrée à aider la population du delta du Niger à découvrir la vérité.

Les informations réunies par les décodeurs d’Amnesty International révèlent l’ampleur incroyable de la pollution aux hydrocarbures dans le delta du Niger et la fréquence élevée des déversements.

Nager dans le pétrole

Depuis 2014, Eni a signalé 820 déversements équivalant à 26 286 barils (soit 4,1 millions de litres) dans le delta du Niger.

Depuis 2011, Shell a signalé 1 010 déversements d’un volume total de 110 535 barils (soit 17,5 millions de litres). Cela correspond à peu près à la contenance de sept piscines olympiques.

Ces chiffres sont certes élevés mais peut-être en deçà de la réalité.

Il est probable que les volumes avancés soient inexacts ; nos recherches ont montré que les entreprises sous-évaluaient les quantités déversées.

La fréquence scandaleuse des déversements d’hydrocarbures dans le delta du Niger

À la loupe

Eni a déclaré que cette fuite était le résultat d’un percement criminel de l’oléoduc.

Cependant, en y regardant de plus près, les décodeurs ont constaté que les trous se situaient sur la partie inférieure de la conduite, enfouie dans le sol. Comment y accéder avec une perceuse ?

Les décodeurs ont également remarqué que les trous n’étaient pas nets ni réguliers, ce qui serait le cas s’ils avaient été réalisés à la perceuse. En réalité, ils avaient davantage l’air d’être dus à la corrosion.

Au total, les décodeurs ont dénombré 89 déversements pour lesquels les photos publiées par les entreprises ne semblaient pas confirmer les allégations de sabotage.

Pourquoi cela est-il gênant ? Parce que si une fuite est attribuée à un vol, l’entreprise n’aura aucune indemnité à régler.

Grâce au travail de détective des décodeurs, nous avons envoyé des informations détaillées sur les 89 déversements en question à l’État nigérian et lui avons demandé de rouvrir les enquêtes.

Imaginez que l’équivalent de neuf piscines olympiques remplies de pétrole se déverse près de chez vous

Les décodeurs au service du delta du Niger

142
pays étaient représentés dans l’équipe mondiale, composée de milliers de décodeurs
3 545
personnes ont participé au projet en tant que décodeurs
2 985
documents sur des incidents survenus entre 2001 et 2017 ont été analysés
163 063
questions ont été traitées
1 300
heures de travail ont été accumulées par les décodeurs

Des réactions tardives

Les entreprises sont tenues de réagir en cas de déversement, quelle qu’en soit la cause. Plus elles se rendent tôt sur les lieux, plus vite elles peuvent stopper la fuite et commencer à nettoyer la zone ; les directives de l’État prévoient un délai maximal de 24 heures après le signalement.

Nous avons demandé aux décodeurs de relever le temps écoulé entre le signalement d’une fuite et l’envoi d’une équipe de l’entreprise sur place.

Ils ont constaté des retards considérables, certains déversements s’étant poursuivis pendant encore des mois après avoir été signalés.

Le record du temps de réaction le plus long est détenu par Eni, qui a mis 430 jours pour dépêcher du personnel à la suite d’une fuite dans l’État de Bayelsa. L’entreprise a indiqué à Amnesty International que ce retard était le fait de la population locale, qui lui avait refusé l’accès au site. Pourtant, cette information n’avait pas été communiquée à l’époque. Eni a aussi déclaré avoir réussi à stopper la fuite peu après l’avoir détectée. Or, l’État a signalé que, pendant plus d’un an, du pétrole provenant de l’oléoduc s’était répandu dans les marécages et les cours d’eau situés à proximité et avait contaminé l’eau que les habitants du village voisin utilisaient pour boire et se laver et celle de leurs lieux de pêche.

Toutefois, Shell a eu des délais de réaction bien plus longs qu’Eni en moyenne et n’a envoyé des équipes sur les lieux de déversement dans les 24 heures suivant le signalement que dans 25 % des cas. À huit reprises, il lui a fallu plus de 100 jours.

Ces retards sont le signe d’une grave négligence. Shell et Eni sont des multinationales prospères et puissantes. Pourquoi n’agissent-elles pas plus rapidement ? Pourquoi n’en font-elles pas davantage ?

Les prochaines étapes

Les décodeurs nous ont aidés à obtenir des preuves de la grave négligence des compagnies pétrolières.

Nous présentons actuellement ces éléments à Shell et Eni, ainsi qu’à l’État nigérian, et demandons le renforcement de la réglementation. Nous souhaitons aussi que des enquêtes soient menées afin de déterminer pourquoi les entreprises ne semblent pas en mesure de prévenir les vols d’hydrocarbures et de lutter contre ce problème et pourquoi des actes de sabotage fréquents semblent se dérouler sous leurs yeux.

La solidarité mondiale donne à la population du delta du Niger les moyens d’obtenir justice.